JUSTIFIER LA VIOLENCE ? (1)

 

L’époque à laquelle nous vivons n’est pas essentiellement différente de celle à laquelle nos parents ou nos ancêtres ont vécu :  malgré les bouleversements de toutes sortes auxquels nous devons faire face, comme les innovations technologiques, ou l’avènement de ce qu’on appelle le « village global », nous retrouvons inchangés au cours des âges certains problèmes qui affectent notre vie ou celle de nos proches.  L’un de ces problèmes est la violence.  Aujourd’hui je voudrais vous parler de cette question, à la lumière de la foi chrétienne.  Parlons plus particulièrement de la violence politique.  Les tensions internationales, le terrorisme justifié par certains au nom d’une cause ou d’une religion quelconque  m’amènent à aborder ce sujet d’actualité. 

 

Certes on pourrait distinguer plusieurs formes de violence politique :  par exemple l’oppression économique d’un groupe par un autre, la dictature violente d’un homme ou d’un groupe ne supportant aucune critique ou opposition, la guerre d’un état contre un autre, le terrorisme ayant des motivations idéologiques ou ethniques et bien d’autres formes encore.  Quelle est donc la racine de tels maux ?  Sans doute la soif du pouvoir, le désir de dominer, voire d’exploiter les autres, de s’approprier leurs biens.  Les conquêtes territoriales et la soif de gloire militaire sont souvent un moteur de violence.  Parfois on a affaire à un pur déchaînement d’instincts destructeurs qu’on justifie au nom d’une cause fabriquée.  Des adolescents voire des enfants embrigadés et armés par des adultes qui se servent d’eux, se comportent en tueurs sauvages. Des guerres ou des campagnes peuvent être entreprises pour opérer des conversions forcées à une religion donnée.  On a aussi bien souvent vu, au cours de l’histoire, des guerres alibi, déclenchées tout simplement pour redorer le blason terni d’un gouvernement ou d’un souverain quelconque.  La violence politique peut aussi trouver sa source dans un désir de vengeance.  Mais le ressort le plus profond de cette violence, c’est la haine de Dieu et de  son prochain.  Le catéchisme de Heidelberg, ce précieux résumé de la foi chrétienne vieux de quelque cinq cents ans, le dit sans ambages :  « par nature je suis enclin à haïr Dieu et mon prochain ».  Certes, cette haine ne se manifeste pas nécessairement sous la forme d’une violence politique quelconque, cependant celle-ci doit bien être attribuée avant tout à une telle haine. 

 

Dans la mesure où l’Évangile défend de haïr son prochain, toute forme de violence devrait être bannie d’une société ou d’une culture chrétienne.  Pourtant, hélas, on a trop souvent vu de par le passé, des nations dites chrétiennes se livrer à la violence entre elles, et ce pour quelques unes des raisons que je viens d’invoquer.  Il est évident que les mots du catéchisme, la mention de cette haine qui caractérise la nature de l’homme  non régénéré par l’Esprit de Dieu, s’appliquent à tous sans exception.  Un chrétien n’est pas quelqu’un qui est né  immaculé, sans faute ni tare.  Les Chrétiens qui cherchent à se connaître à la lumière de la Parole de Dieu savent et confessent qu’ils ont été conçus et sont nés dans le péché :  nous sommes incapables par nous mêmes de faire le bien et nous transgressons tous les jours et de plusieurs manières les commandements de Dieu, attirant sur nous sa colère et son juste jugement.  Les traces de  notre vieille nature sont toujours présentes: cette vieille nature se rebelle contre le commandement divin qui ordonne d’aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force, et d’aimer notre prochain comme nous-même.  Dans la vie des communautés, des pays ou des nations, cette nature rebelle s’est manifestée et se manifeste encore, prenant notamment la forme de la violence politique dont nous nous occupons aujourd’hui.

 

Cela dit, la foi chrétienne n’a pas de sens sans la repentance des oeuvres mauvaises, et sans la nécessaire réformation de la vie individuelle et communautaire par la Parole et l’Esprit de Dieu, le tout en vue d’une obéissance  croissante  au Seigneur Jésus-Christ.  Voilà pourquoi il nous faut constamment retourner à la source de la foi chrétienne, c’est-à-dire à l’ Évangile de Jésus-Christ.  Non seulement les personnes en tant que telles sont appelées à une telle réformation, mais les communautés, les nations voire les empires doivent se soumettre à l’impératif du Seigneur Jésus-Christ, le Chef suprême de l’univers tout entier.

