DE LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE (2)

Amis auditeurs, je poursuis aujourd’hui la lecture du Traité de la liberté chrétienne de Martin Luther, écrit il y a quelque cinq cents ans, en 1520. Nous avons vu que Luther s’appuie sur de nombreux passages de la lettre de Paul aux Romains, dans le Nouveau Testament, pour parler de la foi qui seule justifie le croyant devant Dieu.  Il pose ensuite la question de savoir comment il se fait que la foi seule justifie et que, sans le concours des oeuvres, elle nous mette en possession d’un trésor de biens si considérables: pourquoi  un si grand nombre d’oeuvres, de cérémonies, de lois nous sont-elles alors prescrites dans la Bible?  Luther invite ses lecteurs à considérer que l’Écriture, c’est-à-dire la Bible, est faite de deux parties: les préceptes et les promesses.  “Les préceptes, écrit-il,  enseignent ce qu’il est bon de faire.  Mais l’exécution ne suit pas aussitôt le commandement!  Les préceptes nous montrent ce que nous avons à faire, mais ils ne donnent pas le pouvoir de le faire.  Ils sont destinés à révéler l’homme à lui-même; il faut que, par eux, il connaisse son impuissance à faire le bien et qu’il désespère de ses forces.  C’est pour cela qu’ils sont appelés du nom d’Ancien Testament et qu’ils sont effectivement un ancien testament.  C’est ainsi qu’en nous disant: “Tu ne convoiteras pas”, le précepte nous convainc tous de péché, car personne ne peut s’empêcher de convoiter, quoi qu’il fasse pour s’y opposer. Pour qu’il ne convoite pas et qu’il accomplisse le commandement, il est amené à désespérer de lui-même et à chercher ailleurs et par le moyen d’un autre le secours qu’il ne trouve pas en soi.  C’est bien ce que dit le prophète Osée: ‘Dans ta perdition, Israël, ton secours n’est qu’en moi.’  Ce qui est vrai pour ce précepte particulier l’est aussi pour tous les autres: il n’est pas en notre pouvoir d’en accomplir un seul.  Lorsque les préceptes ont fait connaître à l’homme son impuissance et que le voilà anxieux de savoir ce qu’il pourra bien faire pour satisfaire à une loi dont aucune lettre ni aucun trait ne sauraient être négligés, (faute de quoi l’on est perdu sans espoir) alors, vraiment humilié et réduit à néant à ses propres yeux, il ne trouve rien en lui-même qui le justifie ou qui le sauve.  Voici alors la seconde partie de l’Écriture.  Ce sont les promesses de Dieu, qui annoncent la gloire de Dieu et qui te disent: ‘Si tu veux accomplir la loi et ne pas convoiter, comme elle l’exige, eh bien, toi, crois en Christ en qui te sont promises la grâce, la justice, la paix, la liberté et toutes choses.  Si tu crois, elles seront à toi; si tu ne crois pas, tu en seras privé.’  Car ce que toutes les oeuvres de la loi, si nombreuses et pourtant inutiles, ne te permettent pas de faire, tu l’accompliras facilement en prenant le raccourci qu’est le chemin de la foi.  Car Dieu le Père a tout mis dans la foi pour que quiconque a la foi possède toutes choses et celui qui ne l’a pas ne possède rien.  Les promesses de Dieu donnent donc ce que les préceptes exigent et elles accomplissent ce que la loi ordonne, de telle sorte que tout vient de Dieu seul: les préceptes et leur accomplissement.  Il ordonne, lui seul, et, seul aussi, il accomplit.  Les promesses de Dieu appartiennent donc au Nouveau Testament; que dis-je, elles sont proprement le Nouveau Testament.  Or, ces promesses de Dieu sont des paroles saintes, vraies, justes; ce sont des paroles de liberté, d’apaisement et pleines de toute bonté: l’âme donc, qui s’attache à elles d’une foi ferme, leur est tellement unie et, plus exactement, elle s’y absorbe si entièrement, qu’elle ne se borne pas à participer à toute leur vertu mais qu’elle en est rassasiée jusqu’à l’ivresse.  Si, en effet, le contact du Christ procurait la guérison, combien plus ce contact subtil en esprit ou, mieux, cette absorption en sa parole, communiquent-ils à l’âme tout ce qui appartient à la parole!  C’est donc ainsi, par la foi seule, sans le concours des oeuvres, que la parole de Dieu justifie l’âme, la sanctifie, la conduit dans la vérité, l’apaise, l’affranchit, la comble de tout bien et fait d’elle un enfant de Dieu.  ‘A ceux qui croient en son nom, dit la première lettre de Jean , il a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu.’

 

Après avoir ainsi parlé de la foi, en s’appuyant sur plusieurs passages de l’Écriture, en particulier la lettre de Paul aux Romains, Luther conclut que la liberté chrétienne, qui est la foi,  ne nous abandonne ni à l’oisiveté ni au mal, mais, grâce à elle, personne n’a besoin de la loi ou des oeuvres pour parvenir à la justice et au salut.  C’est la première vertu de la foi.  Ensuite vient la seconde.

