LE CHRIST DES ÉVANGILES (2)

 

De quelles sources fiables disposons-nous pour connaître la personne et l’oeuvre de Jésus-Christ ?  C’est la question qui nous préoccupe aujourd’hui.  La dernière fois, nous avons parlé des reconstructions historiques en tout genre concernant la personne de Jésus-Christ qui fleurissent depuis quelque cent cinquante ans.  Nous avons aussi évalué de manière générale la fiabilité des évangiles apocryphes, c’est-à-dire de tous ces textes qui ont été écrits à une date tardive, à partir du deuxième siècle de notre ère, jusqu’au Moyen-Age, soit jusque mille ans après l’incarnation de Jésus-Christ. Aujourd’hui, nous allons parler plus en détail des évangiles canoniques, ceux qui sont contenus dans le Nouveau Testament, et voir en quoi leur témoignage concorde parfaitement, même si un angle différent particulier à chacun se manifeste.

 

Matthieu, Marc, Luc et Jean :  on pourrait dire, avec un spécialiste du Nouveau Testament, que nous avons avec ces quatre évangiles quatre portraits de Jésus :  l’un étant une peinture à l’huile, l’autre une aquarelle, le troisième un dessin au crayon, le quatrième une esquisse au charbon.  Quatre portraits uniques et d’une finesse remarquable.  Mais dans ces quatres portraits nous reconnaissons sans l’ombre d’un doute le même sujet, le Jésus de l’histoire, même si le matériau de l’artiste n’est pas le même.  Les trois premiers évangiles, Matthieu, Marc et Luc, possèdent beaucoup de traits en commun.  On les appelle de ce fait les évangiles « synoptiques ».  Le mot « synoptique » vient du grec, et signifie « voir ensemble ».  Quant au quatrième évangile, celui selon Jean, il possède des traits si uniques qu’il peut être interprété différemment, même si lui aussi s’attache à nous parler du Jésus de l’histoire.

Après l’existence terrestre de Jésus, tous les témoignages le concernant  ont été recueillis et retransmis, avec la fidélité qui caractérise la tradition orale dans les pays du Proche et Moyen Orient.  Il ne s’agissait pas, dans cette tradition orale, de construire des idées ou de bâtir des théories, mais de rappeler le souvenir des gestes et paroles de Jésus de Nazareth.  On peut prendre comme point de comparaison la manière dont les rabbis juifs enseignaient leurs élèves à tout mémoriser avec une incroyable fidélité.  Une telle tradition concernant Jésus était fiable seulement si elle provenait d’un disciple même de Jésus, ou de quelqu’un qui avait été le témoin oculaire des faits et paroles rapportés.  Le tout début de l’Évangile selon Luc est à cet égard très significatif :  Luc adresse son écrit à un certain Théophile, qui avait déjà reçu des enseignements au sujet de Jésus.  Luc souhaite l’assurer que les enseignements qu’il a reçus reposent sur une base véridique.  Voici comment débute le troisième évangile :  « Puisque plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le commencement en ont été les témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole, il ma semblé bon à moi aussi, après avoir tout recherché exactement depuis les origines, de te lexposer par écrit dune manière suivie, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. »  Ce court prologue nous offre une vue très claire sur la méthode et les buts  poursuivis par l’auteur du troisième évangile :  il a d’abord pris connaissance du travail de recherche effectué par d’autres (« plusieurs », dit-il).  Il insiste sur la transmission fidèle provenant de témoins oculaires.  Il déclare avoir à son tour effectué une recherche personnelle marquée par l’exactitude et la collection d’un aussi grand nombre de faits que possibles.  Très importante également, la mention de « l’exposition suivie » des faits en question :  Luc ne jette pas pêle-mêle des idées, des faits, des perceptions, il construit son récit, et il a un but bien précis :  confirmer Théophile dans la foi qu’il a reçue, lui permettre de comprendre plus profondément encore la vérité de ce qui lui a été enseigné.  Notez aussi, amis auditeurs, que les « témoins oculaires » dont parle Luc, ne sont pas des gens neûtres qui se sont contentés de rapporter des faits avec exactitude :  ils sont devenus « serviteurs de la Parole ».  C’est là que réside l’incroyable force des évangiles :  ceux qui ont vu et entendu tout les faits liés à la personne de Jésus-Christ, n’en sont pas restés là :  il ne pouvaient que devenir des « serviteurs de la Parole », des personnes désormais motivées pour une proclamation qui avait radicalement transformé leur propre vie et pouvait de même transformer la vie de tous ceux qui l’entendraient.  Il n’y avait pas de différence ni de séparation entre la transmission exacte des faits concernant Jésus, et la proclamation d’une parole de  Salut destinée à tous les hommes.  Or, comme nous l’avons vu la dernière fois, c’est bien une telle séparation que l’on cherche à introduire par tous les moyens de nos jours :  il y aurait d’une part le Jésus historique (qu’on pourrait à la rigueur reconstruire partiellement) et le Jésus de la Proclamation, c’est-à-dire deux Jésus totalement différents : le premier étant un sujet intéressant pour la recherche scientifique et historiographique moderne, pouvant être analysé par la raison humaine, et le second étant l’objet d’une foi construite progressivement, mais ne reposant sur aucun fait exact.  Dès le début du Christianisme, l’Évangile selon Luc nous met en garde contre une telle séparation, tout aussi artificielle que mensongère.

