DE LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE (3)

 Amis auditeurs, je poursuis aujourd’hui l’exposition sur le Traité de la liberté chrétienne rédigé en 1520 par le Réformateur allemand Martin Luther.  Rappelons l’affirmation initiale qui gouverne tout ce traité: “Le chrétien est l’homme le plus libre; maître de toutes choses il n’est assujetti à personne.  L’homme chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs; il est assujetti à tous.” 

Luther a présenté trois vertus, ou propriétés, de la foi: la première est que c’est par la foi seule, sans l’aide des oeuvres, que la Parole de Dieu justifie l’âme, la sanctifie, la conduit dans la vérité, l’apaise, l’affranchit, la comble de tout bien et fait d’elle un enfant de Dieu.  La seconde vertu de la foi est qu’elle s’attache aux promesses de Dieu et les tient pour véridiques, honorant Dieu de cette manière.  La troisième est que la foi unit l’âme à Christ comme l’épouse est unie à l’époux.  Ainsi, tout  ce qui appartient à Christ est  communiqué à celui qui a la foi, tandis que Christ prend sur lui toutes les faiblesses du croyant, lequel demeure un pécheur.  Ceci permet à Luther de conclure de la manière suivante: “Te voilà une fois de plus apte à comprendre pourquoi l’on peut faire une part si belle à la foi: dire qu’elle seule accomplit la loi et qu’elle justifie sans le concours d’aucune oeuvre.  Considérons en effet le premier commandement: ‘Tu adoreras Dieu seul’.  Il n’est accompli que par la foi.  Si, de la plante des pieds au sommet de la tête, tu n’étais que bonnes oeuvres, tu ne serais pas juste pour autant et tu ne servirais pas Dieu ni n’accomplirais le premier commandement, car on ne saurait adorer Dieu sans lui faire l’honneur de le reconnaître pour vrai et de lui imputer toute bonté.  Et c’est bien ce qu’il faut faire.(…)  Je ne demande pas quelles sont les oeuvres que l’on fait, mais plutôt qui les fait: qui est celui qui glorifie Dieu et qui produit des oeuvres.  C’est la foi du coeur qui fait cela, elle qui est la tête de toute notre justice et qui en est la substance.”

A partir de là, Luther montre ce que Christ, l’époux, communique à tous ceux qui croient en lui, en vertu du droit nuptial qui fait que tout ce qui appartient à l’époux appartient aussi à l’épouse.  Dans l’Ancien Testament, le fils aîné d’une famille était considéré comme supérieur parce qu’il était à la fois le prêtre et le seigneur de tous les autres.  Ce droit d’aînesse était, dit Luther, une figure qui annonçait Christ, le vrai et l’unique premier-né de Dieu le Père et de la Vierge Marie.  Il est véritablement roi et prêtre, autrement que selon la nature humaine.  Or, poursuit Luther, de même que Christ possède ces deux dignités par droit de primogéniture, il en fait part à tous ceux qui croient en lui et il en fait leur bien commun.  Tous ceux qui croient en Christ sont donc faits rois et prêtres en lui.  C’est ce que dit 1 Pierre chapitre 2: “Vous êtes la race élue, le peuple que Dieu s’est acquis, la prêtrise royale, afin d’annoncer les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière.  Voici ce que veulent dire ces deux dignités, de roi et de prêtre: le règne signifie que, par la foi, le chrétien est à ce point élevé au-dessus de tout, en puissance spirituelle, qu’il est entièrement maître de toutes choses; il n’y a, de la sorte, absolument rien qui puisse lui faire le moindre tort mais, à l’opposé, toutes choses lui sont soumises et contraintes de servir à son salut.  C’est ainsi que Paul dit aux Romains: ‘Toutes choses coopèrent au bien des élus.’  Et pareillement aux Corinthiens: ‘Toutes choses sont à vous, soit la mort soit la vie, soit les choses présentes soit les choses à venir et vous êtes à Christ’.  Non pas qu’un chrétien soit établi maître de toutes choses pour les posséder et les administrer – on voit un peu partout des hommes d’Église donner furieusement dans cette folie- car c’est là le fait des grands de ce monde.  Quant à nous, c’est chaque jour que nous nous voyons assujettis à tout le monde, que nous souffrons de mille maux et la mort même; à vrai dire, plus un homme est chrétien, plus aussi il souffrira de maux, de martyres et de morts.  La preuve visible en est le Christ lui-même, le chef et le premier-né.  Mais plutôt, la puissance dont  il est question est spirituelle: elle triomphe au beau milieu des ennemis et sa force s’affirme au sein des tribulations: c’est dire – et rien d’autre-  que la puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse et qu’en toute chose je puis trouver un gain salutaire.  La croix elle-même et la mort peuvent être mises à mon service et coopérer à mon salut.  Il n’y a aucune chose, de la meilleure à la pire, qui ne concoure à mon bonheur, si seulement je crois.  A vrai dire je n’ai besoin de rien, car la foi suffit au salut, hormis que la foi peut, en tout cela, exercer la vertu et le pouvoir de sa liberté.  Telle est la puissance inestimable, telle est la liberté des chrétiens. 