S’il nous faut croire à quelqu’un, cela veut dire qu’il nous faut le considérer comme vrai et digne de foi.  C’est comme cela que nous l’honorons.  On ne peut rendre à Dieu de culte plus excellent que de lui reconnaître la véracité, la justice et, d’ailleurs, tout ce qu’il convient d’attribuer à celui en qui l’on croit’.  C’est de cette manière que l’âme s’offre à Dieu.  Elle s’attache à ses promesses, elle ne doute pas qu’il agira avec perfection, car il est véridique, juste et sage.  En agissant ainsi et en ayant une telle foi, une âme ne fait-elle pas preuve de l’obéissance la plus entière?” (…)  En revanche, quelle rebellion, quelle impiété et quelle injure plus grande envers Dieu que de ne pas croire à ses promesses? Ce n’est pas autre chose que d’estimer Dieu être menteur, c’est s’arroger la vérité tout en attribuant à Dieu le mensonge et la vanité.  Celui qui agit ainsi ne nie-t-il pas Dieu et, dans son coeur, ne fait-il pas de sa propre personne son idole?  De quelle utilité peuvent alors être les oeuvres que l’on fait avec de telles pensées? (…)  Mais dès l’instant que Dieu se voit reconnaître la vérité, et que la foi de notre coeur l’honore de tout l’honneur dont il est digne, il nous honore en retour, en nous attribuant à nous aussi la vérité et la justice à cause de cette foi.  Car c’est la foi qui constitue la vérité et la justice, en rendant à Dieu ce qui lui appartient.  Et c’est pourquoi, en retour, Dieu fait resplendir sa gloire dans notre justice.”

 

Luther ajoute ensuite une troisième grâce qui appartient à la foi, et qu’il qualifie d’incomparable: “La foi unit l’âme à Christ comme l’épouse est unie à l’époux.  Par ce mystère, dit l’apôtre Paul, Christ et l’âme deviennent une seule chair.  Une seule chair: s’il en est ainsi et s’il s’agit entre eux d’un vrai mariage, et, plus encore, d’un mariage consommé infiniment plus parfait que tous les autres – les mariages entre humains ne sont que de pâles images de cet exemple unique – il s’ensuit que tout ce qui leur appartient constitue désormais une possession commune, tant les biens que les maux.  Ainsi, tout ce que Christ possède, l’âme fidèle peut s’en prévaloir et s’en glorifier comme de son bien propre, et tout ce qui est à l’âme, Christ se l’arroge et le fait sien.  Christ est plénitude de grâce, de vie et de salut: l’âme ne possède que ses péchés, la mort et la condamnation.  Qu’intervienne la foi et, voici, Christ prend à lui les péchés, la mort et l’enfer; à l’âme en revanche sont donnés la grâce, la vie et le salut.  Car il faut bien que Christ, s’il est l’époux, accepte tout ce qui appartient à l’épouse et, tout à la fois, qu’il fasse part à l’épouse de tout ce qu’il possède lui-même.  Qui donne son propre corps et se donne lui-même, comment ne donnerait-il pas en même temps tout ce qui lui appartient?  Et comment celui qui prend le corps de l’épouse ne prendrait-il pas tout ce qui appartient à l’épouse?

 

Mais voici déjà que se présente à nous le plus émouvant des spectacles.  Il ne s’agit plus seulement de communion mais d’un combat salutaire, de victoire, de salut et de rédemption.  Dieu et homme tout à la fois et, comme tel, au-dessus du péché, de la mort et de la damnation, Christ est invincible, éternel et tout-puissant, et, avec lui, sa justice, sa vie et son pouvoir de salut.  Or, c’est lui qui, en vertu des noces de la foi, prend sa part des péchés, de la mort et de l’enfer de l’épouse.  Que dis-je?  Il les fait entièrement siens, comme s’ils étaient vraiment à lui et qu’il avait péché.  Il souffre, il meurt, il descend en enfer: mais c’est pour tout surmonter.  Car ni le péché, ni la mort ni l’enfer ne pouvaient l’engloutir et c’est lui qui, dans un prodigieux combat, devait les anéantir.  Car sa justice est plus haute que les péchés du monde entier, sa vie est plus puissante que toute la mort et son salut est plus invincible que les profondeurs de l’enfer.  Ainsi, par les arrhes de la foi en Christ, son époux, l’âme fidèle est affranchie de tout péché, à l’abri de la mort et assurée contre l’enfer, gratifiée de la justice éternelle, de la vie et du salut de Christ, son époux.  C’est ainsi qu’il se donne une épouse glorieuse, sans tache ni ride, il la purifie dans le bain de sa Parole de vie, c’est-à-dire par la foi en sa Parole, en sa vie, en sa justice et en son salut.  Telles sont les noces dans lesquelles il l’unit à soi: la foi, la miséricorde et les compassions, la justice et le jugement.”

 Qui donc pourrait se faire une idée digne de ce mariage royal?  Et qui pourrait embrasser les glorieuses richesses d’une telle grâce? Voici que, riche et saint, Christ, l’époux, prend pour épouse cette prostituée chétive, pauvre et impie; il la rachète de tous ses maux, il la pare de tous ses biens.  Il n’est plus possible que ses péchés la perdent, car ils reposent sur Christ et sont engloutis en lui.  Quant à elle, elle possède en Christ la justice qu’elle peut regarder comme la sienne propre et qu’à l’encontre de tous ses péchés, elle peut opposer en toute assurance à la mort et à l’enfer en disant; ‘Si moi j’ai péché, mon Christ n’a pas péché; c’est en lui que je crois, tout ce qui est à lui est à moi, et tout ce qui est à moi est à lui’ selon le Cantique des Cantiques: ‘Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui.’  C’est aussi ce que dit Paul dans sa première lettre aux  Corinthiens chapitre 15: “Grâces soient rendus à Dieu qui nous a donné la victoire par Jésus-Christ notre Seigneur.” 

 

Amis auditeurs, si vous le voulez bien je poursuivrai l’exposition de ce merveilleux traité sur la liberté chrétienne de Martin Luther au cours de la prochaine émission de “Foi et Vie Réformées.”