L’EGLISE SOUS LA CROIX (4)
Aujourd’hui, amis auditeurs, nous terminons le récit de la vie du jeune
Fulcran Rey, prédicant des assemblées du Désert en France juste après la Révocation
de l’Edit de Nantes par le roi Louis XIV.
Fait prisonnier pour avoir contrevenu aux termes de cet édit, qui
interdisait sur tout le royaume de France la célébration de cultes
protestants, Fulcran avait comparu devant plusieurs tribunaux.
L’issue de son procès ne pouvait être douteuse.
Convaincu d’être prédicant et d’en avoir rempli les fonctions dans
la province du Languedoc, il fut condamné à être pendu, après qu’on lui
ait au préalable appliqué, en langage de l’époque la question, c’est-à-dire
une forme de torture pour arracher des aveux.
Il écouta d’un air serein la lecture de son jugement.
“On me traite plus doucement, dit-il, qu’on n’a traité mon
Sauveur, en me donnant une mort si douce. Je
m’étais préparé à avoir les membres rompus ou à être brûlé.”
Puis, jetant les yeux au ciel, il s’écria: “Je te rends grâce,
Seigneur du ciel et de la terre, de tant de biens que tu me fais.
Je te rends grâce de m’avoir trouvé digne de souffrir pour ton
Evangile et de mourir pour toi.” Fulcran
Rey subit la question sans se plaindre. Toutes
les questions qu’on lui posa ne lui arrachèrent que ces mots: “J’ai tout
dit; je n’ai plus rien à répondre.” Ses
juges, ne pouvant rien tirer de lui, le firent détacher.
Alors il leur dit: “Vous venez de m’infliger une peine que je n’ai
guère sentie. Je crois que vous
avez plus souffert que moi. Je puis
vous assurer que, au plus fort de la douleur que vous avez voulu que j’endure,
je n’ai pas senti de douleur.” Comme
il était pourtant brisé de fatigue, on lui offrit à manger.
Il accepta en disant: “Les uns mangent pour vivre et moi je mange pour
mourir. C’est le dernier repas que
je prendrai sur terre; mais, dès ce soir, il se prépare pour moi un banquet
dans les cieux.” L’heure était
maintenant venue d’aller au supplice. Il
y marcha avec une contenance calme et assurée, chantant des psaumes et
repoussant les moines qui l’importunaient de leurs discours et qui
l’accompagnèrent jusqu’au pied de la potence.
“Retirez-vous, leur disait-il, vous êtes des consolateurs malvenus.
Il n’y a rien à faire ici pour vous.”
Ayant rencontré quelques frères qui pleuraient, il les salua, leur
laissant pour adieu des paroles d’encouragement.
En sortant par la porte Beauregard, il vit la potence dressée devant
lui. Cette vue ne fit que lui
inspirer des transports de joie: “Courage!” s’écria-t-il, “courage!
Voici le lieu que je m’étais depuis longtemps mis devant les yeux!
Qu’il me paraît agréable! J’y
vois les cieux ouverts pour me recevoir et les saints anges, qui me tiennent
compagnie, tout prêts à m’y enlever.”
Il voulut chanter un psaume, mais les officiers de la justice s’y opposèrent.
Au pied de la potence il se mit à genoux, puis il franchit avec joie les
degrés de l’échelle. Il vit que
les moines montaient après lui. Comme
ses mains étaient enchaînées, il leur fit signe du pied de se retirer: “Je
vous l’ai déjà dit, je vous le dis encore, s’écria-t-il, je n’ai pas
besoin de votre secours; j’en reçois assez de mon Dieu pour faire le dernier
pas qui me reste à faire, afin de remplir toute ma carrière.”
Il voulut parler pour édifier encore ses frères avant de rendre le
dernier soupir; mais le roulement d’un grand nombre de tambours étouffa sa
voix; et c’est au milieu de ce bruit qu’il rendit l’âme à Dieu.
Trois ans aupravant, le martyr Homel, au milieu des souffrances horribles
du supplice de la roue, avait harangué le peuple à Tournon et ses paroles
avaient longtemps résonné dans les coeurs des habitants de cette ville.
On ne voulait pas de nouveau courir le risque de transfomer l’échafaud
en siège de prédicateur. Néanmoins,
pour tous ceux qui en furent les témoins, la mort de Fulcran Rey fut la plus éloquente
de ses prédications. Des
catholiques romains eux-mêmes avouèrent qu’il était mort en véritable
martyr. La ville de Beaucaire, toute
plongée dans les ténèbres et les préjugés, en fut profondément secouée.
Un célèbre pasteur de cette époque réfugié à Rotterdam, Jurieu,
conclut de la manière suivante sur ces événements: “Je souhaiterais que
trois ou quatre sortes de gens réfléchissent sur cette mort.
Premièrement, les ennemis de la vérité.
Est-il possible qu’ils ne reconnaîtront jamais là-dedans le caractère
de la vraie religion? Je les engage
vivement à considérer ce qui ressemble le plus à Jésus-Christ et ses apôtres:
un homme qui meurt comme nous venons de voir mourir ce jeune homme, ou des gens
qui le font mourir pour sa religion et parce qu’il n’a pas voulu y renoncer?
