NE CHERCHEZ PAS LE VIVANT PARMI LES MORTS (1)

Amis auditeurs, si vous vous êtes déjà promenés dans certains cimetières, vous n’aurez pas manqué de remarquer des pierres tombales avec des inscriptions gravées, telles que : « Nous ne t’oublierons jamais » ou bien « à la mémoire éternelle de notre cher père », ou encore : « Regrets éternels ». Parfois une petite chapelle est érigée sur la tombe, avec un autel à l’intérieur. Les membres de la fanille peuvent y venir prier pour le repos de l’âme du défunt. Il est aussi frappant de constater que nombre de ces chapelles sont abandonnées et en très mauvais état. Cela fait des années que quelqu’un n’est pas venu y déposer quelques fleurs. Le vent fait grincer les portes branlantes de la petite chapelle grise ; la pluie tombe à l’intérieur à travers les fenêtres restées ouvertes, et après plusieurs décades, la mousse a poussé partout. Ce spectacle offre quelque chose de morbide. Qu’il est alors tragique de lire des inscriptions telles que : « Nous ne t’oublierons jamais », alors qu’on réalise que ceux-là même qui ont fait ériger la stèle ou la petite chapelle sont eux aussi morts depuis bien longtemps. On est presque saisi d’un sentiment de désespoir à cette vue, comme si le pouvoir de la mort demeurait intouchable de génération en génération. Qui pourrait se souvenir de tous ceux qui sont décédés depuis le début de l’humanité ?

 

Et pourtant, une des constantes de la nature humaine est de bâtir des monuments autour des ossements, afin de perpétuer la mémoire de ceux qui sont décédés. Pensez par exemple aux imposantes pyramides égyptiennes, ou encore au fameux Taj-Mahal en Inde. De cette façon, pense-t-on, ceux qui sont morts peuvent encore faire partie des vivants. Des constructions majestueuses sont érigées pour transmettre la mémoire des défunts aux générations suivantes, comme si l’âme des morts vivait encore dans leurs pierres. Ceux à qui un tel honneur est dévolu deviennent ainsi une pierre visible de l’édifice jamais achevé de l’histoire humaine, qui se construit de génération en génération. N’est-ce pas là le rêve d’un grand nombre, de laisser justement un nom dans l’histoire, un nom dont on se souviendra encore dans plusieurs siècles ? Certains n’hésiteront pas à accomplir des actions insensées, à battre des records sans aucun intérêt, afin que le futur de les oublie pas ; d’autres agiront héroïquement ou atteindront un idéal qui leur vaudra l’admiration de leurs contemporains voire des générations suivantes. Le besoin de surmonter sa propre mort d’une façon ou d’une autre restera toujours une obsession du genre humain.

 

Mais interrompons ces considérations pour nous tourner vers la Bible, plus précisément vers le récit de la résurrection de Jesus-Christ, tel que nous le rapporte l’Évangile selon Luc, au chapitre vingt-quatre. Après quoi nous reprendrons notre méditation. Ce récit suit celui de la crucifixion de Jésus, c’est-à-dire de sa mort infâmante sur une croix de bois sur laquelle les autorités religieuses et politiques de son temps l’avaient fait clouer comme un brigand, après un procès sommaire et une série de tortures physiques et morales. Les femmes qui avaient suivi Jésus pendant qu’il enseignait son peuple, avaient assisté de loin à sa crucifixion. Elles avaient vu où l’on avait déposé son corps, à savoir dans une tombe creusée dans le roc, devant laquelle une grosse pierre avait été placée, comme c’était la coutume à l’époque : « Le premier jour de la semaine, elles se rendirent à la tombe de grand matin, en apportant les huiles aromatiques qu’elles avaient préparées. Elles trouvèrent que la pierre avait été roulée de devant le tombeau ; elles entrèrent mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Pendant qu’elles en étaient encore à se demander ce que cela signifiait, deux personnages vêtus d’habits étincelants se tinrent tout à coup devant elles. Elles étaient tout effrayées et baissaient les yeux vers le sol. Ils leur dirent alors : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est plus ici, mais il est ressuscité. Rappelez-vous ce qu’il vous disait quand il était encore en Galilée : « Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. » Elles se souvinrent alors des paroles de Jésus. Elles revinrent du tombeau et allèrent otut raconter aux onze disciples. C’étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, la mère de Jacques. Quelques autres femmes, qui étaient avec elles, portèrent aussi la nouvelle aux apôtres ; mais ceux-ci trouvèrent leurs propos absurdes et n’y ajoutèrent pas foi. Pierre, cependant, partit et courut au tombeau. En se penchant, il ne vit que des linges funéraires. Il s’en retourna, très étonné de ce qui s’était passé. »

 

