DE LA LIBERTÉ
CHRÉTIENNE (5)
Martin
Luther, amis auditeurs, expose dans son traité intitulé “De la Liberté Chrétienne”,
l’enseignement biblique de la justification par la foi, c’est-à-dire des
promesses de grâce de Dieu contenues dans sa parole et acceptées par la foi,
afin que la gloire reste à la majesté divine, qui ne nous a pas sauvés par
des oeuvres de justice que nous aurions faites, mais en vertu de sa miséricorde,
par la Parole qui annonce sa grâce aux croyants.
Tout cela, ajoute Luther, permet de comprendre facilement dans quelle
mesure les bonnes oeuvres doivent être rejetées ou retenues. Si l’on fait de
nos bonnes oeuvres une clause additionnelle pour l’obtention de notre salut,
comme si ce sont elles qui pouvaient nous justifier devant Dieu, on en pervertit
l’enseignement, car en imposant la nécessité des oeuvres pour le salut, on
abolit la liberté en même temps que la foi.
Cette clause additionnelle qu’on ajoute fait que ce ne sont plus de
bonnes oeuvres, mais qu’elles sont complètement condamnables, car elles ne
sont plus libres; elles font alors outrage à la grâce de Dieu,
à qui seul il appartient de justifier et de sauver par la foi.
En elles mêmes, les oeuvres ne tendent pas à cela, mais c’est notre
folie qui leur prête cette prétention; et cette prétention folle fait que ces
oeuvres deviennent alors une entreprise violente contre l’oeuvre de la grâce
et contre sa gloire. Luther ajoute: Ce
ne sont donc pas les bonnes oeuvres que nous rejetons, loin de là: personne
ne les retient et ne les enseigne plus que nous.
Nous ne les condamnons pas pour elles-mêmes, mais à cause de ce caractère
impie et à cause d’une justice que l’on penserait rechercher avec leur
aide.
Luther ajoute
plus loin: Il ne faut donc pas prêcher seulement l’une des deux parties de
la Parole de Dieu mais l’une et l’autre.
Il faut tirer du trésor les choses nouvelles et les choses anciennes,
tant la parole de la loi que le verbe de la grâce.
Il faut faire retentir la parole de la loi, pour que les hommes soient
terrifiés et ramenés à la connaissance de leurs péchés, pour être
convertis ensuite à la repentance et à une vie meilleure.
Mais il ne faut pas s’arrêter là: ce ne serait qu’infliger une
blessure sans la bander, frapper sans guérir, tuer sans redonner la vie,
plonger en enfer sans en ramener, abaisser sans relever.
Il faut pour cela que soient prêchées et la parole de la grâce et la
promesse de la rémission, qui enseignent et qui bâtissent la foi, faute de
quoi, la loi, la pénitence et tout le reste ne sont que vide, et sont enseignés
en vain.
Mais quelles oeuvres le chrétien
doit-il accomplir dans ses rapports avec son prochain? Car l’homme ne vit pas
pour lui seul, il vit pour tous les hommes sur terre.
S’il soumet son corps, c’est pour être en mesure de servir les
autres plus entièrement et plus librement.
Paul écrit en Romains 14: ‘Aucun de nous ne vit pour soi-même, et
aucun de nous ne meurt pour soi-même; celui qui vit, vit pour le Seigneur, et
celui qui meurt, meurt pour le Seigneur’.
Il n’est donc pas possible de rester paresseux et de ne rien faire pour
son prochain dans cette vie. De même
que Jésus-Christ est devenu semblable aux hommes, ayant pris une condition
humaine et ayant fréquenté des hommes, le chrétien a affaire aux hommes.
Il n’aspirera à rien d’autre qu’à servir ses semblables et à
leur être utile dans tout ce qu’il fera, n’ayant rien d’autre en vue que
les besoins et l’avantage de son prochain.