Deuxièmement, je mets cet exemple devant les yeux de ceux qui ont renoncé
à leur foi et qui, séduits ou par leurs passions ou par leurs illusions,
regardent la religion qu’ils ont quittée comme une religion abominable.
Peuvent-ils être persuadés que tant de courage, tant de piété, tant de
constance, tant de modération, tant de douceur vienne de celui qui est le père
du mensonge et la source des crimes! Si
c’est l’Esprit de Dieu qui produit ces effets miraculeux dans nos martyrs,
notre religion n’est donc pas privée du Saint Esprit?
Dieu ne nous a donc pas abandonnés?
Nous ne sommes donc pas en dehors de son Eglise?”
Puis, se tournant vers les faibles qui, tout en conservant la vérité
dans le coeur, n’avaient pas craint de la renier des lèvres, le pasteur de
Rotterdam leur adresse cette vive injonction: ‘Je le demande: n’étiez-vous
pas obligé à faire ce que ce martyr a fait?
A-t-il rendu à Dieu plus qu’il ne lui devait?
Qui est celui qui n’est pas obligé de sceller et de confirmer la vérité
par ses souffrances? Ne vous
justifiez pas. Relevez-vous par la
repentance si vous voulez que Dieu vous pardonne.”
Un autre réfugié célèbre provenant de la ville de Nîmes, un juriste
qui publia en Angleterre une histoire de sa ville natale, raconte dans les dernières
pages se son ouvrage le martyre de Fulcran Rey et du pasteur Brousson, très
actif dans les assemblées du Désert. Il
conclut en ces termes: “Faisons bien attention à rendre notre confession et
notre foi glorieuses, par une conduite sage et modeste, par une vie exemplaire
et par un entier dévouement au service de Dieu.
Souvenons-nous toujours que nous sommes les enfants et les pères des
martyrs. N’oublions jamais cette
gloire. Tâchons de la transmettre
à la postérité.” Un autre
auteur protestant contemporain écrit ceci dans une lettre donnant elle aussi
les détails de la vie et la mort de Fulcran Rey: “Dieu veuille nous mettre en
état de pouvoir imiter le zèle et la fidélité de ce digne martyr de nos
jours, pour le suivre jusque dans son repos et dans son triomphe!
C’est le voeu que je pousse de bon coeur vers le ciel pour vous et pour
tous ceux qui vous ressemblent.” Et
que pouvons-nous ajouter à ces paroles écrites il y a trois siècles, que
chacun peut s’appliquer à soi-même? L’exemple
de Fulcran Rey et de bien d’autres, sur lesquels je reviendrai au cours de
prochaines émissions, nous dit fortement à tous que l’Evangile est une
puissance et que seul le Royaume promis par Jésus-Christ à tous ceux qui
croiraient en lui, est permanent. Même
les biens les plus précieux que nous possédons ici sur terre, ne sauraient
peser en face de ce Royaume. Je
voudrais justement vous lire, en poursuivant cette émission, quelques paraboles
de Jésus-Christ sur le Royaume des cieux. Nous
les trouvons au chapitre treize de l’Évangile selon Matthieu: “Le
royaume des cieux ressemble à une graine de moutarde qu’un homme a prise pour
la semer dans son champ. C’est la
plus petite de toutes les semences. Mais
quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes du potager et devient un
arbuste, si bien que les oiseaux du ciel viennent nicher dans ses branches.(…)
Le royaume des cieux ressemble à du levain qu’une femme prend
pour le mélanger à une vingtaine de kilogrammes de farine.
Et, à la fin, toute la pâte
lève. (…)
Le royaume des cieux ressemble à un trésor enfoui dans un champ.
Un homme le découvre: il le cache de nouveau, s’en va, débordant de
joie, vend tout ce qu’il possède et achète ce champ. (…)
Voici encore à quoi ressemble le royaume des cieux: un marchand cherche
de belles perles. Quand il en a
trouvé une de grande valeur, il s’en va vendre tout ce qu’il possède et
achète cette perle précieuse.
Mais, mais auditeurs,
reprenons ensemble ces autres paroles de Jésus-Christ à ses disciples, que
nous trouvons au chapitre treize de l’Evangile de Marc, et que je vous ai lues
au début de notre première émission intitulée “l’Eglise sous la
Croix”. Ces paroles, je les ai
illustrées pour vous par l’histoire de la persécution des protestants en
France il y a trois siècles. Elles
restent valables pour de nombreux chrétiens dans le monde aujourd’hui et le
resteront certainement jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ, lors de son
retour qui mettra fin à la forme actuelle de ce monde dans lequel nous vivons.
Elles avertissent et encouragent à la fois tous ceux qui ont mis leur
espérance en Jésus-Christ comme en leur Dieu Sauveur: “Prenez garde à
vous-même; on vous livrera aux tribunaux, et vous serez battus de verges dans
les synagogues; vous comparaîtrez devant les gouverneurs et devant les rois, à
cause de moi, pour leur servir de témoignage.
(…) Quand on vous emmènera pour vous livrer, ne vous inquiétez pas
d’avance de ce que vous direz, mais dites ce qui vous sera donné à l’heure
même; car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit Saint.
Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant: les
enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir.
Vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui persévérera
jusqu’à la fin sera sauvé.”