L’EGLISE SOUS LA CROIX (3)
La vie du jeune prédicant
Fulcran Rey a fait l’objet de notre précédente émission, amis auditeurs.
Après la Révocation de l’Edit de Nantes par le roi Louis XIV, en
1685, les protestants se réunissaient en assemblées secrètes pour continuer
à célébrer le culte, malgré l’interdiction royale.
C’est cette période du Protestantisme français que l’on appelle
“le Désert”.
Le jeune Rey, qui diregeait de ces assemblées, ne savait que trop
qu’il risquait la mort pour avoir contrevenu aux termes de cet édit inique.
Mais sa foi était plus forte que la crainte ou les hésitations.
Après avoir écrit à son père une lettre que nous avons lue ensemble
la dernière fois, lettre où il lui faisait ses adieux dans l’éventualité
d’une capture par la police du roi, Fulcran s’était mis à proclamer la vérité
évangélique avec une force nouvelle. Il
disait aux fidèles qui se groupaient autour de lui que la vérité qu’ils
croyaient était la seule qu’il fallait croire; que c’était un dépôt
qu’il fallait conserver comme on l’avait reçu; que c’était la perle de
grand prix pour laquelle il fallait laisser toute autre chose; que c’était un
trésor qu’il fallait préférer à toutes les richesses du monde et même à
sa propre vie. On a conservé l’écho
de ses brûlantes improvisations: “Athlètes de Jésus-Christ, s’écriait-il,
‘vous qui vous êtes relâchés dans le combat et qui revenez pour combattre,
et vous, fidèles combattants, qui jusqu’ici n’avez pas lâché pied,
essuyez toutes les attaques de Satan et de ses émissaires; soutenez tous les
coups de ses troupes de dragons armés contre vous.
Fortifiez-vous au Seigneur et en la puissance de sa force.
Soyez revêtus de toutes les armes de Dieu pour résister à toutes les
embûches du diable et pour soutenir tous les combats où vous allez entrer.
Je sais quelle est la rage de vos ennemis; elle n’est pas satisfaite
des maux qu’elle vous a faits, elle veut vous en faire encore de plus grands.
Il n’y a rien qu’elle ne fasse pour venir à bout de vous.
Si elle vous ferme les passages pour vous empêcher de fuir, ce n’est
peut-être que pour dégaîner enfin son glaive contre vous et pour employer
contre vous les gibets et les flammes. Tenez
ferme contre tous ceux qui voudraient vous ravir votre couronne, car ils sont
obstinés dans le furieux dessein de vous la ravir.
Ayez plus de constance pour leur résister qu’ils n’ont de force et
de furie pour vous tourmenter.” Pendant
six semaines Fulcran Rey ne cessa de visiter et d’exhorter ses frères. Fatigué
par ses courses et ses prédications, il descendit à Anduze pour s’y reposer
quelques jours. C’est là qu’un
certain Alméras, originaire de cette ville, qui lui avait témoigné beaucoup
de sympathie et lui avait servi de
guide dans les Cévennes, le trahit lâchement.
Il n’avait pu résister à l’appât de la forte somme offerte par
l’intendant du roi Bâville à qui livrerait le prédicant. Dans la nuit du
samedi au dimanche, pendant que Rey se recueillait dans une maison de la ville
et se préparait pour la prédication du lendemain, les soldats royaux qu’on
appelait les dragons, mirent la main sur lui.
Ils l’enfermèrent aussitôt dans l’hôtel de ville, et comme l’un
d’eux le poussait violemment dans son cachot, en le prenant aux cheveux, le
prisonnier lui dit: “Souviens-toi que Dieu te punira selon tes oeuvres.”
Cette parole ne devait pas tarder à se vérifier.
S’étant pris de querelle avec un de ses camarades, ce malheureux
soldat fut, le soir même, tué en duel. Rey
fut chargé de fers et gardé à vue par six dragons qui reçurent l’ordre de
ne laisser personne approcher du prisonnier.