 

L’Évangile justifie-t-il la violence ?  On ne trouve nulle part  dans le Nouveau Testament une telle justification.  Jésus-Christ invite ses disciples à le suivre dans son exemple et son attitude :  même s’il est le Fils de Dieu, et a le pouvoir d’invoquer des légions d’anges qui viendraient à son secours, en particulier au moment de son arrestation, il n’a pas recours à la violence, et dissuade ses disciples de le défendre par la force des armes.  Au chapitre vingt-deux de l’Évangile selon Luc, nous lisons un passage significatif qui nous éclaire sur l’attitude de Jésus sur toute cette question.  Il s’élève une dispute entre ses disciples pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand.  Jésus leur dit :  « Les rois des nations les dominent et ceux qui ont autorité sur elles se font appeler bienfaiteurs.  Il n’en est pas de même pour vous.  Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert.  Car qui est le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ?  N’est-ce pas celui qui est à table ?  Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. »  L’enseignement de Jésus ici est que le  pouvoir  ne doit pas se manifester comme volonté de domination, d’exploitation ou comme affirmation de supériorité, mais avant tout comme un service.  Et le Fils de Dieu devenu homme en a donné l’exemple le plus parfait.

 

Trouve-t-on dans le Nouveau Testament un quelconque appel à la violence physique ou morale pour forcer les non-Chrétiens à se convertir ?  Non, on ne trouve nulle part de telles injonctions.  Aucun appel à tuer les soi-disant « infidèles », aucun « jihad », aucun recours à la force pour forcer des conversions.  C’est en fait pacifiquement, et bien davantage par le sang des martyrs chrétiens, que l’empire romain a été graduellement conquis par le Christianisme.  Certes, une fois au pouvoir, avec les tentations que celui-ci amène immanquablement, des Chrétiens ont souvent été infidèles à cet esprit. Qu’on pense par exemple à l’empereur Charlemagne en Europe au neuvième siècle de notre ère. Mais je voudrais encore une fois souligner qu’il est nécessaire de retourner aux sources, c’est-à-dire à l’Évangile, pour juger du degré de fidélité ou d’infidélité des Chrétiens à leur Seigneur.  Car si l’on se tourne régulièrement et avec humilité vers le Christ des Évangiles, et vers sa Parole, ces derniers serviront toujours de correctif vis-à-vis des pratiques mauvaises d’hommes enclins par nature à haïr leur prochain.  Rappelons-nous aussi des paroles de Jésus-Christ dans l’Évangile selon Matthieu, au chapitre  7 :  « Quiconque me dit « Seigneur, Seigneur » nentrera pas forcément dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. »  De son côté, l’apôtre Paul, le grand missionnaire, écrit au chapitre dix de la lettre aux Romains que la prédication de l’Évangile demeure l’instrument par lequel Dieu travaille à la conversion des païens :  « Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils nont pas cru ?  Et comment croiront-ils en celui dont ils nont pas entendu parler ?  Et comment entendront-ils parler de lui, sans prédicateurs ?  Et comment y aura-t-il des prédicateurs, sils ne sont pas envoyés ?  selon quil est écrit :  quils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles ».  Les lettres de Paul sont remplies de vocabulaire militaire, mais il s’agit toujours d’images, d’analogies, de métaphores :  les armes du chrétien sont des armes spirituelles.  Par exemple, à la fin de sa lettre aux Chrétiens d’Éphèse, Paul enjoint ses lecteurs  à se revêtir de toutes les armes de Dieu afin de pouvoir tenir ferme contre les manoeuvres du diable : entre autres la cuirasse de la justice, le bouclier de la foi, le casque du salut et l’épée de l’Esprit. 

 

Cependant, quelqu’un dira :  soit, le Nouveau Testament enseigne bien ce que vous dites, et ne prone ni violence politique, ni violence religieuse, mais qu’en est-il de l’Ancien Testament, que vous considérez aussi, après tout, comme Parole inspirée de Dieu ?  Comment évaluez-vous par exemple le récit de la conquête de Canaan par Josué et les Israélites, récit marqué par la destruction des villes de Canaan et l’extermination des  populations locales ?  Je ne nie pas en effet que ces récits soient présents dans l’Ancien Testament, puisque notre série « la Bible racontée aux enfants » les a aussi passés en revue.  Il nous faut cependant bien comprendre leur fonction et le message qu’ils nous apportent aujourd’hui :  ce sont des récits historiques décrivant des événements qui se sont passés il y a plus de trois mille ans, et qui ne sont pas destinés à être répétés.  On ne pourrait en aucun cas les invoquer pour justifier une quelconque forme de croisade  religieuse.  Par delà la conquête militaire de Canaan, aussi brillante qu’elle ait pu être, ces récits témoignent du jugement incontournable de Dieu sur le monde païen en rébellion contre lui.  Le peuple de l’Alliance, dans la mesure où il reste fidèle à Dieu, est radicalement distingué du reste des nations.  Nous avons là une figure des choses à venir, c’est-à-dire de l’Alliance scellée en Jésus-Christ, et du jugement à venir, lequel est une réalité que la Bible ne cherche jamais à étouffer ou escamoter.  Mais l’ère inaugurée par l’incarnation de Jésus-Christ est l’ère de la patience de Dieu, qui appelle toutes ses créatures à se repentir et à se tourner vers lui et qui use de la prédication de l’Évangile pour proclamer cet appel.

 

Je vous propose la prochaine fois de continuer cette méditation sur le thème de la violence, et d’examiner ensemble d’autres passages de la Bible, en particulier de l’Ancien Testament, pour mieux saisir la position de la foi chrétienne  sur la question de la violence.