Amis qui êtes à l’écoute, je vous ai récemment présenté une série d’émissions sur le thème de l’Eglise sous la Croix, c’est-à-dire l’Église persécutée par les ennemis de Jésus-Christ d’une façon ou d’une autre. Cette persécution n’est pas seulement le fait du passé, mais elle est bien vivante aujourd’hui. On sait d’ailleurs que l’Eglise chrétienne n’a jamais autant été persécutée qu’au vingtième siècle, et cela continue dans bien des pays au vingt-et-unième siècle. L’épisode que je voudrais vous raconter aujourd’hui remonte pourtant au début de l’ère chrétienne, plus précisément à la fin du troisième siècle, vers la fin de l’an 285 ou le début de l’an 286 de l’ère chrétienne. J’emprunte ce récit - en l’adaptant - à un livre paru en 1993 sous le titre “Des Actes de l’Eglise”, livre écrit par Jean-Marc Berthoud, un grand apologiste de la foi chrétienne qui brosse dans son ouvrage le portrait de chrétiens courageux au cours des âges.
A
l’époque qui nous intéresse, l’empire romain domine toujours sur
l’occident.
Mais les événements qui nous intéressent eurent lieu au tout début du règne de Dioclétien et de Maximien, quelque vingt ans avant cette grande persécution.. Maître de l’Etat, Dioclétien chercha immédiatement à rétablir la paix dans un Empire ravagé par les incursions des barbares et par des séditions intérieures. Après avoir lui-même repoussé l’invasion germanique sur le Rhin en 284, il expédia, à la fin de 285, son consort Maximien en Gaule pour mettre fin à la révolte des Bagaudes, bandes pillardes de paysans arrachés à leurs terres par les invasions germaniques et qui ravageaient villes et campagnes. C’est ainsi que l’armée de Maximien franchit le col du Grand Saint-Bernard et établit son campement dans la ville d’Octodure. C’est dans ces circonstances historiques qu’eut lieu le martyre de la légion thébaine qui nous intéresse particulièrement.
Les 33 à 35 légions romaines du temps de Dioclétien étaient chacune composée de quelque 6800 soldats. Les légions étaient ordinairement fixées sur les frontières afin d’assurer la garde de l’empire. Pour des expéditions particulières, telle la répression de la révolte des Bagaudes en Gaule, le commandement militaire impérial constituait une armée spéciale en rassemblant des détachements tirés des diverses légions dont on diminuait temporairement les effectifs. C’est ainsi que l’armée de Maximien comportait une vexillation, nom que l’on donnait à un détachement. Dans le cas qui nous intéresse cette vexillation était de la grandeur approximative d’une cohorte, comportant 550 fantassins et 132 cavaliers. Ce détachement était tiré de la 2e légion trajane ordinairement fixée en Haute Egypte, plus exactement dans la ville de Thèbes, d’où son nom de légion thébaine. Cette cohorte de Thébains avait déjà combattu en Gaule, ayant assisté au siège de la ville d’Autun en 269. Elle était entièrement composée de soldats chrétiens.
En descendant le Grand Saint Bernard, cette cohorte de soldats et d’officiers chrétiens se rendit compte que la prestation de serment de loyauté à l’empereur Maximien, qui devait précéder le rassemblement général des troupes à Octodure et l’offensive contre les Bagaudes, n’allait pas être la simple formalité militaire habituelle. Elle comporterait un sacrifice offert aux dieux, cérémonie religieuse idolâtre à laquelle les chrétiens ne pouvaient en aucune circonstance participer. D’un commun accord, la décision fut prise de brûler l’étape d’Octodure et d’attendre le gros de l’armée dans le défilé d’Agaune. Ces légionnaires chrétiens espéraient ainsi éviter la confrontation religieuse avec l’empereur que provoquerait inévitablement tout refus de sacrifier aux dieux païens. Car si l’Eglise admettait sans autre difficulté la légitimité de la fonction militaire et du serment de loyauté qu’impliquait cette fonction (et qui, depuis toujours, était prêté par la troupe lors de toute nouvelle campagne), en revanche, tout sacrifice aux dieux, acte foncièrement religieux, était refusé avec la dernière énergie, quelles que puissent en être, par ailleurs, les conséquences.