L’EGLISE SOUS LA CROIX (8)

Amis auditeurs, après avoir vu, dans une série d’émissions précédentes, quel était l’état de l’Eglise sous la Croix en France aux dix-septième et dix-huitième siècles, avec l’histoire des protestants persécutés par l’autorité royale, je vous propose de faire un retour en arrière, et même un bond historique considérable, pour nous retrouver au premier siècle de notre ère, sous le règne de Néron, le sixième empereur romain.  A cette époque, l’apôtre Paul sillonne les routes et les voies maritimes de l’empire romain.  D’autres disciples du Christ annoncent l’Evangile dans différentes provinces de l’empire. Néron, lui, après des débuts prometteurs comme empereur, allait bientôt donner la mesure de sa folie meurtrière et sanguinaire, n’épargnant même pas ses amis les plus proches et sa propre famille.  D’après l’historien romain du début du second siècle Tacite, la population de Rome l’avait rendu responsable du gigantesque incendie de Rome qui, en l’an 64,  fit rage pendant une dizaine de jours.  Le cirque de Rome , long de sept cents mètres et capable de contenir cent mille spectateurs, avait lui aussi été détruit.  Le bruit courait que Néron aurait soit fait allumer l’incendie par ses officiers, soit empêché qu’on s’active à l’éteindre, le tout pour jouir depuis un lieu élevé du spectacle extraordinaire de la ville embrasée.  En contemplant ce spectacle l’empereur, qui se prenait pour un grand poète, aurait même déclamé des vers tout en s’accompagnant de la lyre.  Néron aurait peut-être aussi fait brûler Rome pour la reconstruire à sa fantaisie.  Quoiqu’il en soit, afin de détourner les soupçons, il fit porter le blâme sur ceux qu’on appelait déjà les chrétiens, terme injurieux sous la plume même de Tacite, qui parle de leur ‘abominable caractère’.  A Rome vivait un nombre croissant de chrétiens, ce dont témoigne la lettre que l’apôtre Paul leur avait adressée quelque huit ans auparavant.  Un grand nombre fut donc arrêté, pas d’ailleurs comme incendiaires, mais comme ennemis du genre humain.  Les supplices les plus cruels leur furent appliqués, et leur mort devait servir d’amusement aux foules dépravées: certains étaient revêtus de peaux d’animaux sauvages et livrés à des chiens féroces pour être déchiquetés par eux.  D’autres étaient couverts de cire, attachés à des croix et, une fois le feu mis sur leur corps, servaient de torches vivantes pour éclairer les jardins de l’empereur, ouverts au public pour l’occasion.  Celui-ci s’y  promenait d’ailleurs sur son char, habillé en conducteur. Finalement, rapporte Tacite, la sympathie du public se fit sentir pour les victimes, bien que selon l’historien ils aient mérité les châtiments les plus extrêmes. Cependant on sentait bien qu’ils étaient exterminés non pas pour le bien public, mais simplement pour assouvir la cruauté d’un homme.  C’est aussi sous le règne de Néron que Paul et Pierre mourront en martyrs à Rome , selon une tradition bien attestée: le premier décapité, car il était citoyen romain, le second crucifié, mais tête bêche, car, toujours selon la tradition, il ne se serait pas jugé digne de mourir de manière semblable à son Maître et Sauveur Jésus-Christ.

Mais franchissons une centaine d’années.  Le plus ancien récit de la mort d’un martyr chrétien est un écrit datant du second siècle, Le Martyre de Polycarpe.  Polycarpe, évêque de Smyrne en Asie Mineure, aujourd’hui Izmir en Turquie, était un homme âgé de quatre-vingt-six ans.  Selon son disciple Irénée de Lyon, Polycarpe avait connu Jean, le disciple de Jésus, qui vivait à Ephèse, en Asie Mineure.  Le récit de son martyre, qui eut sans doute lieu vers l’an 155 ou 156 de notre ère, quoique certains pensent qu’il est plus tardif, a dû être composé peu après, et a été rédigé par l’église de Smyrne à l’intention d’autres églises.  Je vous lis de larges extraits de cet écrit: “Frères, nous rédigeons à votre intention les actes des martyrs de ce bienheureux Polycarpe, dont le supplice sembla apposer un sceau sur la persécution en y mettant fin.  Dans presque tous les événements qui précédèrent sa mort, le Seigneur nous montre les affinités de ce martyre avec l’Evangile lui-même.  Polycarpe, comme le Seigneur, a attendu avant d’être trahi, voulant par cet exemple nous apprendre à ne pas songer à notre intérêt mais aussi à celui des autres.  La marque d’une vraie et solide charité, c’est de ne pas chercher son seul salut, mais celui de tous les frères. (…) Ceux que l’on avait condamnés aux bêtes furent eux aussi soumis à d’atroces supplices.  On les étendit sur des coquillages hérissés de pointes et on leur infligea les tortures les plus variées, dans l’espoir qu’une souffrance aussi prolongée les forcerait d’abjurer.  L’imagination du diable à leur endroit ne connaissait pas de bornes.  Mais, grâce à Dieu, elle ne put triompher d’un seul.  L’un des plus vaillants, Germanicus, rendait courage aux timides par sa propre intrépidité.  Il fut admirable dans sa lutte avec les bêtes.  Le proconsul voulait le fléchir; il le suppliait d’avoir pitié de sa jeunesse; mais lui, irritant le fauve, le fit bondir sur lui, tant il avait hâte d’en finir avec ce monde d’injustices et  de cruautés.  Alors, la foule, déchaînée par le courage et la piété de cette grande famille que forment les chrétiens, vociféra: “A mort les athées!  Qu’on amène Polycarpe!”  La foule, amis auditeurs, appelait les chrétiens des athées parce qu’ils n’adoraient pas les dieux païens.  Mais continuons notre récit: “Un seul défaillit, à la vue des bêtes; c’était un phrygien nommé Quintus, récemment arrivé de son pays.  Il s’était présenté spontanément au juge, entraînant avec lui quelques compagnons.  Le proconsul, à force de prières, parvint à le faire abjurer et sacrifier [aux dieux païens].  Aussi, frères, nous n’approuvons pas ceux qui vont d’eux-mêmes se dénoncer.  L’Evangile ne préconise pas ce zèle.