Le juge du lieu lui fit subir un premier interrogatoire: “Avez-vous
prêché? lui demanda-t-il” -
“Oui, répondit le prévenu, c’est le devoir que Dieu m’a prescrit et
ma tâche ordinaire.” – Dans quel endroit? – Partout où j’ai trouvé
des fidèles assemblés. - Quelles
étaient ces personnes? – Je n’ai pas fait attention à les connaître, mais
à leur apprendre leur devoir. – Quel était votre but en prêchant? –
J’avais en vue de les consoler et de les affermir dans la crainte de Dieu et
dans la repentance de leurs péchés”. Après cet interrogatoire, trente
dragons furent chargés de le conduire à Alais.
Plusieurs femmes l’accompagnèrent hors de la ville en pleurant, mais
il leur dit, à l’exemple de Jésus-Christ: “Pourquoi pleurez-vous et
pourquoi vous affligez-vous en vos coeurs? Ne
pleurez pas sur moi mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos péchés, pour
trouver grâce devant Dieu et pour obtenir miséricorde, ce qui vous est très nécessaire,
et ce après quoi vous devez toujours soupirer.”
A Alais, notre prisonnier dut subir un second interrogatoire devant Lefèvre,
lieutenant criminel de Nîmes; mais il répondit avec autant de présence
d’esprit et de fermeté qu’à Anduze. Des
moines de différents ordres s’efforcèrent de le convertir, mais tous leurs
efforts furent inutiles; ils trouvèrent toujours en lui un même coeur et la même
résolution. Ce qu’il leur dit de
sa religion et de son devoir de la prêcher et de la garder jusqu’à son
dernier soupir et de tout souffrir pour elle, les émut si fort qu’en sortant
de la prison ils ne purent s’empêcher de verser beaucoup de larmes.
Ceci est certainement un fait étrange, mais qui s’explique par la sérénité
du jeune prisonnier. Alors on défendit
avec soin l’accès de sa prison et on le garda à vue pour qu’il lui soit
impossible de continuer son ministère dans les fers.
Mais on ne pouvait l’en empêcher.
Sur le chemin de Nîmes, il rencontra beaucoup de protestants de tout âge
et de toute condition qui, les larmes aux yeux, faisaient des voeux pour qu’il
soit acquitté. Il les remercia,
implora sur eux, à son tour, les bénédictions divines et les encouragea
vivement à mener une vie conforme à l’Evangile.
Le juge qui l’accompagnait lui promit plusieurs fois la vie sauve,
s’il abjurait: “Je suis pleinement assuré, lui répondit le jeune homme, de
la pureté de ma religion. J’aime
mieux mourir mille fois que de la quitter. Ne
me parlez plus de cela.” Puis il
ajouta: “La grâce que je vous demande, c’est que vous défendiez à mes
parents, quand je serai à Nîmes, l’accès de ma prison.”
Il craignait que la vue de leur douleur n’amollît son courage.
Il se contenta de leur faire dire qu’ils pouvaient être sûrs de sa
fermeté, de sa constance, et de sa parfaite résignation à la volonté de
Dieu. En fait il n’avait pas à
craindre la visite de ses parents car il ne fit que traverser sa ville natale, où
il pensait peut-être qu’on instruirait son procès.
Mais on n’avait pas l’intention de l’y faire mourir. Comme la ville
de Nîmes était pleine de protestants, on craignait une émeute. Tout au moins
on craignait que le spectacle du martyre de ce jeune homme et sa constance ne réveillent
la conscience de tant de gens qui, conservant la vérité dans leur coeur, la
cachaient au-dedans d’eux. Arrivé
de nuit et enfermé quelque temps dans la conciergerie, où il eut encore à
subir les assauts impuissants des prêtres, il repartit de nuit, afin qu’on ne
donne pas l’éveil et qu’on puisse le conduire sûrement à Beaucaire, où
l’intendant Bâville vint le rejoindre. Cet homme usa tout d’abord de
douceur envers le prisonnier, l’exhortant, le conjurant même, au nom de sa
jeunesse et de tous les biens de cette vie, de se convertir pour avoir la vie
sauve. Mais à toutes ces
insinuations, Fulcran répondait: “Je n’aime pas le monde ni les choses qui
sont dans le monde; j’estime tous les avantages dont vous me parlez comme de
l’ordure. Je les foule à mes
pieds. La vie ne m’est pas si précieuse,
pourvu que je gagne Christ. Quelle
que soit la mort que j’endure pour lui, elle me sera glorieuse, et je serai
trop heureux si je meurs pour lui et pour la cause pour laquelle il est mort!”
