DE LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE (4)

Amis auditeurs, dans les trois précédentes émissions que je vous ai proposées, nous avons parcouru ensemble la première partie du Traité de la Liberté Chrétienne de Martin Luther, partie dans laquelle le Réformateur allemand du seizième siècle a parlé du rôle et des caractères de la foi dans l’homme intérieur. Vous vous souvenez que son traité s’articule autour d’une double affirmation qu’il a présenté tout au début:  Le chrétien est l’homme le plus libre; maître de toutes choses il n’est assujetti à personne.  L’homme chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs; il est assujetti à tous.”  Luther en vient ensuite à parler de l’homme extérieur: “Certains seront scandalisés de ce qui a été dit sur la foi et ils objecteront: ‘Si l’on doit tout à la foi et qu’à elle seule elle suffise à nous justifier, pourquoi donc les oeuvres bonnes sont-elles prescrites?  Il nous suffira de nous abandonner à la paresse et nous ne ferons rien, en nous contentant de la foi.’  Mais non, pas du tout!  Il en serait ainsi si nous étions  des hommes uniquement intérieurs, ce qui n’arrivera pas avant le dernier jour, à la résurrection des morts.  Tant que nous vivons dans ce corps mortel, nous ne faisons que commencer et progresser dans ce que la vie à venir verra s’achever.  C’est dans celle-ci que nous aurons la plénitude de l’Esprit Saint, alors qu’aujourd’hui, nous n’en avons que les prémices, les arrhes.  C’est à cette seconde partie que se rattache la définition donnée plus haut, du chrétien qui est le serviteur de tous et qui est soumis à tous.  En tant qu’il est libre, en effet, le chrétien n’accomplit pas d’oeuvres, mais en tant qu’il est serviteur, il les accomplit toutes.  Mais voyons de plus près ce que cela signifie.  Bien que l’homme soit assez justifié s’il l’est intérieurement, selon l’Esprit, par la foi, il n’en demeure pas moins dans cette vie mortelle et terrestre: il faut qu’il y gouverne son propre corps et qu’il fréquente ses pareils.  C’est là que commencent les oeuvres; là il n’est plus question d’oisiveté; là il faut subordonner le corps à l’esprit pour qu’il obéisse à l’homme intérieur et à la foi et qu’il leur soit conforme; il ne faut pas qu’il soit rebelle à cet homme intérieur.  Car celui-ci, conforme à Dieu et créé à l’image de Dieu par la foi, est dans la joie et dans le bonheur à cause de Christ, en qui tant de biens lui sont acquis qu’une seule chose lui reste à faire: servir Dieu, joyeusement, gratuitement, dans la liberté de l’amour.

                                                                                                                         

Or il lui suffit de faire ainsi pour se heurter dans sa propre chair à une volonté opposée, qui aspire à servir le monde et à rechercher son propre intérêt.  Mais il n’est pas possible à la foi qui l’anime de supporter une telle volonté: elle s’élance allégrement à l’assaut pour la réprimer et la réduire à merci.  C’est comme Paul dit en Romains chapitre 7: ‘Dans mon être intérieur, je prends plaisir à la Loi de Dieu.  Mais je vois bien qu’une autre loi est à l’oeuvre dans tout mon être et elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché.’  Et ailleurs: ‘Je traite durement mon corps, je le maîtrise sévèrement de peur qu’après avoir proclamé la Bonne Nouvelle aux autres, je ne me trouve moi-même disqualifié.’  Et, dans la lettre aux Galates, chapitre 5: ‘Ceux qui appartiennent à Christ ont  crucifiéla chair avec ses passions et ses convoitises.’ 

Il faut donc accomplir ces oeuvres dans l’unique intention de rendre le corps obéissant et de le purifier de ses mauvaises convoitises et que de cette manière le regard ne se tourne  vers les convoitises que pour les expulser.  Purifiée qu’elle est par la foi et puisque, désormais, elle aime Dieu, l’âme voudrait que toutes choses soient également purifiées, et, avant tout, son propre corps, pour que toutes choses aiment Dieu et le louent avec elle.  Ainsi advient-il qu’à cause du corps et de ses exigences, l’homme ne puisse rester paresseux et qu’il soit donc forcé de faire beaucoup de bonnes oeuvres pour l’amener à la soumission.  Ce n’est pas par ces oeuvres elles-mêmes qu’il est justifié devant Dieu: mais il les fera néanmoins pour qu’elles soient l’hommage à Dieu de son amour désintéressé.  Il n’aura pas d’autre but que de plaire à Dieu, et il voudrait qu’il n’y ait rien d’autre que le plus grand empressement à cet  égard.  Mais ceux qui prétendent être justifiés par les oeuvres ne font attention qu’aux oeuvres mêmes, et non à la mise à mort de leurs convoitises; ils pensent que tout va bien pour eux et qu’ils sont justes, pourvu qu’ils en aient fait le plus grand nombre et les plus grandes possibles.  Quelle folie et quelle ignorance de la vie et de la foi chrétienne que de vouloir être justifié et sauvé sans la foi, par les oeuvres!

