L’EGLISE
SOUS LA CROIX (1)
Ce que l’histoire nous
apprend, amis auditeurs, c’est que bien des persécutions sont intervenues au
sein même de l’Eglise, c’est-à-dire que des chrétiens fidèles ont été
emprisonnés voire mis à mort par des autorités ecclésiastiques qui ne
supportaient pas que la Parole de Jésus-Christ et son autorité soient placées
au-dessus de leur propre autorité. Ainsi
s’est aussi accompli l’avertissement prophétique adressé par Jésus à ses
disciples suivant lequel la persécution des chrétiens fidèles viendrait de
l’intérieur même de l’institution ecclésiastique: il parle en
l’occurrence de la synagogue juive, mais ses paroles s’appliquent tout aussi
bien à de nombreuses institutions ecclésiastiques au cours des siècles.
Au cours de cette émission
et des suivantes, je voudrais vous relater la manière dont des Français ont été
persécutés vers la fin du dix-septième siècle et durant la première moitié
du dix-huitième siècle par les autorités ecclésiastiques et le gouvernement
du roi de France, parce qu’ils étaient fidèles à l’Evangile de Jésus-Christ.
Cette triste période de l’histoire de l’Eglise en France est très
bien documentée, grâce à toutes sortes de récits contemporains et aux
archives officielles qui ont été conservées.
Mais pour bien comprendre ce qui se passait en France il y a entre deux
cent cinquante et trois cents ans, il nous faut remonter plus haut dans
l’histoire, c’est-à-dire à la fin du seizième siècle, le siècle de la Réforme
protestante en Europe. Je le ferai
très brièvement. Les désastreuses
guerres de religion entre protestants et catholiques en France, s’étaient
terminées avec le fameux Edit de Nantes promulgué en 1598 par le roi Henri IV.
Celui-ci, protestant d’origine car sa mère la reine Jeanne d’Albret
avait de très fortes convictions réformées, s’était fait catholique pour
pouvoir monter sur le trône de France, qui autrement lui aurait été
inaccessible. L’Edit promulgué
par Henri IV à Nantes accordait aux protestants de France le droit d’exercer
leur religion en toute sûreté, ainsi que des droits d’auto-défense au cas où
ils seraient menacés, avec une centaine de places fortes, surtout dans la moitié
sud du pays. Leurs droits civiques
étaient restaurés, en politique ils avaient accès à tous les emplois.
Cependant cet Edit de tolérance alors unique en Europe, avait suscité de
nombreuses oppositions, notamment de la part des parlements provinciaux.
Après l’assassinat d’Henri IV en 1610, son successeur Louis XIII fit
petit à petit supprimer les garanties militaires, car le gouvernement central
craignait un Etat dans l’Etat, avec toutes ces places fortes.
Après un siège de quatorze mois de la ville protestante de La Rochelle,
qui fut finalement prise malgré l’aide anglaise, l’édit d’Alès de 1629
mit fin à ces garanties militaires et aux assemblées politiques.
Puis, petit à petit, on assista à la réduction des droits civiques et
religieux des protestants en France. La
liberté de culte fut de plus en plus réduite, les temples étant fermés les
uns après les autres. Le roi Louis
XIV, qui avait succédé à son père et pris le pouvoir en 1661, instaura dès
1681 une politique violente pour forcer les conversions à la religion
officielle: dans la province du Poitou, l’intendant Marillac envoya
des compagnies de soldats, les dragons, qui logeaient chez les habitants
protestants et commettaient toutes sortes d’exactions pour les contraindre à
abandonner leur foi. Ces dragonnades
furent la cause de nombreuses conversions forcées, et furent étendues à
d’autres provinces. Comme un arrêt
royal interdisait toute conversion au protestantisme, ceux qui, par faiblesse ou
lâcheté, avaient abandonné leur foi mais s’étaient ravisés et
souhaitaient y revenir, ne le pouvaient plus sous peine de poursuites
judiciaires. Vers 1685, il ne
restait plus que deux cents temples dans tout le pays.
Alors, le roi, conseillé par sa seconde épouse, Madame de Maintenon, et
son confesseur, le père Lachaise, décida de révoquer l’Edit de Nantes, prétextant
qu’il était devenu inutile puisque le Protestantisme avait été réduit, en
apparence tout au moins, à une peau de chagrin.
Le droit de culte était révoqué, les pasteurs ou ministres du culte étaient
bannis et avaient quinze jours pour quitter le pays, tandis que ceux qui
acceptaient de se convertir au catholicisme jouissaient de faveurs.
Il était en revanche interdit à la population d’émigrer à l’étranger,
dans des pays voisins accueillants. Tout homme pris aux frontières serait envoyé
aux galères, les femmes seraient jetées en prison ou enfermées dans des
couvents. Durant ces années, et
jusqu’à 1700, deux cent mille personnes émigrèrent cependant, et cette émigration
se poursuivit jusque vers 1763, c’est-à-dire près de quatre vingts ans après
la Révocation de l’Edit de Nantes. En
tout quelque deux cent soixante mille personnes émigrèrent, ce qui causa à la
France d’alors une terrible hémorragie démographique économique et
culturelle, que tout le monde s’accorde à reconnaître aujourd’hui.
Une classe entière d’hommes et de femmes instruits et laborieux allait
enrichir des pays voisins comme l’Angleterre, les Pays Bas, la Suisse ou
l’Allemagne. Une poignée de ces
protestants allait même, à partir des Pays Bas, s’installer à l’extrême
pointe sud du continent africain, au Cap de Bonne Espérance, à partir de 1688.
Et pourtant, en France même, il restait encore beaucoup de protestants
qui ne voulaient ou ne pouvaient émigrer: laissés sans pasteurs, sans lieux de
culte, forcés de faire baptiser leurs enfants dans un rite qui allait contre
leurs convictions les plus profondes,
ils commencèrent à se réunir en assemblées secrètes pour exercer leur
culte: c’est ce qu’on appelle, en France, la période du Désert, car ces
assemblées se tenaient dans des lieux écartés dans les provinces du
Languedoc, du Poitou, du Dauphiné ou du Vivarais.
Il était fréquent que des laïcs les dirigent.
Petit à petit un groupe d’hommes courageux se leva pour présider à
ces assemblées. Souvent sans
instruction, pourchassés par l’administration royale, obligés de se terrer,
souvent aussi victimes de la délation, car on promettait de fortes sommes à
qui les dénoncerait, ils maintinrent en France l’Eglise sous la Croix, récitant
par coeur des sermons de pasteurs dont ils avaient pu se procurer des copies,
apportant une consolation aux fidèles, baptisant les enfants ou célébrant le
repas du Christ, la Sainte Cène. Beaucoup
furent pris, jugés et condamnés à mort. Les
dernières exécutions eurent lieu en 1762.
Cependant, dès le début du dix-huitième siècle, sous l’impulsion du
pasteur Antoine Court réfugié aux Pays Bas, une organisation ecclésiastique
s’était mise en place pour coordonner et régler ces communautés du Désert.
Le premier synode clandestin eut lieu sous sa direction en 1715, l’année
même de la mort de Louis XIV.
Ce sont quelques épisodes
de cette période du Désert que je vous présenterai lors de nos prochaines émissions
amis auditeurs. En m’inspirant
d’un ouvrage écrit il y a plus d’un siècle par le pasteur Daniel Benoit,
ouvrage justement intitulé “L’Eglise sous la Croix”, j’évoquerai pour
vous la vie et la mort en martyr de Fulcran Rey, l’une de ces figures héroïques
du Désert qui maintint l’Eglise de Jésus-Christ en France durant cette
sombre période.