DE LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE (1)

Amis auditeurs, connaissez-vous le Traité de la liberté chrétienne écrit par le  Réformateur allemand Martin Luther en 1520?  Il s’agit d’un des plus grands et plus beaux écrits de son auteur, et aussi de la littérature chrétienne en général.  Bien que rédigé il y a presque cinq cents ans, son contenu reste d’une actualité et d’une profondeur sans pareille.  Le thème de la liberté chrétienne y est développé en relation avec la foi, car, nous dit Luther, la liberté chrétienne nous est donnée dans la foi.  Ce n’est pas une liberté d’indiscipline du croyant à l’égard de lui-même ni de dégagement à l’égard des hommes.  Au contraire, cette liberté s’exprime dans une relation du croyant avec le monde, dans le combat propre de la foi qui lie le chrétien à ses semblables dans une relation fondamentale de service.  Cette relation royale et spirituelle avec le monde ne demeure telle que dans la fermeté de la foi en Jésus-Christ.  Luther ne peut dépeindre une telle foi qu’avec des images telles que celle de l’unité nuptiale, avec sa communauté de tous les biens.

Au cours de cette nouvelle série d’émissions de “Foi et Vie Réformées”, je voudrais vous présenter ce Traité sur la liberté chrétienne de Martin Luther, en en citant les passages les plus importants et en les méditant avec vous.  Voilà comment il débute:  C’est une chose facile, aux yeux de beaucoup de gens, que de parler de la foi chrétienne.  Et ils sont bien nombreux ceux qui la comptent parmi les vertus, mêmes communes.  Ils font ainsi parce qu’ils n’en ont aucune expérience, qu’ils ne l’ont pas éprouvée et qu’ils n’en ont jamais goûté la grande puissance.  A quiconque ne l’a pas goûtée une fois ou l’autre du dedans, sous l’emprise des épreuves, il est impossible d’écrire quoi que ce soit de juste à son sujet ni de comprendre ce qu’on en aurait écrit de vrai.  Mais quiconque y a goûté, si peu que ce soit, ne se lassera jamais d’en parler ou d’y penser: c’est une source d’eau vive qui jaillit en vie éternelle, comme Jésus-Christ l’appelle au quatrième chapitre de l’évangile de Jean.

Après ces quelques phrases d’introduction sur le caractère de la foi chrétienne, Luther présente l’affirmation fondamentale qui gouverne son Traité:  Le chrétien est l’homme le plus libre; maître de toutes choses il n’est assujetti à personne.  L’homme chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs; il est assujetti à tous.”  Et il poursuit: “Ces affirmations paraissent se contredire; elles appuieront au contraire très bien notre propos, pour peu que l’on découvre leur accord.  Car elles sont l’une et l’autre de l’apôtre Paul lui-même: ‘Bien que je sois un homme libre à l’égard de tous, dit-il dans 1 Corinthiens 9, je me suis fait le serviteur de tous’; et au treizième chapitre de sa lettre aux Romains: ‘Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres’. Or, l’amour est serviable par nature et il  cède à celui qui est aimé.  De même, bien que  Seigneur de toute créature, Christ est né d’une femme, il est venu se mettre sous la loi, tout à la fois libre et serviteur, tout ensemble en forme de Dieu et en forme de serviteur.” 