Amis auditeurs, je reprends le fil de la méditation entamée tout à l’heure, en vous posant une question : les femmes qui de grand matin au premier jour de la semaine se sont rendues à la tombe de Jésus en y apportant des huiles aromatiques, voulaient-elles perpétuer la mémoire de Jésus ? Voulaient-elles s’assurer que son nom ne serait pas oublié de sitôt ? Nous savons que les Juifs n’embaumaient pas les corps des morts, car une telle pratique, largement répandue parmi les nations païennes environnantes, était en contradiction directe avec leur foi : elles croyaient – avec raison – que seul Dieu peut rendre la vie aux morts. Il ne convient même pas de tâcher de conserver l’apparence de la vie à un corps mort, car tous nous avons été tirés de la poussière, et tous nous sommes destinés à redevenir poussière. Bien plutôt, avec les huiles aromatiques, les femmes voulaient donner à Jésus un ensevelissement décent, après la mort infâmante qui avait été la sienne sur la croix. Que des mains respectueuses lui témoignent un dernier hommage, après que sa vie se soit achevée entre les mains d’hommes sans respect. Que le Fils de l’homme repose désormais en paix, après l’agitation ayant marqué tout son ministère, lui qui n’avait pas même eu une pierre sur laquelle reposer sa tête. Que ces pieuses femmes contemplent une dernière fois son corps martyrisé, et conservent dans leur cœur le souvenir de cet homme exceptionnel, mêlé aux larmes causées par sa mort cruelle et injuste. Pour un peu de temps, une lumière a brillé dans leur vie, inoubliable, mais tout est maintenant bien fini.

 

Mais, amis auditeurs, la piété, les larmes et les souvenirs ne sauraient changer la mort en vie. Car ce sont des mouvements du cœur qui eux aussi sont destinés à disparaître. Seule une force divine pourrait accomplir un tel changement. Et lorsque les deux personnages aux vêtements resplendissants se tiennent devant les femmes, elles entendent de leur bouche cette étonnante parole : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » Mais où auraient-elles dû aller le chercher ? Si ce n’est pas dans la tombe où son corps a été placé, il n’y a plus aucune logique dans le cours de l’existence! Si le cycle de la naissance et de la mort n’existe plus, il n’y a plus d’ordre dans le monde. Tout devient alors incompréhensible… Le processus du deuil, des derniers hommages et des souvenirs auxquels les femmes s’étaient préparées ne peut avoir lieu, elles s’en trouvent soudain privées ! Il y a quelque chose de choquant dans cette parole, amis auditeurs : «Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » Tout ce qui est naturel aux hommes, ce à quoi nous sommes habitués, même s’il s’agit de l’expérience pénible de la mort d’autrui, se trouve ici renversé, tout comme la pierre du tombeau qui a été roulée. Non, on n’édifiera pas une pyramide sur la tombe de Jésus, car son corps deviendra un temple universel fait de pierres vivantes, c’est-à-dire de tous ceux qui, par la foi en sa mort et sa résurrection, seront greffés en lui. Les disicples ne construiront pas non plus un musée à l’endroit de sa tombe, avec toutes sortes d’objets ou d’habits lui ayant appartenu, car ce n’est pas de cette manière qu’on se souviendra de lui. Jésus-Christ ne se laisse pas enfermer dans un cercueil, que se soit par ses ennemis ou par ses disciples. Plus d’une fois il a dit de lui-même : Je suis, de telle manière que ceux qui l’écoutaient comprenaient immanquablement qu’il s’attribuait le nom révélé par Dieu à Moïse dans l’Ancien Testament : Yahweh, « je suis celui qui suis ». Il est, il était et il vient, c’est-à-dire : il est éternel et ne peut être retenu par les liens de la mort. Nous pouvons en fin de compte nous demander qui, des anges ou des femmes, sont les plus choqués : n’y a-t-il pas en effet quelque chose de choquant pour les anges, qui connaissent le Fils de Dieu comme celui qui est, à voir comment les humains le cherchent parmi les morts ?

 

Et c’est alors que se produit la chose la plus étonnante dans ce récit : les anges rappellent le souvenir des paroles de Jésus : « Rappelez-vous ce qu’il vous disait quand il était encore en Galilée : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. Elles se souvinrent alors des paroles de Jésus». Certes, amis auditeurs, les souvenirs ont une place dans notre vie, mais ils doivent être d’une autre nature que ce à quoi nous sommes habitués. Il nous faut nous souvenir, en effet, mais pas de nos idées toutes faites sur la personne de Jésus-Christ. Il nous faut nous souvenir de ses paroles, telles qu’elles nous ont été rapportées. Jésus-Christ lui-même a donné la seule vraie interprétation de tout ce qui lui est arrivé, de tous ces événements sur lesquels il a eu un contrôle total. Rappelez-vous de ce qu’il vous disait, tout cela faisait partie d’un plan préétabli ; rappelez-vous et comprenez maintenant!

 

Amis auditeurs, nous poursuivrons la prochaine fois cette méditation, en nous demandant ce que veut dire aujourd’hui « ne pas chercher le vivant parmi les morts ».