ETRE PRET A MOURIR (2)
Aucun texte, dans la Bible, ne parle de notre
condition mortelle de manière plus éloquente que le psaume 90, que je voudrais
vous lire en entier. Texte d’une
profondeur sans pareille, qui non seulement contraste de manière absolue l’éternité
divine avec la condition humaine mortelle, mais affirme que notre condition
mortelle est la conséquence du courroux de Dieu contre sa créature.
Le psaume débute avec un court titre, attribuant à Moïse sa rédaction:
Prière de Moïse, l’homme de Dieu.
O Seigneur, d’âge en âge tu as été notre
refuge. Avant que soient nées les
montagnes, et que tu aies créé la terre et l’univers, de toute éternité et
pour l’éternité, toi, tu es Dieu. Tu
fais retourner l’homme à la poussière, et tu dis aux humains:
“Retournez-y!” Car mille ans, à
tes yeux, sont comme le jour d’hier qui est déjà passé, comme une seule
veille au milieu de la nuit. Tu balaies les humains comme un peu de sommeil qui
s’efface à l’aurore. Ils sont
pareils à l’herbe qui fleurit le matin, qui passe et qui, le soir, se fane et
se flétrit. Nous sommes consumés
par ta colère, ta fureur nous effraie: tu as mis devant toi tous nos péchés,
et tu mets en lumière tout ce qui est caché.
Tous nos jours disparaissent par ta colère, et nos années s’effacent
comme un murmure… Le temps de
notre vie? C’est soixante-dix ans, au mieux: quatre-vingts ans pour les plus
vigoureux; et leur agitation n’est que peine et misère.
Car le temps passe vite et nous nous envolons.
Qui peut connaître l’intensité de ta colère, qui te respecte assez
pour tenir compte de ton courroux? Apprends-nous
donc à bien compter nos jours, afin que notre coeur acquière de la sagesse!
Tourne-toi de nouveau vers nous, ô Eternel!
Jusques à quand tarderas-tu encore?
Aie pitié de tes serviteurs! Rassasie-nous
tous les matins de ton amour, et nous crierons de joie, pleins d’allégresse,
tout au long de nos jours. Rends-nous
en jours de joie les jours de nos épreuves, et en années de joie nos années
de malheur! Que ton oeuvre
apparaisse envers tes serviteurs! Et
que leurs descendants découvrent ta grandeur!
Que la tendresse du Seigneur, notre Dieu, repose sur nous tous!
Fais prospérer pour nous l’ouvrage de nos mains!
Oh oui! Fais prospérer l’ouvrage de nos mains!
Notez, amis auditeurs, comment cette invocation
qu’est le psaume 90, allie la conscience extrêmement aigue de la finitude de
la vie humaine, à un appel intense adressé au Créateur afin qu’il soutienne
et donne sens à l’existence. La
conscience de la finitude de la vie humaine se manifeste d’abord dans le
contraste radical entre cette même vie humaine et l’éternité qui caractérise
Dieu: “Avant que soient nées les montagnes, et que tu aies créé la terre
et l’univers, de toute éternité et pour l’éternité, toi, tu es Dieu.” Et,
un peu plus loin: “Car
mille ans, à tes yeux, sont comme le jour d’hier qui est déjà passé, comme
une seule veille au milieu de la nuit.” Cependant,
aussi éloignées l’une de l’autre qu’elles puissent sembler, l’éternité
divine et la finitude humaine sont liées, au sens où la seconde est conditionnée
par la première. Le début du
psaume fait une constatation qui dépasse l’expérience immédiate du
psalmiste: O Seigneur, d’âge en âge tu as été notre refuge.”
Dieu est un refuge non pas pour un seul individu, mais pour une
succession de générations humaines qui
le connaissent. Le psaume débute
donc sur une note de confiance, fondée sur une constatation, celle de la fidélité
du Dieu qui transcende les générations humaines.
Pourtant, immédiatement après, vient le constat suivant, qui pourrait
sembler en choquant contraste avec le précédent: “Tu fais retourner
l’homme à la poussière, et tu dis aux humains: “Retournez-y!”
Comment le psalmiste peut-il commencer en faisant état de la fidélité
de Dieu de génération en génération, tout en déclarant que c’est ce même
Dieu qui balaie les humains et les fait retourner à la poussière?
Ce Dieu n’est-il donc qu’une force aveugle, cruelle et arbitraire?
La raison est en fait fournie un peu plus loin: “Nous sommes consumés
par ta colère, ta fureur nous effraie: tu as mis devant toi tous nos péchés,
et tu mets en lumière tout ce qui est caché.”
