L’EGLISE SOUS LA CROIX (5)

Amis auditeurs, parler des martyrs de la foi chrétienne, c’est parler de l’Eglise sous la Croix, c’est-à-dire de l’Eglise qui suit Jésus-Christ sur le chemin de sa crucifixion.  Aujourd’hui il existe de par le monde bien des chrétiens persécutés pour leur foi, surtout en Asie, en Afrique, au Moyen et au Proche Orient  La presse internationale n’en parle pas beaucoup, car ce n’est politiquement pas correct. On préfère passer sous silence ce qui se passe pour ne pas se faire mal voir des uns ou des autres.  C’est une forme de mensonge, mais qu’importe!  Le Dieu Tout Puissant, lui,  connaît toutes les épreuves qui affectent et affligent ses enfants fidèles.  Il est leur consolateur, leur sauveur, leur espérance.  Il est aussi le juge des persécuteurs, qui n’échapperont pas à sa vengeance au jour venu, à moins qu’ils ne se repentent et changent leurs voies. 

Lors de précédentes émissions, nous avons évoqué la persécution des protestants en  France après la Révocation de l’Edit de Nantes.  Le martyre du jeune prédicant Fulcran Rey a arrêté notre attention.  Combien l’exemple de son courage, de sa foi inébranlable parle encore avec force aujourd’hui, témoignant de ce que l’Eglise sous la Croix est vraiment le corps de Jésus-Christ; corps martyrisé, certes, mais corps destiné à la résurrection et à l’incorruptibilité.  Cette foi vibrante, qui n’a pas peur de la mort, qui est prête à tout abandonner ici-bas pour aller rejoindre le Seigneur Jésus-Christ, qui refuse toute compromission et résiste à la tentation  du reniement, cette foi témoigne de ce que Jésus-Christ est déjà pleinement ressuscité dans la vie du croyant, qu’il anime par son Saint Esprit.

Mais, si vous le voulez bien, reprenons l’histoire de ces protestants du dix-huitième siècle en France.  Un des pasteurs du Désert, Pierre Peyrot, écrivait un de ses tout premiers sermons, rédigé en 1733, sur le Psaume 4, verset 8: “Tu as mis plus de joie dans mon coeur qu’ils n’en ont, lorsque leur blé et leur meilleur vin abondent.”  Voici comment Peyrot aborde le sujet dans son sermon:  Quand les fidèles seraient encore plus souvent persécutés par les méchants qu’ils ne le sont, cela ne renverserait pas nos preuves, car nous n’avons pas dit que les méchants soient toujours soumis aux bons, mais nous avons dit que, quoique les gens de bien soient quelquefois affligés, ils sont encore plus heureux que les méchants au milieu de leurs victoires et de leurs triomphes.  Caïn persécute Abel, il est vrai; mais en est-il pour cela plus heureux?  Au contraire, il dit lui-même que sa peine est plus grande qu’il ne peut la porter.  David, affligé, persécuté, déclare formellement qu’il est plus heureux dans son affliction que ceux qui le persécutent ne le sont dans leur plus grande prospérité.  ‘Tu as mis, dit-il dans ce texte, plus de joie dans mon coeur, au temps de mon affliction, que les méchants en ont au temps que leur blé et leur meilleur vin ont été abondants.’  Saint Etienne lapidé est plus heureux dans cet état que ceux qui le lapident.  Il possède une si grande paix, il ressent une si grande joie au milieu de son martyre, qu’elle lui fait devenir le visage aussi resplendissant que celui d’un ange.  Saint Paul est plus heureux dans les chaînes que le cruel Néron sur le trône.  Si, d’un côté, Dieu permet que son apôtre soit affligé, de l’autre côté, il lui donne la force de le supporter.  Aussi l’apôtre dit qu’il se glorifiera dans les infirmités, afin que la puissance du Christ habite en lui.  ‘Je prends plaisir, dit-il, dans les infirmités, dans les injures, dans les nécessités, dans les persécutions et dans les angoisses pour Christ, car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.’  Pierre Peyrot se souvient de son maître vénéré, Pierre Durand, qui avait été exécuté l’année précédente à Montpellier.  Les paroissiens du martyr n’avaient pas oublié sa ferme attitude devant ses juges et sa sérénité en face de la mort.  Aussi Peyrot continue en ces termes: “Dieu n’en use pas seulement ainsi avec saint Paul; mais il en use de la même manière envers tous ceux qu’il appelle à souffrir pour son nom.  Il leur accorde à tous son Saint Esprit, qui leur donne la force de supporter patiemment les maux auxquels ils sont exposés, qui fait que lorsqu’ils paraissent faibles, c’est alors qu’ils sont forts.  C’est ainsi que Dieu en a usé, il n’y a que très peu de temps, en la personne de notre très cher et bien aimé frère M. Durand.  Si ce digne ministre de Jésus-Christ avait été abandonné à lui-même; si son divin maître ne l’avait pas soutenu, consolé, comment aurait-il pu résister à tant d’attaques?  Comment aurait-il pu souffrir avec tant de patience de si rudes épreuves?  Il ne l’aurait pu, s’il n’avait été secouru par son divin maître.” 