Puis Luther opère une distinction entre l’homme intérieur, où, si vous préférez, l’âme humaine, et l’homme extérieur, corporel.  Il écrit ceci: “Il est bien évident qu’aucune chose extérieure, de quelque nom qu’on la nomme, ne contribue le moins du monde à procurer la justice ou la liberté chrétienne, pas plus qu’elle ne fait l’injustice ou la servitude; on s’en persuadera sans peine.  Que gagne l’âme en effet, à ce que le corps soit bien portant, libre, plein de vie, qu’il mange, qu’il boive et qu’il fasse ce que bon lui semble?  Il n’est pas jusqu’aux hommes impies qui n’aient ces choses en abondance, et ils sont esclaves de tous les vices!  Inversement, que font perdre à l’âme la mauvaise santé, ou la captivité ou la faim ou la soif ou tel préjudice extérieur que l’on voudra, puisqu’il arrive aux hommes les plus fidèles d’être atteints de ces misères, alors qu’en toute conscience, ils se savent parfaitement libres?  Rien de tout cela, dans un cas comme dans l’autre, ne touche ni à la liberté, ni à la servitude.  De même, il ne sert de rien d’orner le corps de vêtements sacrés, comme le font les hommes voués à la prêtrise, de hanter les lieux saints, de s’adonner aux saintes cérémonies, de prier, de jeûner, de s’abstenir de certains aliments ou de faire toutes les oeuvres dont le corps est capable: c’est tout autre chose qu’il faut pour la justice et la liberté de l’âme.  N’importe quel homme impie ne peut-il pas s’acquitter de ce que je viens de dire et tout ce zèle peut-il donner lieu à autre chose qu’à l’hypocrisie?”  Luther affirme qu’une seule chose est nécessaire pour la vie, pour la justice et la liberté chrétienne: cette chose est la très sainte Parole de Dieu, l’Évangile de Christ.  Voyez jean 11, dit-il, citant les paroles mêmes de Jésus-Christ: Je suis la résurrection et la vie; celui qui croit en moi ne mourra jamais.  Ou encore Jean 8: Si le Fils vous affranchit, vous serez véritablement libres; et Matthieu 4: L’homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.  Il est certain – et l’on peut s’y tenir fermement- que l’âme peut se passer de tout, à l’exception de la Parole de Dieu, sans laquelle rien ne lui est utile.  Si elle a cette Parole, elle est riche, elle ne manque de rien; c’est la Parole de vie, de vérité, de lumière, de paix, de justice, de salut, de joie, de liberté, de sagesse, de force, de grâce, de gloire et de tout bien, au-delà de toute mesure.  Voilà pourquoi, tout au long du psaume 119 et en beaucoup d’autres lieux, le prophète soupire après la Parole de Dieu et l’invoque avec tant de gémissements et de cris.  Quelle plaie plus cruelle la colère de Dieu peut-elle envoyer que de ne plus faire entendre sa parole: c’est la famine dont parle le prophète Amos; de même, il n’y a pas de grâce plus grande que lorsqu’il fait retentir sa parole, comme le dit le psaume 106: Il a envoyé sa parole et il les a guéris; et il les a arrachés à leur perdition.  Christ lui-même n’a pas été envoyé pour une autre mission que pour celle de la Parole.  Et l’ordre ecclésiastique tout entier n’a pas reçu d’autre vocation et il n’a pas été institué pour un autre ministère que celui de la Parole.

