DE LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE (6)

Amis auditeurs, aujourd’hui je conclus la lecture du Traité de la Liberté Chrétienne que je vous ai présenté au cours des émissions précédentes.  Luther a présenté la véritable nature des oeuvres requises du chrétien, qui ne sont que le fruit d’une foi porteuse de liberté.  On ne peut être le serviteur de son prochain que parce qu’on a été entièrement libéré de toute exigence d’accomplir des oeuvres pour obtenir son salut.  La foi en les promesses de Dieu nous apporte une plénitude qui n’a besoin de rien d’autre pour jouir de la liberté. Nous n’avons pas à être justifiés par nos oeuvres mais, après que nous ayons été justifiés par la foi, nous devons tout faire pour les autres, librement et avec joie.  Il y a même des oeuvres qui sont faites dans le seul but de ne pas choquer, ou être un obstacle à la foi des autres, nous dit Luther.  Et il tire l’exemple suivant de l’Évangile: Un jour qu’on demandait aux disciples de payer un impôt, Jésus-Christ en a discuté avec son disciple Pierre: les fils du roi sont-ils, en règle générale,  dispensés de l’impôt ou non, lui a-t-il demandé?  Pierre a répondu que oui, mais Jésus lui a donné l’ordre d’aller au bord de la mer: ‘Pour que nous ne scandalisions pas ces gens qui demandent de payer l’impôt, va et ouvre la bouche du premier poisson qui montera à la surface: tu y trouveras une pièce de monnaie que tu prendras et que tu donneras pour toi et pour moi’.  Voilà  une belle illustration.  Christ se présente, avec ses disciples, comme les fils du roi, libres et n’ayant besoin de rien.  Cependant, il se soumet spontanément à la règle et il s’acquitte de l’impôt.  Cette oeuvre, parmi toutes celles qu’il a accomplies, n’était ni nécessaire ou utile à Christ pour lui procurer la justice ou le salut; de la même manière les oeuvres de ses disciples ne sont pas nécessaires pour les justifier, puisqu’elles sont toutes accomplies après qu’ils aient été justifiés.  Elles sont librement accomplies au service des autres et pour leur être en exemple.

 

Luther enjoint ensuite ses lecteurs de ne faire aucune bonne oeuvre dans l’intention d’en obtenir un avantage quelconque, que ce soit sur terre ou dans l’éternité.  Car ce faisant, on ferait du tort à sa foi, qui est la seule à donner toutes choses.  C’est d’elle qu’il faut prendre soin; il faut qu’elle croisse, et soit exercée par les oeuvres et les épreuves.  Ce que l’on a, il faut le donner librement et gratuitement pour servir à l’avantage et à la prospérité des autres.  Car c’est ainsi que tu seras vraiment bon et chrétien, dit Luther.  Pourquoi voudrais-tu que  tes bonnes oeuvres soient inscrites à ton compte, alors qu’elle sont un surplus pour discipliner le corps et que, pour ta part, la foi te comble puisque par elle Dieu t’a tout donné?

 

En résumé, voici la règle qu’il faut se rappeler: que tous les bien que nous avons  reçu de Dieu se répandent de l’un à l’autre et soient mis en commun, que chacun se conduise envers son prochain comme s’il était à sa place.  Christ a été et demeure la source de ces biens, d’où ils découlent en nous: il s’est revêtu de nous et il a agi pour nous comme s’il avait été ce que nous sommes.  De nous ils vont se répandre chez ceux qui en ont besoin.  Le chrétien ne vit pas en lui-même.  Il vit en Christ et en son prochain.  Hors de là, il n’est pas chrétien.  Il vit en Christ par la foi, en son prochain par l’amour.  Par la foi il est enlevé au-dessus de lui-même en Dieu; par l’amour il est abaissé au-dessous de lui-même en son prochain.  Il demeure cependant toujours en Dieu et en son amour.

 

Voilà tout ce qu’on peut dire au sujet de la liberté.  Tu vois qu’elle est spirituelle et vraie; qu’elle affranchit nos coeurs de tous nos péchés.  Elle surpasse toutes les autres libertés extérieures autant que le ciel est au-dessus de la terre.  Que Christ nous donne de la comprendre et de la conserver.

 

Luther termine son traité avec un avertissement contre ceux qui comprendraient mal, ou déformeraient son propos: Très nombreux, dit-il, sont ceux qui, entendant prêcher cette liberté attachée à la foi, s’en feront bientôt une occasion de débordement et de permissivité.  Ils penseront que tout leur est aussitôt permis, ne retenant que l’apparence de la liberté et de la condition chrétienne, en se contentant  de mépriser et de blâmer les cérémonies, les traditions, les lois faites par les hommes, comme s’ils étaient chrétiens parce qu’ils ne jeûnent pas aux jours établis ou parce qu’ils mangent de la viande alors que les autres jeûnent ou par ce qu’ils ne font pas les prières usuelles, se moquant bien  des préceptes humains, reléguant à la dernière place les autres choses qui appartiennent vraiment à la religion chrétienne.  A ces gens s’opposent par ailleurs obstinément ceux qui ne s’efforcent de parvenir au salut qu’en s’acquittant des cérémonies et en les entourant de respect, comme s’ils faisaient leur salut en jeûnant ou en s’abstenant de viande aux jours établis, ou en prononçant certaines prières, en vantant les préceptes de l’Église, tout en ne faisant pas le moindre cas de ce qui appartient vraiment à notre foi.  Les uns ne sont pas moins coupables que les autres, en ce qu’ils négligent les choses plus importantes et nécessaires au salut, tout en se disputant pour d’inutiles bagatelles.