La finitude de la vie humaine, notre condition mortelle, sont la conséquence
du jugement divin sur nos fautes. C’est
un thème qui traverse toutes les pages de la Bible, depuis le livre de la Genèse,
au début de l’Ancien Testament, jusqu’à l’Apocalypse, à la fin du
Nouveau Testament. Notre condition
mortelle n’est pas un simple fait naturel, mais avant tout un fait relationnel
caractérisé par une rupture qui amène sur toute génération le jugement
divin. La conséquence? “Tous
nos jours disparaissent par ta colère, et nos années s’effacent comme un
murmure… Le temps de notre vie?
C’est soixante-dix ans, au mieux: quatre-vingts ans pour les plus vigoureux;
et leur agitation n’est que peine et misère.
Car le temps passe vite et nous nous envolons.”
Le psalmiste exprime une angoisse existentielle liée au caractère inéluctable
du temps qui s’écoule tel le sable qui, dans un sablier, s’écoule
sans qu’on puisse en arrêter le cours. On se sent envahi par un sentiment
d’impuissance: impuissance à arrêter cette marche inéluctable vers la mort,
tout en se posant la question du pourquoi de notre vie, comme le fait aussi
l’Ecclésiaste dans l’Ancien Testament.
Pourtant, ce qui pourrait apparaître comme une perspective désespérée,
menant au nihilisme, débouche sur une
quête de la sagesse, sagesse qui consiste à connaître et respecter Dieu comme
Juge et à apprendre à compter nos jours: “Qui peut connaître
l’intensité de ta colère, qui te respecte assez pour tenir compte de ton
courroux? Apprends-nous donc à bien
compter nos jours, afin que notre coeur acquière de la sagesse!’
L’apprentissage de cette sagesse mène d’ailleurs à un appel
intense adressé au Créateur afin qu’il soutienne et donne sens à
l’existence. Cet appel pressant constitue la dernière partie du psaume, et
manifeste une confiance au Dieu invoqué qui n’est pas une force obscure et
chaotique, mais bien un Dieu personnel qui peut sauver: “Tourne-toi de
nouveau vers nous, ô Eternel! Jusques
à quand tarderas-tu encore? Aie
pitié de tes serviteurs! Rassasie-nous
tous les matins de ton amour, et nous crierons de joie, pleins d’allégresse,
tout au long de nos jours. Rends-nous
en jours de joie les jours de nos épreuves, et en années de joie nos années
de malheur!” Pour le
psalmiste, l’amour de Dieu n’est
pas une réalité dont il est impossible de faire l’expérience, puisqu’il
l’implore. La joie et l’allégresse, qui en découlent,
ne sont pas non plus hors de portée et peuvent très bien caractériser
le cours d’une vie renouvelée par la présence divine, puisqu’elles sont
ardemment recherchées. Même si notre vie ici bas reste marquée par la
finitude, par la perspective de la mort, elle peut tout aussi bien retrouver un
sens et même être caractérisée par la joie. Au fond, le psaume 90 est une
incitation à perséverer dans la prière, au milieu de la plus grande détresse.
Car le même Dieu qui “balaie
les humains comme un peu de sommeil qui s’efface à l’aurore” est
celui qui peut rendre en jours de joie les jours de nos épreuves, et en années
de joie nos années de malheur. Il
peut opérer ce renversement, du sein de son éternité divine.
D’ailleurs, s’il ne l’avait pas fait au cours des générations précédentes,
le psalmiste aurait-il pu commencer en disant:
“O Seigneur, d’âge en âge tu as été notre refuge”?
Il se place justement dans cette succession d’hommes et de femmes
qui en ont fait l’expérience dans l’humilité et la reconnaissance de ce
que l’humanité pécheresse tombe bien sous la coupe du jugement divin, mais
peut aussi faire appel à la grâce divine.
C’est cette oeuvre de grâce qu’il s’attend à voir lorsqu’il
implore: “Que ton oeuvre apparaisse envers tes serviteurs!”
Sur cette base il peut conclure avec confiance en réitérant par
deux fois la supplication suivante: “Fais prospérer pour nous l’ouvrage
de nos mains! Oh oui! Fais prospérer
l’ouvrage de nos mains!” C’est
reconnaître que rien de ce que nous entreprenons ne peut aboutir, ou revêtir
une solidité à l’épreuve du jugement divin, si ce n’est ce que Dieu lui-même
a béni, et sur lequel il importe d’invoquer la bénédiction.
Aucune de nos oeuvres ne peut échapper au sort de “l’herbe qui
fleurit le matin, qui passe et qui, le soir, se fane et se flétrit”, si
ce n’est ce qui est en conformité de caractère avec l’oeuvre de Dieu,
oeuvre que le psalmiste aspire tant à voir
apparaître aux yeux des serviteurs de Dieu.
L’oeuvre du Dieu éternel et les oeuvres humaines destinées à résister
au feu du jugement divin sont bien liées dans une relation étroite: celle de
la grâce divine.