 

Reprenons nos quatre évangiles un à un, en commençant par Matthieu :  Matthieu nous parle avant tout de Jésus de Nazareth qui est le Messie, c’est-à-dire l’oint de Dieu.  Le Jésus historique est celui que les prophètes de l’Ancien Testament attendaient.  Matthieu s’accorde avec la pensée et les attentes juives de son temps.  Une expression typique que l’on trouve dans cet évangile est :  « Tout cela est arrivé afin que s’accomplisse la parole que le Seigneur avait prononcée par son prophète ».  Jésus est l’agent attendu qui est venu établir le but de Dieu pour le monde et les hommes.  Il est le fondateur du nouvel et vrai Israël du futur, c’est-à-dire l’Église chrétienne.  La composition de l’Évangile selon Matthieu est remarquable :  au chapitre un et deux, la venue du Messie nous est rapportée, tandis que les chapitres 26 à 28  nous parlent de la souffrance, la mort et la résurrection du Messie.  Entre ce début et cette fin, nous trouvons une division axée sur cinq discours de Jésus, précédés et suivis de commentaires qui leur sont reliés. Le premier de ces discours, connu sous le nom de « sermon sur la montagne », constitue la charte de l’enseignement du Christ.  Prononcé sur une colline, il est en quelque sorte l’équivalent de la loi donnée à Moïse sur le mont Horeb, au livre de l’Exode. Dans l’Évangile selon Matthieu, la généalogie de Jésus remonte jusqu’à Abraham, le père du peuple d’Israël.  Il demeure le maître et enseignant de son Église jusqu’à ce qu’il revienne. 

L’Évangile selon Marc, quant à lui, est considéré par beaucoup de spécialistes comme le plus ancien des quatre évangiles. Il aurait été écrit entre l’an soixante et l’an soixante-dix de notre ère. Beaucoup sont d’avis que les deux autres évangiles synoptiques, ceux de Matthieu et de Luc, sont dépendants de Marc, dont ils reprennent un grand nombre d’éléments, tout en ajoutant d’autres informations. D’après les plus anciennes traditions, Marc aurait  directement recueilli le témoignage du disciple Pierre, dont il était un intime.  Il aurait rédigé son évangile à Rome, capitale de l’empire romain, où se trouvait une jeune communauté chrétienne exposée à la persécution de la part des autorités romaines. L’Évangile selon Marc est aussi le plus court des quatre évangiles.  Il possède un rythme rapide, comme si son auteur nous présentait Jésus au pas de course, attaché à remplir sa mission au plus vite, concentrant toute son énergie sur le but final de sa venue sur terre : à savoir sa mort sur la croix et sa résurrection.  Marc décrit avec précision les souffrances de Jésus lors de sa passion. L’annonce de la résurrection, quant à elle, est faite assez abruptement. On a en fait dit que la plus grande partie de  l’ Évangile selon Marc est une introduction à ces événements.  Au long de son récit, Marc se concentre sur les actes de Jésus, comme les guérisons miraculeuses, davantage que sur ses discours.  Marc insiste sur chaque page de son Évangile que Jésus est le Fils de Dieu.  A la vérité, la toute première phrase de son ouvrage commence de la manière suivante :  « Commencement de lÉvangile de Jésus-Christ, le Fils de Dieu ».  Au moment précis de la mort de Jésus sur la croix, l’officier romain qui se tenait sur place s’écrie :  « Cet homme était vraiment le fils de Dieu ».  Pourtant, dans l’Évangile selon Marc, Jésus se présente aussi comme « le Fils de l’Homme », en particulier lorsqu’il annonce son retour et le Jugement final.  Nous lisons par exemple au chapitre 8 :  « Si quelquun a honte de moi et de mes paroles au milieu des hommes de ce temps, qui sont infidèles à Dieu et qui transgressent sa Loi, le Fils de lHomme, à son tour, aura honte de lui quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges. » En contraste, Jésus ne veut pas être couronné comme roi ou messie par les foules qui cherchent à s’emparer de sa personne pour qu’il chasse les occupants romains de leur terre.  Il se dérobe  régulièrement à eux, et lorsque  l’un de ceux qu’il a guéris, cherche  à confesser son nom et le proclamer comme Messie, Jésus lui intime de ne rien dire de tel en public.  La raison en est que ceux qui veulent le proclamer Messie,  ne comprennent pas sa mission et veulent surtout le récupérer pour des buts politiques purement humains.  Or,  la mission de Jésus-Christ, selon Marc, doit avant tout être comprise à la lumière de la relation filiale unique qu’il entretient avec Dieu.

Lors de notre prochaine émission, nous continuerons notre survol des quatre évangiles bibliques, en passant en revue l’Évangile selon Luc et l’Évangile selon Jean.