VENGEANCE OU PARDON? (1)

L’expression “oeil pour oeil dent pour dent”, amis auditeurs, est devenue proverbiale. Elle est connue sous le nom de “loi du talion”. Peu nombreux sans doute sont ceux qui savent qu’elle provient de la Bible, plus spécifiquement du livre de l’Exode, chapitre 21, verset 24. Ce passage fait partie des lois sur les coups et blessures, lois par lesquelles sentences, jugements, dommages et intérêts sont prescrits en fonction de la nature ou la gravité de l’acte commis. Mais lisons ensemble, si vous le voulez bien, le passage en question: “Lorsque des hommes se querelleront, heurteront une femme enceinte et la feront accoucher, sans autre accident, ils seront punis d’une amende imposée par le mari de la femme; on la paiera sur l’avis d’arbitres. Mais s’il y a un accident, tu donneras vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure.” Remarquons tout d’abord que la victime que cette loi cherche à dédommager, est la femme enceinte et l’enfant, ou les enfants, qu’elle porte en elle. La Bible prend donc au sérieux la protection des femmes dans la société, contrairement à ce qu’on allègue généralement. On ne peut impunément blesser une femme enceinte. La loi en question prescrit la peine qu’encourt le coupable, et ce faisant elle fait aussi office de parole dissuasive. S’il y a blessure, le coupable doit s’attendre à recevoir la même blessure que celle qu’il a infligée à cette femme. Il peut sembler a priori étrange qu’une loi de l’Ancien Testament s’intéresse à un cas comme celui-ci, à savoir un coup porté –peut-être même involontairement- à une femme enceinte pendant une dispute violente entre hommes. On comprendra mieux la nécessité d’une telle loi si l’on tient compte de la possibilité que la femme a pu vouloir s’interposer entre les deux hommes qui se querellent, voire les séparer.

Mais, me demanderez-vous, s’agit-il là d’une vengeance prescrite par la Bible et par Celui qui en a inspiré les mots? Pas du tout. Au chapitre 19 du livre du Lévitique, qui suit celui de l’Exode dans l’Ancien Testament, nous lisons, aux versets 17 et 18: “Tu ne haïras pas ton frère dans ton coeur; tu auras soin de reprendre ton compatriote, mais tu ne te chargeras pas d’un péché à cause de lui. Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas pas de rancune envers les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel.” Les lois de l’Ancien Testament sur les coups et blessures, voire les meurtres, sont instituées pour que justice soit rendue, sans que la gravité des faits soit couverte ou amoindrie, mais aussi sans qu’aucun débordement de haine ou de vengeance ne remplace une justice équitable. On ne pouvait prendre un bras, ou bien la vie même du coupable, si celui-ci avait fait perdre un oeil ou une dent. Un principe d’équité ou d’équivalence dans la peine encourue devait prévaloir sur toute émotion, tout sentiment de haine. Il visait aussi à empêcher toute rancune de se maintenir. A cet égard, la Loi et son respect témoignaient de la présence de Dieu au milieu de son peuple. C’est Lui qui, ayant donné Sa Loi par Moïse, avait prescrit la norme de ce qui est juste et équitable afin d’éviter tout débordement. Comme nous l’avons dit, ce principe d’équité dans la peine était aussi suffisamment dissuasif. Notez également que dans le cas d’une amende infligée à l’auteur d’un coup à la femme enceinte, lequel coup aurait provoqué un accouchement prématuré, sans autre dommage, le montant de cette amende était proposé par le mari de la femme; mais un tiers-parti indépendant, constitué de juges ou d’arbitres, intervenait pour évaluer si ce montant était équitable. En effet, dans sa colère ou son émotion, peut-être même par convoitise d’un gain inattendu, le mari aurait pu réclamer une somme beaucoup trop élevée. Ainsi donc, le principe d’équité cherchait à éviter aussi bien une punition disproportionnée, qu’une pitié qui oublierait la victime et s’occuperait avant tout d’épargner au coupable tout désagrément. Un autre exemple très explicite de ce principe nous est donné au livre du Deutéronome, chapitre 19 versets 16 à 21. Ce passage reprend le principe du talion tel que nous venons de le voir dans notre premier exemple: “Lorsqu’un témoin à charge se dressera contre quelqu’un pour l’accuser d’un crime, les deux hommes en contestation se tiendront devant l’Éternel, devant les sacrificateurs et les juges en fonction ces jours-là. Les juges feront une enquête sérieuse. Le témoin est-il un faux témoin, a-t-il fait contre son frère une fausse déposition, alors vous le traiterez comme il avait dessein de traiter son frère. Tu extirperas ainsi le mal du milieu de toi. Les autres l’apprendront et auront de la crainte et l’on ne commettra plus un acte aussi criminel au milieu de toi. Ton oeil sera sans pitié: vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied.” Nous retrouvons ici le principe d’équité, celui de la peine méritée par le coupable -peine non seulement prononcée mais aussi appliquée-, la valeur dissuasive de cette peine, et les effets positifs dans l’ensemble de la société: le mal s’en trouve extirpé. Notons aussi l’insistance sur le sérieux de l’enquête dont doivent faire preuve les juges en service.