Mais, amis auditeurs, transportons-nous maintenant à vingt ans plus tard, à l’année 1752: c’est l’année de la grande persécution, durant laquelle intendants et commandants de troupes rivalisent de zèle pour disperser les assemblées et surprendre les prédicants.  Les réformés sont obligés de faire rebaptiser leurs enfants par l’Eglise officielle, celle-là même qui les persécute, sous peine de voir les soldats renouveler chez eux les excès des dragonnades.  La fameuse tour de Constance, prison qui aura vu enfermées en son sein des femmes protestantes pendant trente-huit ans, regorge de prisonniers, de même que les galères du roi, tandis qu’un grand nombre de protestants traversent la frontière, comme au lendemain de la Révocation.  Ils vont grossir les rangs des pays dits du Refuge, comme la Suisse, les Pays-Bas ou l’Allemagne.  En France, la potence est dressée en permanence.  Le 27 mars, le proposant François Bénézet scelle joyeusement, à Montpellier, le témoignage qu’il rend à l’Evangile.  Trois mois après, c’est le tour de Roque, simple cultivateur, qui, surpris dans une assemblée et condamné pour ce crime à la potence, meurt à Nîmes avec le même héroïsme en adressant cette courte réponse à deux jésuites qui veulent le convertir à la dernière minute: “Hé!  Comment pourrais-je croire votre religion bonne, pendant que je vous vois tous les jours tremper vos mains dans le sang des chrétiens?  Mais l’Eglise sous la Croix ne perd pas courage; elle se recueille, elle prie, et bien loin de céder à l’orage, bien loin de se laisser effrayer par ce redoublement de violence, elle se groupe avec plus d’amour autour de ses conducteurs spirituels qui ouvrent leurs rangs à de nouveaux frères.  Nous sommes le 25 octobre 1752.  Suivons l’un de ces groupes qui, par chemins détournés, se rendent à l’assemblée du Désert.  Les fidèles seront nombreux au mystérieux rendez-vous, car il s’agit d’une cérémonie qui se déroule bien rarement: une consécration de pasteurs.  Alexandre Ranc,  lui-même frère d’un martyr, et Alexandre Vernet, tous les deux enfants du Vivarais, vont être mis à part pour le service des Eglises persécutées.  Ils seront consacrés par leur maître et ami, Pierre Peyrot, qui est chargé par le synode de les introduire dans la carrière.  Quand il paraît dans la chaire que l’on porte au Désert et que l’on adosse au tronc d’un arbre, bien des prières montent pour lui vers le ciel, car on sait que sa tête est mise à prix et que les espions sont à ses trousses.  Il lit le texte biblique tiré de l’Evangile selon Matthieu, chapitre 10, verset 16, où Jésus dit à ses disciples: “Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups.”  Au milieu de l’attention générale, il commence en ces termes: “Oui, mes frères, nous pouvons le dire, sans crainte de mentir, nous pouvons le déclarer à la face du ciel et de la terre, nous sommes comme des brebis au milieu des loups (…) Combien de voix n’y a-t-il pas qui nous tiennent ce terrible langage?  Que nous disent les craintes où nous avons été pour célébrer cette cérémonie, les précautions que nous avons été obligés de prendre pour nous protéger?  Que nous dit le lieu où nous sommes, dans une occasion aussi solennelle? Quoi! Etre sans temple!  Etre exposés aux intempéries!  Etre obligés de fuir les lieux habités pour se cacher dans les bois, dans les déserts affreux!  Ces lieux sauvages ne nous crient-ils pas qu’il faut que nous nous regardions parmi les hommes comme des brebis au milieu des loups, puisque nous sommes obligés de les fuir avec tant de soins?  Que nous dit cette haine que tant de gens, à qui nous n’avons jamais fait aucun mal, ont cependant contre nous?  Que nous disent ces projets, ces complots sanguinaires qu’on trame chaque jour pour nous découvrir et pour nous perdre?  Que nous disent, non pas trente pièces d’argent, mais de grosses sommes, destinées, promises aux Judas qui pourront nous trahir et nous livrer?  N’est-ce pas comme autant de voix qui nous crient: ‘Vous êtes comme des brebis au milieu des loups?’  Que nous disent ces troupes dont nous sommes environnés de tous côtés, toujours armées, toujours prêtes à marcher contre nous, n’attendant pour cela que le moment fatal de découvrir notre cachette?  Que nous disent ces ordonnances, ces déclarations, par lesquelles notre religion est interdite et proscrite, et par lesquelles tous ceux qui l’ont enseignée sont condamnés aux mêmes peines que les criminels?  Et Peyron continue, avant de s’adresser directement aux jeunes pasteurs qu’il va consacrer: “Qu’est-ce que cela vous demande?  Un dépot sacré vous est confié, vous devez le garder.  Une couronne vous est imposée sur la tête, vous ne devez jamais souffrir qu’on vous la retire.”

Amis auditeurs, la prochaine fois j’évoquerai pour vous la vie des deux derniers protestants français condamnés comme forçats aux galères royales, Antoine Riaille et Paul Achard; ils y passèrent trente ans, de 1745 à 1775, sans aucunement renoncer à leur foi, et ne furent libérés qu’au soir de leur vie.