Quant à l’admirable Polycarpe, ces nouvelles ne le troublèrent pas d’abord.  Il voulait rester en ville.  Mais son entourage le pressait de s’éloigner en secret.  Il partit donc et gagna une petite retraite, non loin de la ville.  Il séjourna là avec quelques amis.  Nuit et jour, il ne faisait que prier pour tous les hommes et pour les Eglises du monde: c’était sa coutume.  Au cours d’une prière, il reçut une vision.  Trois jours avant d’être arrêté, il vit son oreiller entièrement consumé par les flammes.  Alors il se tourna vers ses compagnons et leur dit: “Je serai brûlé vif.”  Cependant on le cherchait sans répit.  Il dut changer d’asile.  A peine avait-il quitté la première maison, les gardes y arrivèrent.  Ne le trouvant pas, ils mirent la main sur deux jeunes esclaves, et en firent avouer un sous la torture.  Il ne pouvait donc plus leur échapper, puisque ses familiers venaient de le livrer.  Le chef de la police qui portait le même nom qu’Hérode, était pressé de le conduire au stade; ainsi Polycarpe allait-il accomplir sa destinée en s’unissant au Christ, tandis que ceux qui l’avaient livré endureraient le châtiment de Judas.  Emmenant le jeune esclave – c’était un Vendredi vers l’heure du souper -  gardes et cavaliers sortirent, armés comme à l’accoutumée, et reprirent leur chasse comme s’ils poursuivaient un brigand.  Tard dans la soirée, ils firent irruption.  Polycarpe était couché dans une petite chambre à l’étage.  De là, il aurait pu encore gagner une autre retraite, mais il s’y opposa, disant simplement: “Que la volonté de Dieu soit faite.”  Au bruit que faisaient les policiers, il s’entretint avec eux.  Son âge et sa sérénité les jetèrent dans l’étonnement.  Ils se demandaient pourquoi il fallait tant s’enrager à capturer ce grand vieillard.  Lui, malgré l’heure, leur fit servir aussitôt à boire et à manger, autant qu’ils le désiraient.  Il leur demanda seulement de lui laisser une heure pour prier à sa guise.  Ils acceptèrent.  Alors, debout, il entra en prière, si intensément rempli de la grâce de Dieu que deux heures durant il ne put cesser de parler.  Ceux qui l’entendaient étaient bouleversés et beaucoup se repentaient d’être venus arrêter un vieillard aussi saint.  Quand enfin il eut fini sa prière, où il avait évoqué tous ceux qu’il avait rencontrés en sa vie, petits et grands, illustres et obscurs, et toute l’Eglise universelle répandue dans le monde entier, l’heure de partir avait sonné.  Ils le juchèrent sur un âne et le conduisirent à la ville.  C’était le jour du grand sabbat.  Le chef de la police Hérode et son père Nicétès vinrent à sa rencontre et le firent monter dans leur carrosse.  Assis à côté de lui, ils essayaient de l’ébranler, en lui disant: “Quel mal y a-t-il à déclarer Seigneur César, à sacrifier et a faire les quelques gestes qui te sauveraient la vie?”  Lui, d’abord, ne leur répondit pas, et comme ils le pressaient, il déclara: “Je ne ferai rien de ce que vous me demandez.”  Alors, irrités par leur échec, ils se mirent à l’insulter et le poussèrent si brutalement hors de la voiture qu’en descendant il s’entailla la jambe.  Mais, sans se retourner, et comme s’il ne sentait pas la douleur, il marcha d’un pas résolu vers le stade.  De là fusaient de telles clameurs que nul ne pouvait se faire entendre. 

Mais, amis auditeurs, je poursuivrai avec vous lors de notre prochaine émission la lecture de ce récit du second siècle de notre ère, “Le martyre de Polycarpe” et vous invite donc à rester à l’écoute de Foi et Vie Réformées.