Ces exemples peuvent-ils servir de norme pour la société aujourd’hui? Quelle valeur pouvons nous leur attribuer dans un monde qui semble si différent de celui de l’Ancien Testament? Notre sensibilité ne s’accommode plus guère des châtiments corporels, d’autant plus que nous voyons certaines sociétés musulmanes appliquer de la manière la plus barbare amputations de mains et de pieds pour punir de simples larcins. Dans certaines terres d’Islam, il n’est même pas rare de voir des femmes carrément lapidées parce qu’elles ont eu le malheur de dévoiler accidentellement un centimètre carré de leur peau. Ici, ce n’est pas la protection de la femme, mais son oppression sous les formes les plus extrêmes, qui est de mise. Mais, amis auditeurs, pour revenir à l’Ancien Testament, un chrétien qui lit la Bible sérieusement sait qu’en définitive il ne peut comprendre et interpréter correctement cet Ancien Testament à moins de tenir compte de la lumière apportée par le Nouveau Testament et par la personne de Jésus-Christ, lui qui, selon son propre témoignage, est “la lumière du monde” (Jean 9:5). Or nous lisons dans l’évangile selon Matthieu, (chapitre 5 versets 38 à 41) que Jésus-Christ déclare: “Vous avez entendu qu’il a été dit: “Oeil pour oeil, dent pour dent. Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te traîner en justice, et prendre ta tunique, laisse lui encore ton manteau. Si quelqu’un te réquisitionne pour porter un fardeau sur un kilomètre, porte le sur deux kilomètres avec lui. Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.”

Quel nouveau principe Jésus-Christ apprend-il ici à ses disciples? Rejette-t-il tout de go l’enseignement de l’Ancien Testament? On pourrait le penser a priori. Pourtant, tel n’est pas le cas. D’abord parce que Jésus met l’accent sur l’attitude personnelle de la personne lésée, et non sur le système judiciaire en soi, et sa validité. Il est question ici de la réaction personnelle manifestée par la personne lésée vis-à-vis de la personne qui a provoqué le tort. Contre ceux qui ne voyaient que l’application stricte de la peine prescrite, et s’endurcissaient dans un légalisme étroit, Jésus enseigne la magnanimité, le refus de la vengeance, le pardon des offenses. En fait il dévoile un aspect qui, comme nous l’avons vu, est bel et bien contenu dans la Loi: le refus de la vengeance, l’amour du prochain. Jésus dévoile cet aspect parce que jusqu’à ce qu’il en parle aussi clairement et avec son autorité divine, la plénitude de ce principe est encore voilée aux hommes pécheurs. En effet l’application stricte du principe d’équité selon la loi mosaïque ne signifie pas en soi qu’on vive une relation harmonieuse avec le Dieu de Grâce. Ce principe d’équité est bien édicté par Dieu, mais il n’implique nullement la pureté automatique du coeur et des intentions de ceux qui l’appliquent. Or, il importe de souligner ici que Jésus-Christ ne peut proférer les paroles que nous avons lues dans l’évangile selon Matthieu, que parce qu’Il est Lui-Même la manifestation de la Grâce divine par excellence, l’expression de la magnanimité de Dieu qui a pardonné au pécheur et n’a pas tenu compte de ses péchés. Selon la Bible en effet, tout homme ou toute femme se trouve en état de désobéissance vis-à-vis de Dieu, et de ce fait mérite la mort. Pour rendre bien clair cet enseignement