Paul, après avoir révélé aux Philippiens à quel point ils étaient riches par leur foi en Christ, dans laquelle ils avaient tout reçu, poursuit de ma manière suivante: ‘S’il y a quelque consolation en Christ, leur dit-il, s’il y a quelque encouragement dans l’amour, s’il y a quelque communion d’esprit, rendez ma joie parfaite en ayant un même sentiment et une même charité, une même âme, une même pensée, en ne faisant rien par esprit de dispute ou par un vain désir de vous mettre en avant; au contraire, par humilité, considérez les autres comme plus importants que vous-mêmes; et que chacun regarde, non à son propre intérêt, mais à celui des autres’. Ces paroles nous font voir clairement à quelle règle l’apôtre soumet la vie chrétienne: il faut qu’elle soit ordonnée de telle manière que toutes nos oeuvres servent à l’avantage des autres, puisque, par la foi, chacun se trouve dans une telle abondance que toute autre oeuvre et que toute sa vie lui restent pour servir en toute liberté et en toute bienveillance au bien du prochain. A cet égard, l’apôtre cite l’exemple du Christ: “Ayez en vous, dit-il, les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus qui, étant en forme de Dieu, n’a pas cherché à rester de force l’égal de Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, prenant la condition du serviteur. Il s’est rendu semblable aux hommes en tous points, et tout en lui montrait qu’il était bien un homme. Il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à subir la mort.’ Paul veut dire que Christ dans sa plénitude était en forme de Dieu et qu’il possédait tout en abondance; nulle oeuvre ne lui était nécessaire pour lui procurer justice et salut car il n’avait pas cessé de posséder toutes ces choses dès ses origines; cependant il n’en a tiré aucun orgueil, il ne s’est pas mis au-dessus de nous ni ne s’est attribué un pouvoir supérieur au nôtre, bien qu’il ait eu le droit de le faire. Au contraire il a mené une vie laborieuse, il a travaillé, il a souffert, il est mort, afin d’être semblable aux autres hommes, n’étant pas autre chose qu’un homme par sa condition et dans son comportement. Tout cela comme s’il avait eu besoin de tout et que rien ne lui soit resté des prérogatives divines. Il y a consenti à cause de nous, pour nous servir et pour que tout ce qu’il accomplissait sous cette forme de servir puisse devenir nôtre.
De la même manière, bien
que le chrétien soit libre à l’égard de toutes les oeuvres, il faut néanmoins
qu’il s’anéantisse dans cette liberté même, qu’il prenne la forme de
serviteur, qu’il soit vraiment semblable aux hommes dans une authentique
condition humaine; il faut qu’il serve, qu’il porte secours et qu’en tout
il agisse à l’égard de son prochain comme il voit que Dieu a agi et qu’il
agit par Christ à son égard. Il
doit faire cela gratuitement, n’ayant rien d’autre en vue que de plaire à
Dieu. Il doit penser: ‘A moi qui
ne suis qu’une pauvre créature mon Dieu m’a donné, dans sa pure et libre
miséricorde, sans que je le mérite, les richesses de la justice et du salut,
pour que je n’aie plus besoin de rien, excepté la foi pour croire qu’il en
est bien ainsi. Pour un tel Père,
qui m’a comblé de ses richesses sans prix, pourquoi ne ferais-je pas généreusement,
joyeusement, de tout coeur, spontanément et avec zèle tout ce que je
Voilà donc que la foi est source d’amour et de joie dans le Seigneur, et que de l’amour découle une disposition heureuse qui s’élance librement au service dévoué du prochain. Elle ne tient aucun compte de la gratitude ou de l’ingratitude, des louanges ou des critiques, du gain ou du dommage. Elle n’agit pas ainsi pour s’attirer les bonnes grâces des hommes, elle ne fait pas de différence entre amis et ennemis; elle ne connaît ni débiteurs ni ingrats. Elle se dépense de tout coeur, avec ce qu’elle a, elle est prête à tout perdre auprès des ingrats qu’à recueillir l’approbation. Car c’est ainsi que fait son Père, qui distribue avec abondance et libéralité infinie tous les biens à tous les hommes et qui fait lever son soleil sur les bons et les méchants.
Pour peu que nous connaissions les biens qui nous sont donnés, leur grandeur infinie et leur prix, on voit aussitôt le Saint Esprit répandre dans nos coeurs l’amour qui nous met à l’oeuvre, joyeux, libres et prêts pour toutes les tâches, triomphants de toutes les épreuves, serviteurs de tous nos proches et néanmoins maîtres de toutes choses. Mais pour ceux qui ne savent pas ce qui leur a été donné en Christ, c’est en vain que Christ est né: ils marchent dans leurs oeuvres et ne parviendront jamais à goûter et à éprouver ce qui leur était offert. De même donc que notre prochain est dans la pauvreté et qu’il a besoin de ce que nous avons en abondance, nous étions, pour notre compte, dans l’indigence devant Dieu et nous avions besoin de sa miséricorde. Si donc le Père céleste nous a secourus gratuitement en Christ, nous devons, nous aussi, corps et oeuvres, aider gratuitement notre prochain. Chacun de nous doit être un Christ pour l’autre de manière que dans une telle réciprocité nous soyons vraiment chrétiens et que Christ soit bien le même en tous. Qui pourrait concevoir les richesses et la gloire de la vie chrétienne? Elle peut tout et elle possède tout, elle ne manque de rien. Elle est maître du péché, de la mort et de l’enfer, et, en même temps, la servante complaisante et utile de tous.
Amis
auditeurs, nous terminerons la prochaine fois ce parcours du Traité de la
Liberté Chrétienne de Martin Luther que je vous présente dans cette série de
six émissions consacrée à cet écrit fondamental de la Réforme du seizième
siècle.