LE CHRIST DES ÉVANGILES (1)

 

Il y a plusieurs semaines, je vous posais la question suivante, volontairement provocatrice :  Jésus-Christ a-t-il vraiment existé ?  A la lumière de documents provenant du premier et du second siècle de notre ère, nous établissions qu’il est impossible de nier l’existence d’un nommé Jésus-Christ, ayant vécu sous le règne, entre autres, de l’empereur romain Tibère, et ayant été mis à mort par crucifixion pendant qu’un certain Ponce Pilate était le procurateur romain de la province de Judée.

Je vous propose aujourd’hui et la fois prochaine de continuer notre enquête sur les traces de Jésus-Christ, et de vous parler du Christ des Évangiles, celui qui apparaît sur les pages de quatre documents d’époque essentiels pour connaître et comprendre sa personne et son oeuvre.  Mais, je souhaite d’abord vous rappeler ce que je vous disais à leur propos : Ces évangiles sont les textes les plus complets qui nous parlent de Jésus-Christ.  Ce ne sont pas à proprement parler des biographies de Jésus, car ils laissent dans l’obscurité beaucoup de détails (concernant par exemple sa jeunesse, ou sa description physique).  De plus les Évangiles sont des textes engagés, qui ont une portée théologique et qui maintiennent et cherchent à propager un point de vue de croyant sur la personne de Jésus-Christ.  Leur témoignage peut-il être accepté comme tel?  Ces documents uniques dans leur style et dans leur genre littéraire sont-ils des preuves historiques fiables de l’existence de Jésus?  De nos jours, beaucoup d’historiens sont sceptiques à ce sujet.  Cela fait environ cent cinquante ans qu’on cherche à reconstituer la vie de Jésus en prenant des éléments des évangiles et en en laissant d’autres, et qu’on s’efforce de remodeler le tout à l’aide de méthodes diverses, jamais dépourvues d’a priori.  Certains s’attachent à retenir les discours de Jésus en laissant de côté le récit des miracles, jugés peu crédibles.  D’autres rejettent les affirmations centrales des évangiles concernant Jésus, sur la base de ce qu’ils pensent être des contradictions entre ces témoignages.  Pour de nombreux théologiens encore, il nous faut nous attacher au Jésus proclamé par l’Église, et ne pas nous attarder sur les détails historiques de son existence tels qu’ils nous sont rapportés par les quatre Évangiles en question, car on ne saurait s’y fier.  Ainsi crée-t-on un vide entre le Jésus proclamé, celui en qui on nous demande de croire, et le Jésus des Évangiles.  Il y a plusieurs décades, un théologien allemand déclarait qu’au siècle de la maîtrise de l’électricité, on ne pouvait de toutes façons plus croire aux miracles ; selon lui la mentalité moderne ne peut plus se satisfaire de tels récits, qui appartiennent au monde pré-moderne, pré-scientifique.  Ce monde-là se nourrissait de mythes pour structurer sa vision du monde et pour trouver un sens à l’existence.  C’était justifiable à l’époque, mais ne le serait plus aujourd’hui.  Un tel point de vue appelle quelques remarques.  Quelles que soient nos connaissances scientifiques actuelles, lesquelles nous permettent de comprendre certains phénomènes naturels, et quelle que soit notre maîtrise de tels phénomènes, avec toutes les applications technologiques qu’on leur trouve journellement, cela fait-il d’eux des phénomènes moins miraculeux, d’origine moins divine ?  Notre connaissance d’une partie de ces phénomènes -partie infime du reste- implique-t-elle l’exclusion du Créateur qui a institué les lois de la nature?  Prenons un exemple: la connaissance que nous avons de la conception humaine, depuis la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule, avec la mise en commun de deux patrimoines génétiques, la connaissance du développement de l’embryon puis du fétus dans l’utérus maternel, jusqu’à la naissance, cette connaissance réduit-elle tout ce processus à un phénomène banal ?  N’avons-nous plus affaire à un miracle, le miracle de la vie ?  Où est la logique qui déclare que l’action toute puissante de Dieu se trouve soudain anéantie parce que j’en découvre petit à petit de nouveaux aspects, toujours plus étonnants d’ailleurs?  La réponse est simple : ce n’est nullement une question de logique rationnelle, c’est purement une question de foi ou de refus de la foi.  Pour revenir à ce théologien allemand, on pourrait lui rétorquer :  par quelle logique peut-on soutenir que le Créateur des forces et des champs magnétiques, de l’électricité, de la vie organique, des espèces animales et des humains serait incapable de faire accomplir des miracles à son Fils incarné ?  Cela fait des lustres que j’attends la réponse à cette question, et si vous pensez l’avoir, n’hésitez pas à me la transmettre par écrit…