fondamental de la Bible, lisons ensemble un passage crucial dans la lettre de l’apôtre Paul aux Romains, au chapitre 3, versets 23 à 26: “Tous ont péché, en effet, et sont privés de la glorieuse présence de Dieu, et ils sont déclarés justes par sa grâce; c’est un don que Dieu leur fait par le moyen de la délivrance apportée par Jésus-Christ. C’est lui que Dieu a offert comme une victime destinée à expier les péchés pour ceux qui croient en son sacrifice. Ce sacrifice montre la justice de Dieu qui a pu laisser impunis les péchés commis autrefois, au temps de sa patience. Ce sacrifice montre aussi la justice de Dieu dans le temps présent, car il lui permet d’être juste, tout en déclarant juste celui qui croit en Jésus.” Notez-le bien, cette magnanimité de Dieu s’est principalement manifestée dans le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix, selon le principe d’équité. Rappelez-vous des paroles du Deutéronome: “Vie pour vie”. C’est uniquement parce que Christ donne sa vie pour ceux que Dieu a rachetés, que ceux-ci sont exemptés de cette peine. Mais quelqu’un a bien payé la rançon, quelqu’un a bien subi la peine, vie pour vie”: et ce quelqu’un, c’est Dieu Lui-Même, en la personne de Son Fils Jésus-Christ. Voilà donc l’expression la plus parfaite de la magnanimité, de la miséricorde divine. C’est en tant que porteur de cette miséricorde divine dans sa personne même, que Jésus-Christ détient l’autorité pour parler comme il le fait dans l’évangile selon Matthieu. Il appelle ceux qui veulent devenir ses disciples à exercer une magnanimité semblable à celle dont il fera preuve tout au long de son ministère, et plus particulièrement au moment du don total de Sa personne, sur la Croix de Golgotha. Car sur la Croix, Dieu a pardonné en la personne de Jésus-Christ, Lui dont les ennemis se sont partagé la tunique; Lui qui auparavant n’avait pas répondu aux injures, aux gifles, aux coups; Lui qui jamais n’a désobéi à la Loi qui commande d’aimer Dieu et son prochain. Il a donc accompli cette Loi dans ses actes tout au long de sa vie. Mais en offrant cette même vie sur la Croix, il a accompli la Loi d’une manière supplémentaire: celle-ci exigeait la vie de chaque pécheur, et exprimait cette exigence en demandant des sacrifices rituels d’animaux, symboles de la vie redemandée en rançon du péché. Christ paye une fois pour toute la rançon exigée, non pas de manière symbolique, mais de manière réelle, totale et définitive. Nous pouvons alors comprendre avec la plus grande clarté les paroles de Jésus rapportées par l’évangéliste Matthieu dans ce même chapitre 5 dont nous avons lu tout à l’heure quelques phrases: “Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir.” En dévoilant ainsi son amour pour son peuple, Dieu révèle l’étendue de sa magnanimité, et enseigne à ses enfants rachetés à Lui ressembler. Il leur enseigne à comprendre une dimension qu’aucun humain n’aurait pu saisir autrement: amour et justice, équité et pardon, miséricorde et châtiment sont possibles dans le plan divin sans s’exclure mutuellement. Ils ont trouvé leur expression parfaite dans la personne et l’oeuvre de Jésus-Christ. Lors de notre prochaine émission, nous réfléchirons ensemble sur les implications pour la société et pour notre conduite personnelle de l’enseignement de Jésus-Christ sur la miséricorde et la justice.