 

Luther donne ensuite quelques exemples pour illustrer ce qu’il vient de dire sur le rôle des oeuvres dans la vie du croyant.  Il commence avec Adam et Eve et leurs enfants, dans le Paradis, en supposant qu’ils ne soient pas entrés en révolte contre Dieu: Dieu avait créé Adam juste et intègre, sans péché.  Il n’avait nul besoin d’être justifié ni d’être rendu intègre par ce qu’il faisait, en gardant le jardin; mais c’est pour qu’il ne reste pas oisif que le Seigneur lui a confié la charge de cultiver et de garder le Paradis.  Ces oeuvres auraient certainement été les plus libres du monde, elles n’auraient été faites dans aucune autre intention que de plaire à Dieu.  Il n’aurait pas été question de gagner la justice: Adam la possédait déjà pleinement et elle aurait été innée en chacun de nous.  Il en va de même des oeuvres du croyant qui, par sa foi, a été recréé: il n’a pas besoin d’oeuvres pour avoir accès à la justice; mais pour qu’il échappe à l’oisiveté, qu’il mette son corps à l’oeuvre et qu’il le conserve, il doit faire ces oeuvres de liberté sans autre intention que de plaire à Dieu.  Il faut ajouter que nous n’avons pas encore été recréés dans une foi et un amour parfaits: cette foi et cette charité devront  donc grandir.  Cependant ce n’est pas des oeuvres qu’elles tirent leur croissance, mais d’elles-mêmes.

 

Ainsi, consacré par la foi, un chrétien fait de bonnes oeuvres, mais il n’en est ni plus consacré ni plus chrétien: c’est là le fait de la foi seule.  Bien plus, s’il n’avait pas tout d’abord la foi et s’il ne commençait pas par être chrétien, aucune de ses oeuvres n’aurait la moindre valeur:  elles ne seraient toutes que péchés dignes de condamnation.  C’est pourquoi ces deux affirmations sont vraies l’une et l’autre: ‘Des oeuvres bonnes ne font pas un chrétien, mais un homme bon fait de bonnes oeuvres.  De mauvaises oeuvres ne font pas un homme mauvais mais un homme mauvais fait des mauvaises oeuvres’.  Il faut que la personne soit bonne avant toute bonne oeuvre: les bonnes oeuvres suivent, car elles ne peuvent venir que d’une personne bonne.  C’est ce que dit Jésus-Christ; ‘Un mauvais arbre ne produit pas de bons fruits; un bon arbre ne produit pas de mauvais fruits’.    N’importe qui sait que les fruits ne portent pas l’arbre et que l’arbre ne pousse pas sur les fruits.  Ce sont les arbres, au contraire, qui portent des fruits et ce sont les fruits qui poussent sur les arbres.  On pourrait donner d’autres exemples dans tous les métiers.  Une bonne ou mauvaise maison ne fait pas un mauvais ou un bon charpentier, mais un bon ou un mauvais charpentier fait une mauvaise ou une bonne maison.  Et il n’y a aucune oeuvre, dans le monde entier, qui rende l’ouvrier telle qu’elle est elle-même, mais c’est l’ouvrier qui fait l’oeuvre telle qu’il est lui-même.  Donc de même que les oeuvres ne donnent pas la foi, elles ne justifient pas non plus.  En revanche, comme la foi fait un homme fidèle et un homme juste, ainsi fait-elle également de bonnes oeuvres.  Puisque donc les oeuvres ne justifient personne et que l’homme doit être juste avant de faire le bien, il est tout à fait clair qu’il n’y a que la foi qui justifie la personne et qui sauve vraiment et de manière suffisante: cela vient de la pure miséricorde de Dieu, par Jésus-Christ, dans sa Parole.

Il est vrai qu’aux yeux des hommes, une personne est bonne ou mauvaise selon ce que sont ses oeuvres.  Mais dans ce cas, il faut comprendre le verbe ‘être’- dans la phrase ‘une personne est bonne ou mauvaise’- comme signifiant ‘se montrer’, ou ‘être connu’: les hommes reconnaissent qui est bon ou mauvais, comme le dit Jésus-Christ dans Matthieu 7: ‘Vous les reconnaîtrez à leurs fruits’.  Mais avec cela on en reste aux apparences extérieures.  Beaucoup de gens s’y trompent, d’ailleurs. Ils écrivent et ont l’audace d’enseigner de bonnes oeuvres par lesquelles nous serions justifiés, tout en ne faisant même pas allusion à la foi.  Ils vont leur chemin, toujours séduits eux-mêmes et séduisant les autres, s’enfonçant toujours plus dans le mal, aveugles conducteurs d’aveugles, s’épuisant dans leurs nombreuses oeuvres, sans jamais parvenir à la véritable justice.  C’est d’eux que parle Saint Paul quand il dit: ‘Ils ont bien l’apparence de la piété, mais ils ont renié ce qui en fait la force, apprenant toujours et ne parvenant jamais à la connaissance de la vérité.’  Si quelqu’un ne veut pas errer avec ces aveugles, il faut qu’il regarde plus loin que les oeuvres, que les commandements et que l’enseignement des oeuvres.  Il devra considérer la personne elle-même et de quelle manière elle est justifiée.  Or elle n’est justifiée ni sauvée par les oeuvres mais par la parole de Dieu (c’est-à-dire la promesse de sa grâce) et par la foi, afin que la gloire reste à la majesté divine qui ne nous a pas sauvés par des oeuvres de justice que nous aurions faites mais en vertu de sa miséricorde, par la Parole qui annonce sa grâce aux croyants.