Mais, poursuit Luther, on pourrait demander: qu’est-ce que c’est que cette parole, les paroles de Dieu sont en si grand nombre…  Luther reprend le tout début de la lettre de Paul aux Romains pour donner de manière concentrée le contenu de cette Parole: C’est l’Évangile de Dieu qui annonce son Fils né dans la chair, qui a souffert, qui est ressuscité et qui a été glorifié par l’Esprit sanctifiant.  Il a annoncé Christ: cela signifie qu’il a plongé l’âme dans l’épouvante, qu’il l’a justifiée, affranchie et sauvée, si elle croit à cette prédication.  Car c’est dans la foi seule que se trouve l’usage salutaire et efficace de la Parole de Dieu, comme le dit Romains 10: ‘Si ta bouche confesse que Jésus est le Seigneur et si tu crois dans ton coeur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé.’  Et encore, Romains 1:17: ‘Le juste vivra par la foi’.  Car, à l’exclusion des oeuvres, c’est la foi seule qui peut accueillir et honorer la Parole de Dieu.  Il est donc évident que l’âme n’a besoin que de la seule Parole pour accéder à la vie et à la justice, et qu’ainsi elle est justifiée par la foi seule et non par des oeuvres.  Si elle pouvait être justifiée par autre chose, elle n’aurait pas besoin de la Parole ni, dès lors, de la foi.  C’est pourquoi, pour peu que tu commences à croire, tu apprends du même coup qu’il n’y a en toi que culpabilité, péchés, et que tout en toi est digne de condamnation.  C’est ce que dit Romains 3: ‘Il n’y a point de juste, il n’y en a pas un qui fasse le bien.  Ils se sont tous égarés et les voici réduits à rien.’  Si tu le reconnais, tu sauras que Christ t’est nécessaire, lui qui a souffert et qui est ressuscité pour toi afin que tu croies en lui et que, par cette foi, tu sois un homme nouveau, ayant reçu le pardon de tous tes péchés, un être justifié par les mérites d’un autre: ceux de Christ seul.  Cette foi n’a son domaine propre que dans l’homme intérieur, comme le dit Romains 10: ‘C’est en croyant du coeur que l’on vient à la justice’.  Comme seule cette foi justifie, il est manifeste que l’homme intérieur ne saurait jamais être justifié, affranchi ni sauvé par une oeuvre ou par une entreprise extérieures; aucune oeuvre, quoiqu’elle puisse être, ne pénètre jusqu’à lui.   Inversement, ce ne sont pas un péché ou une oeuvre extérieure mais seules son impiété et l’incrédulité de son coeur qui font de lui un homme coupable et un esclave du péché, promis à la condamnation.  C’est pourquoi, laissant de côté ce qu’il pensait des oeuvres, le premier soin de tout chrétien doit être d’affermir sa foi de plus en plus et, par elle, de croître dans la connaissance: non la connaissance des oeuvres mais celle du Christ Jésus qui est mort et ressuscité pour lui.  Aucune autre oeuvre ne fait d’un homme un chrétien.  C’est ce que Christ répondit un jour -évangile de Jean chapitre 6- aux Juifs qui lui demandaient ce qu’ils devaient faire pour accomplir les oeuvres de Dieu.  Repoussant la multitude des oeuvres, dont il les voyait tout fiers, il leur prescrivit une seule chose: ‘C’est ici l’oeuvre de Dieu, dit-il, que vous croyiez à celui qu’il a envoyé, car c’est lui que le Père a désigné.’  Une foi droite en Christ est donc un trésor incomparable, qui porte en soi la plénitude du salut et qui sauve de tout mal, comme le dit Marc en son dernier chapitre: ‘Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé; celui qui ne croira pas sera condamné”.  Ayant entrevu ce trésor, Ésaïe a prédit – chapitre 10– que “le Seigneur ferait venir sur terre sa parole en une somme abrégée et comme un feu consumant et que, en s’accomplissant, cette abbréviation inonderait la terre de justice.’  C’est comme s’il disait que la foi qui est, en bref, la plénitude achevée de la loi, remplira les croyants d’une justice si grande qu’ils n’auront besoin de rien d’autre pour y parvenir.  Paul ne s’exprime pas autrement en Romains 10: ‘C’est en croyant de coeur que l’on parvient à la justice.”

Vous avez constaté, amis auditeurs, que Luther s’appuie sur de nombreux passages de la lettre de Paul aux Romains, dans le Nouveau Testament, pour parler de la foi qui seule justifie le croyant devant Dieu.  Il pose ensuite la question de savoir comment il se fait que la foi seule justifie et que, sans le concours des oeuvres, elle nous mette en possession d’un trésor de biens si considérables: pourquoi  un si grand nombre d’oeuvres, de cérémonies, de lois nous sont-elles alors prescrites dans la Bible? Je poursuivrai avec vous la prochaine fois la lecture du Traité sur la liberté chrétienne de Martin Luther, et reprendrai le cours de cette présentation à cet endroit précis.