 

L’apôtre Paul enseigne à marcher entre ces deux voies: il condamne à droite et il condamne à gauche. ‘Que celui qui mange, dit-il, ne méprise pas celui qui ne mange pas et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange’  On voit bien que l’apôtre blâme ici ceux qui ne négligent et ne critiquent pas les cérémonies à cause de la foi, mais qui le font par pur mépris: la connaissance les remplit d’orgueil, dit-il, et il enseigne à proscrire le mépris.  Il enseigne aux autres obstinés à ne pas juger les premiers.  Car ni les uns ni les autres ne gardent l’amour qui les édifierait mutuellement.  Il faut donc que nous prêtions ici l’oreille à l’écriture Sainte, qui nous enseigne  à ne dévier ni à droite ni à gauche et à suivre les droits chemins du Seigneur qui réjouissent le coeur.  Car si personne n’est juste simplement parce qu’il s’adonne aux cérémonies rituelles, il ne sera pas davantage tenu pour juste en les négligeant et en les méprisant.  La foi en Christ, en effet, ne nous affranchit pas des oeuvres, mais de l’opinion qu’on en a: la sotte présomption de chercher la justification par leur moyen.  Ce sont nos consciences que la foi rachète, qu’elle redresse et qu’elle sauve.  Par cette foi nous savons que la justice ne consiste pas dans des oeuvres, bien qu’elles ne puissent ni ne doivent manquer, de même que nous ne pouvons pas subsister sans aliments, sans boisson et sans que s’exercent toutes les fonctions de notre corps mortel.  Si ce n’est pas dans ces oeuvres que notre justice consiste, il n’est pas permis, pour autant, de les mépriser ni de les négliger.  ‘Mon règne n’est pas de ce monde’, a dit Jésus-Christ, mais il n’a pas dit: ‘Mon règne n’est pas dans ce monde’.  ‘Bien que nous vivions dans la chair, dit aussi l’apôtre Paul, nous ne combattons pas selon la chair.’  Et encore, dans la lettre aux Galates: ‘Si je vis dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu’.

 

On en déduira que les cérémonies n’ont pas d’autre place dans la vie chrétienne que n’en ont pour les charpentiers et pour les artisans en général les aménagements préparatoires pour leurs travaux (tels que la construction d’échafaudages).  L’intention n’est pas, avec cela, de faire vraiment quelque chose qui demeure, mais sans cet échafaudage, rien ne saurait être bâti ou réalisé.  Lorsque la construction est achevée, ces moyens disparaissent.  Il est donc clair que l’on ne dédaigne pas ces derniers, on en fait au contraire le plus grand cas; ce que l’on méprise, c’est l’opinion qui considère cet échafaudage comme étant l’ouvrage définitif.  Or, si la folie d’un homme était assez grande pour que, de toute sa vie, il n’ait d’autre souci que de vaquer à ces travaux auxiliaires, en y mettant le plus grand soin et avec la plus grande obstination tout en n’accordant aucune pensée à l’ouvrage lui-même, est-ce que chacun ne prendrait pas en pitié ses folies et ne penserait pas qu’avec tout ce qui est dépensé en pure perte on aurait pu faire quelque chose de grand?  De même, ce ne sont ni les cérémonies ni les oeuvres que nous méprisons: nous en faisons le plus grand cas, au contraire.  Mais nous méprisons l’opinion qui fait de ces oeuvres la véritable justice.

 

D’elles-mêmes, la nature et la raison humaines sont superstitieuses et promptes à penser que toutes les lois et toutes les oeuvres qu’on propose permettront de parvenir à la justice.  Il faut prier afin que ce soit le Seigneur qui nous entraîne, que ce soit sa Parole qui nous instruise, que nous soyons obéissants à Dieu et que, selon sa promesse, il inscrive lui-même sa loi dans nos coeurs, faute de quoi c’en est fait de nous.  S’il n’enseigne pas dans nos coeurs cette sagesse mystérieuse et cachée, notre raison naturelle ne peut que la condamner et la tenir pour un faux enseignement, car elle en est choquée et elle n’y aperçoit que de la folie.  Et Luther conclut par ces mots: Dieu veuille prendre pitié de nous et faire resplendir sa face sur nous, afin que nous connaissions sa voie sur la terre et son salut parmi toutes les nations.  Qu’il soit béni aux siècles des siècles. AMEN .