84. QUELLE CIVILISATION?
Vous connaissez sûrement la fameuse phrase écrite par Paul Valéry: Nous
autres, civilisations, nous avons appris que nous sommes mortelles.
Cette petite phrase si riche de sens m’amène à vous poser la
question suivante: Quel est au juste le projet de civilisation de notre époque?
Et celui-ci tient-il bien la route ?
Le premier choc de civilisation en occident n’est pas celui dont on parle
le plus souvent dans les média, celui entre l’islam et l’occident.
C’est plutôt celui qui depuis plus de trois siècles oppose au sein même
de l’occident les valeurs et les normes de la civilisation chrétienne avec
celles qui leur sont radicalement opposées et les combattent même de toutes
leurs forces. La religion de l’homme moderne, c’est l’humanisme sécularisé.
Cela veut dire quoi « humanisme sécularisé » ?
C’est en fait la confiance absolue de l’homme en l’autonomie de la
raison humaine pour décider de ce qui est bien et mal, de ce qui doit conduire
l’action politique, sociale, culturelle à tous les niveaux.
Le tout, naturellement, sans aucune référence à la révélation d’un
Dieu qu’on a relégué au statut d’objet de musée, tout juste intéressant
à visiter comme une curiosité historique de la pensée humaine. Ah, que nos
ancêtres moyen-âgeux pouvaient être bêtes et crédules, entend-on dire
souvent, d’un ton sarcastique. Et
que nous sommes avancés sur la voie du progrès moral et du bien-être généralisé,
nous autres hommes et femmes du vingt-et-unième siècle libéré des antiques
superstitions… Mais, puisque nous
parlons de superstitions, une des manifestations les plus visibles de ce choc
des civilisations c’est la résurgence chez nous d’une vieille divinité païenne,
Moloch-Baal, celui à qui plus d’une nation antique sacrifiait ses propres
enfants. De quelle lubie
s’agit-il, me direz-vous? Où
voyez-vous des temples ou des statues de Moloch-Baal dans nos cités modernes?
Oh, il ne s’agit pas de statues ou de temples à colonnes, comme dans
les temps anciens. Il s’agit tout simplement d’un monstre social et
politique appelé l’Etat Providence, qui a enrégimenté des générations de
gens et les a asservis à une nouvelle forme d’esclavage : la dépendance
totale de notre bien-être a été confiée à une pesante machine
bureaucratique, que nous avons élue (très démocratiquement) à la fois père
autoritaire et mère nourricière. Le résultat de cet esclavage est pourtant là,
incontournable : endettés jusqu’à la moelle des os pour notre
soi-disant bien-être, incapables de refaire surface, nous empruntons désormais
des sommes faramineuses sur les marchés internationaux, serrant impitoyablement
la corde de nos dettes insensées
autour du cou de générations qui ne sont même pas encore nées… Vous voyez
maintenant le rapport à l’idole Moloch-Baal, divinité antique de la fertilité
et de l’abondance auquel on sacrifiait ses propres enfants?
Est-il encore temps de faire marche arrière?
Il faudrait une volonté collective vraiment surhumaine pour s’en
sortir. Mais une telle volonté,
porteuse d’un projet de civilisation transformé, ne peut naître que d’un
changement intérieur profond : lorsqu’on aura appris à distinguer
radicalement le Dieu de la Providence de ses avatars
modernes, les idoles produites par la religion de l’humanisme sécularisé,
alors peut-être nous réussirons enfin à nous dégager des griffes de
Moloch-Baal…