Mais revenons à Jésus Christ, et à la manière dont certains filtrent les Évangiles pour les remodeler de façon acceptable à leurs yeux.  En 1985, un spécialiste américain  du Nouveau Testament fondait le « séminaire Jésus » pour collecter tout le matériel tiré de la Bible ou d’autres sources, et qui fait mention de Jésus, ceci afin de l’étudier et l’analyser en détail afin de déterminer si ce matériel est historiquement fiable, crédible.  Faisant appel à une équipe de chercheurs, il leur proposait de voter pour chaque récit contenu dans les Évangiles.  Les membres de cette équipe devaient entourer à l’aide d’une couleur particulière tous les actes, paroles ou paraboles de Jésus.  La couleur rouge entourant par exemple une parole donnée signifiait que selon l’opinion du chercheur, cette parole avait indubitablement été prononcée par Jésus-Christ.  La couleur rose indiquait qu’il avait pu prononcer cette parole; la couleur grise qu’il n’avait certainement pas prononcé telle ou telle parole, mais que son contenu était très proche de ce qu’il aurait pu dire.  Quant à la couleur noire, elle indiquait que Jésus n’avait certainement pas prononcé ces mots.  Les textes sélectionnés comprenaient aussi des évangiles écrits bien plus tardivement, comme l’évangile selon Thomas, qui ne se trouve pas dans le Nouveau Testament.  A la fin de ce processus, nos chercheurs concluaient que seulement dix-huit pour cent des paroles de Jésus avaient effectivement été prononcées  par lui, et seulement seize pour cent des faits et actions attribués à Jésus étaient authentiques.  Ils récrivaient alors une nouvelle version de l’Évangile en se fondant sur leurs conclusions.  Cette version reposait d’ailleurs beaucoup plus sur des écrits tels que l’Évangile selon Thomas ou l’Évangile des Hébreux, que sur les quatre évangiles contenus dans le Nouveau Testament.  Or ces derniers sont sans nul doute possible les plus anciens textes concernant Jésus, donc les plus proches de sa vie et de sa personne.  Ils contiennent les témoignages directs de ceux qui l’ont approché  ou qui ont vécu dans son intimité. Quoi qu’il en soit, on reste assez étonné, et extrêmement sceptique devant des conclusions dites scientifiques qui se basent sur l’opinion subjective des chercheurs, et se manifestent par un vote au moyen de couleurs…

Quant à l’utilisation d’autres textes que les quatre évangiles du Nouveau Testament,   vous savez peut-être qu’il existe une foule d’écrits datant du second, ou du troisième siècle, et qui prétendent rapporter les faits et paroles de Jésus, notamment de son enfance.  Ces évangiles, qu’on appelle apocryphes, et qui ont été rejetés comme n’ayant aucune autorité par les premiers docteurs de l’Église chrétienne, ne sont en réalité que des inventions tardives servant le plus souvent à justifier les doctrines de sectes ou de groupes dissidents chrétiens, comme par exemple les groupes gnostiques.  De nombreuses légendes sans fondement ont été tirées de ces écrits, qui sont certes intéressants, voire curieux, mais ne possèdent aucune garantie de témoignages historiques fiables. Sans m’étendre davantage là-dessus, je souhaite simplement citer les mots de conclusion d’une encyclopédie biblique très complète, offrant un panorama exhaustif sur les évangiles apocryphes : « Les évangiles apocryphes, même les plus anciens et les plus sobres, peuvent à peine être comparés aux évangiles canoniques (c’est-à-dire à ceux qui sont contenus dans le Nouveau Testament).  Ils sont tous clairement de seconde source,  légendaires et nettement tendancieux (…) Commentant les évangiles de l’enfance, un savant conclut :  Leur effet est de nous renvoyer vers les évangiles canoniques avec une approbation renouvelée pour leur sobre retenue qui n’essaie pas de gloser sur les années cachées de la vie de Jésus (c’est-à-dire les années de son enfance et de sa jeunesse).  Deux chercheurs anglo-saxons qui ont publié un grand nombre de textes du début de l’ère chrétienne, écrivent ce qui suit : « les évangiles apocryphes nous offrent de  curieux aperçus sur l’état de la conscience chrétienne et sur les modes de pensée durant les premiers siècles de notre ère.  L’impression dominante qu’ils laissent sur nos esprits est un sens profond de l’infinie supériorité, de la majesté et de la simplicité sans pareille des évangiles canoniques ».  J’ajoute à ces mots de spécialistes compétents qu’il n’est peut-être pas impossible que quelques autres paroles authentiques  de Jésus-Christ aient été compilées en dehors du Nouveau Testament.  Mais comme il est extrêmement difficile de distinguer, dans la masse des paroles et faits compilés dans les évangiles apocryphes, quels sont ceux qui pourraient être attribués au Christ sans l’ombre d’un doute, la règle de sagesse est de s’en tenir aux évangiles canoniques, c’est-à-dire à ceux qui ont été reconnus par la tradition chrétienne la plus ancienne comme émanant de sources fiables.

 La fois prochaine, nous nous pencherons ensemble sur ces quatre évangiles, celui selon Matthieu, celui selon Marc, selon Luc et selon Jean.  Nous verrons quel est le message  et témoignage commun de ces quatre évangiles, et aussi comment comprendre les différences de style ou d’approche des auteurs de ces évangiles vis-à-vis de la personne  de Jésus-Christ.