Et, comme un autre martyre, le Père de l’Eglise du second siècle
Polycarpe, il ajoutait: “Comment quitterais-je un si bon maître!
Il ne m’a jamais fait que du bien.”
Après le tour de l’intendant vint celui des prêtres et des moines.
Ils le visitèrent dans sa prison et mirent tout en oeuvre pour le faire
rentrer dans le giron de l’Eglise officielle.
Il déjoua leurs pièges et réfuta sans peine leurs arguments.
Comme ceux de Nîmes, d’Alais ou d’Anduze, ils furent obligés de
reconnaître qu’ils n’avaient jamais entendu si bien parler et que ce jeune
homme rendait compte de sa foi d’une façon merveilleuse.
Qu’il est vrai de dire que Dieu n’abandonne jamais ses enfants dans
l’épreuve, et qu’il leur donne, à l’heure où ils en ont le plus besoin,
une sagesse à laquelle personne ne peut résister!
Seul contre tous, ce jeune homme de vingt-quatre ans confondait ses persécuteurs.
Bâville devait en avoir une preuve nouvelle.
Il fit asseoir le prévenu sur la sellette et fit une dernière tentative
auprès de lui. “N’avez-vous pas
agi, en prêchant, contre la volonté du roi?” lui demanda-t-il. “Le Roi des
rois me l’a ainsi ordonné, répondit Rey, et il est juste d’obéir à Dieu
plutôt qu’aux hommes – Monsieur Rey, vous avez encore du temps pour vous
sauver – Oui, Monseigneur, et c’est ce temps que je veux encore employer à
mon salut – Changez, et vous aurez la vie. – Oui, Monseigneur, il faut
changer, mais c’est pour aller de cette terre de misère au royaume des cieux,
où une heureuse vie m’attend que j’aurai et possèderai bientôt. –
Craignez-vous qu’on ne vous tienne pas la promesse de vous sauver la vie? –
Ne me parlez plus de cette vie; j’en suis détaché.
Je n’ai
plus d’espérance en elle. Je
cherche et j’attends toute autre chose. La
mort m’est meilleure que la vie. Dieu
m’a fait la grâce de connaître ma religion; Dieu me fera la grâce de mourir
pour elle. Pour tous les trésors de
la terre, je ne laisserai pas ceux du ciel – Pesez les suites de votre résistance,
continua encore Bâville. – Je n’ai plus à décider ce que je dois faire;
j’ai déjà choisi. Il n’est
plus question ici de marchander. Je
suis tout prêt à mourir, si Dieu l’ordonne.
Toutes les promesses ne sauraient m’empêcher de rendre à mon Dieu ce
que je lui dois.” Un contemporain
de ce procès, qui y assista, rapporte que Fulcran Rey fit toutes ces réponses
avec un même ton de voix, avec beaucoup de respect, de douceur et de modération,
en donnant toujours des marques d’une résignation à Dieu.
Dans tous ces discours et dans tous ses gestes, il faisait voir que le
Saint Esprit s’était répandu sur lui avec abondance et qu’il était
secouru du ciel d’une façon extraordinaire.
Lors de notre prochain programme nous verrons, chers
amis qui êtes à l’écoute, ce que furent les derniers moments de la vie du
jeune prédicant Fulcran Rey, et comment il ne se départit à aucun moment du
courage et de la persévérance dont il avait fait preuve jusque là.