Luther en vient maintenant à la dignité de prêtre conférée à tout croyant: “Étant rois – et les plus libres de tous – nous sommes aussi prêtres pour l’éternité.  C’est là une chose encore plus excellente que la royauté, car, avec le sacerdoce, la dignité nous est donnée de nous présenter devant Dieu, de prier pour les autres et de nous instruire mutuellement des choses de Dieu.  Telles sont en effet les fonctions du  prêtre.  En aucun cas elles ne peuvent appartenir à un incroyant.  Ainsi Christ a obtenu pour nous, si nous croyons en lui, que nous soyons prêtres avec lui, de la même manière que nous sommes ses frères, héritiers et rois avec lui. Nous osons donc venir devant lui avec la foi assurée que donne le Saint Esprit, nous osons nous écrier: Abba, c’est-à-dire, dans la langue que parlait Jésus, Père; nous osons prier l’un pour l’autre et faire tout ce qu’accomplit et représente l’office visible et terrestre des prêtres.  Quant à celui qui ne croit pas, rien ne lui est profitable ni ne coopère à son bonheur: il est lui-même l’esclave de tous et tout contribue à son malheur, parce qu’il se sert de tout pour son intérêt, sans chercher la gloire de Dieu.  Il n’est pas prêtre mais profane: sa prière se change en péché et ne parvient jamais à Dieu car Dieu n’exauce pas les pécheurs.  Qui donc pourra jamais comprendre la grandeur de la condition chrétienne? Rien n’échappe au domaine de son pouvoir royal, pas plus la mort que la vie et le péché… Et la gloire de sa prêtrise est de pouvoir tout auprès de Dieu, car Dieu fait ce qu’il demande et ce qu’il souhaite, selon qu’il est écrit au psaume 145: ‘Il accomplit la volonté de ceux qui le craignent, il exauce leurs supplications et il les sauve.’  Aucune oeuvre ne permet de parvenir à une telle gloire, mais la foi seule. Après cela, Luther conclut sur ce passage: “Chacun peut donc voir clairement comment le chrétien est un homme libre à l’égard de toutes choses.  Il n’a besoin d’aucune oeuvre pour être juste et sauvé: la foi seule procure ces choses avec abondance (…)

Mais, dira-t-on, si, dans l’Église, tous sont des prêtres, comment distinguer des laïques ceux que nous considérons comme tels?  Ma réponse est que l’on a déformé le sens de ces termes: ‘prêtre’, ‘clerc’, ‘spirituel’, ‘ecclésiastique’, en les dérobant aux autres chrétiens pour ne les appliquer qu’à un petit nombre, ceux qu’on qualifie aujourd’hui d’ecclésiastiques’.  Car l’Écriture Sainte n’établit aucune distinction entre les uns et les autres, si ce n’est qu’elle les appelle ministres, serviteurs et économes.  Elle veut qu’ils soient au service des autres, dans le ministère de la Parole, pour enseigner la foi de Christ et la liberté des fidèles.  Car s’il est vrai que nous sommes tous également prêtres, nous ne pouvons cependant pas tous être chargés du service et de l’enseignement publics (…)  Pour revenir à notre propos, il est clair qu’il ne suffit pas et qu’il n’est pas chrétien de prêcher une simple connaissance historique de Christ, de ses oeuvres, de sa vie et de ses paroles.  Il n’y a pas là quelques faits qu’il suffirait de connaître, en guise d’exemple, pour la conduite de notre vie.  C’est pourtant ainsi que prêchent les meilleurs à l’heure actuelle.  Que dire alors de ceux qui, à ce sujet, gardent le silence le plus entier et qui enseignent en revanche des lois humaines et les décisions de la tradition des pères de l’Église!  Il y en a aussi beaucoup, enfin,  qui n’enseignent Christ que pour remuer les sentiments: s’attendrir sur Christ, s’emporter contre les Juifs et autres divagations efféminées et puériles.  Il faut, au contraire, qu’on le prêche avec pour seul but de susciter la foi en lui et qu’ainsi il ne soit pas seulement Christ, mais Christ pour toi et Christ pour moi, et qu’il opère en nous ce qui est dit de lui et ce que son nom même signifie.  Cette foi surgit et elle se perpétue lorsque l’on annonce la venue de Christ avec la raison de cette venue, avec ce qu’il apporte et ce qu’il a donné, et de quelle manière on l’accueille et avec quel fruit.  C’est ce qui a lieu lorsque l’on enseigne la liberté chrétienne que nous tenons de lui; de quelle manière, tant que nous sommes, tous les chrétiens sont rois et prêtres et comment nous sommes maîtres de toutes choses en lui; étant assurés que tout ce que nous faisons est agréable aux yeux de Dieu.

A entendre de telles choses, qui est celui dont le coeur ne tressaillera pas de joie, jusqu’au fond de lui-même et, devant une si grande consolation, ne fondra pas d’amour pour Christ? Cet amour auquel on ne parvient jamais ni par la loi ni par les oeuvres.  Où est donc celui qui pourrait porter atteinte à un coeur ainsi comblé ou qui pourrait l’effrayer? Que la pensée de son péché ou que l’horreur de la mort l’assaillent, le voici prêt à mettre son espérance dans le Seigneur: ce qu’il entend de ces maux ne lui inspire pas de crainte et ne l’ébranle pas et il finira par mépriser ses ennemis.  Il croit, en effet, que la justice de Christ est à lui et que son péché n’est plus le sien mais qu’il est à Christ. (…)  Le coeur apprend avec l’apôtre Paul à braver la mort et le péché et à dire: ‘O mort, où est ta victoire, ô mort, où est ton aiguillon?  Or l’aiguillon de la mort, c’est le péché; la puissance du péché, c’est la loi.  Mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a donné la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ’.  Car la mort est engloutie dans une victoire qui n’est pas seulement celle de Christ mais aussi la nôtre.  Par la foi, en effet, elle est faite nôtre et, en elle, nous aussi nous sommes vainqueurs.”