L’EGLISE SOUS LA CROIX (10)

Amis qui êtes à l’écoute, je vous ai récemment présenté une série d’émissions sur le thème de l’Eglise sous la Croix, c’est-à-dire l’Église persécutée par les ennemis de Jésus-Christ d’une façon ou d’une autre.  Cette persécution n’est pas seulement le fait du passé, mais elle est bien vivante aujourd’hui.  On sait d’ailleurs que l’Eglise chrétienne n’a jamais autant été persécutée qu’au vingtième siècle, et cela continue dans bien des pays au vingt-et-unième siècle.  L’épisode que je voudrais vous raconter aujourd’hui remonte pourtant au début de l’ère chrétienne, plus précisément à la fin du troisième siècle, vers la fin de l’an 285 ou le début de l’an 286 de l’ère chrétienne.  J’emprunte ce récit - en l’adaptant - à un livre paru en 1993 sous le titre “Des Actes de l’Eglise”, livre écrit par Jean-Marc Berthoud, un grand apologiste de la foi chrétienne qui brosse dans son ouvrage le portrait de chrétiens courageux au cours des âges.

A l’époque qui nous intéresse, l’empire romain domine toujours sur l’occident.  Rome , malgré des difficultés croissantes et les craquements que laisse entendre de toutes parts son immense Empire, demeure la maîtresse du bassin méditerranéen.  Les cantons romands de Suisse, où notre récit se situe,  font partie de la province des Gaules.  Les routes romaines qui mènent de l’Italie vers les marches rhénanes et danubiennes de l’Empire, frontières dressées contre les barbares venant du nord, traversent les Alpes par des passages précis, comme le fameux col du Grand Saint Bernard, qu’Hannibal avait franchi avec ses troupes et ses éléphants  plusieurs siècles auparavant pour aller conquérir Rome.  En l’an 284, Dioclétien, valeureux général dalmate, est porté à la charge suprême de l’Empire, celle d’empereur, par les acclamations de son armée.  Conscient du délabrement de l’Etat, cet administrateur de génie s’attaque à la réorganisation de l’Empire et prend des mesures énergiques pour repousser ses ennemis tant du dedans que du dehors.  Il divise d’abord la charge trop lourde du gouvernement unique en deux, associant en 286 son compagnon de combat Maximien au gouvernement de l’occident.  Puis, au début de 293, il établit ce qu’on appelle la tétrarchie, ou gouvernement des quatre, en partageant le pouvoir des deux empereurs, qu’on appelle les Augustes, avec leurs dauphins, nommés Césars.  Dioclétien établit le pouvoir entre les mains de la tétrarchie et impose à l’Empire un étatisme administratif, économique et financier qui pèse d’un poids écrasant sur tous les citoyens.  L’autorité centrale décide de tout, et ramène tout à elle.  L’Etat apparaît alors dans cette conception comme une personne, unissant en un groupe solidaire tous les individus; et l’empereur incarne l’Etat.  Les citoyens sont d’abord les membres de l’Etat, ensuite seulement des hommes.  Rien n’est légitime que ce que dit ou fait l’Etat, dont les intérêts dominent sans cesse ceux des particuliers.  Cette puissante administration étatique est soutenue par deux piliers: tout d’abord l’armée, qui est toujours maîtresse de la nomination des empereurs, d’autre part la religion.  On voit se développer de plus en plus l’idée de l’empereur divin: sous l’empereur Aurélien, qui précède Dioclétien de quelques années, l’empereur est déclaré Dieu.  Il va diriger toutes les activités religieuses.  On inaugure un temple il sera adoré par un nouveau groupe de prêtres.  Il se fait attribuer le titre latin de Deus et Dominus, c’est-à-dire Dieu et Seigneur.  Cela signifie qu’il peut se comporter envers l’Empire comme un propriétaire.  Dioclétien, par ses réformes, pousse à son comble cette tendance centralisatrice et étatisante.  Lui aussi assume de son vivant la divinité, prenant le titre de Jupiter et attribuant à son associé, Maximien, celui d’Hercule, fils de Jupiter.  Il est évident qu’une telle divinisation du pouvoir, une telle affirmation de la souveraineté absolue de l’Etat impérial ne pouvait éviter d’entrer en conflit brutal avec les habitants de l’Empire qui se réclamaient d’une autre Seigneurie, plus absolue encore, celle de Jésus Christ, le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois.  C’est à ce suzerain suprême qu’au dernier jour tous ceux qui exercent un pouvoir sur terre devront rendre compte. Ses disciples, ceux qui se nomment chrétiens, quoique désirant le bien de l’Empire et étant décidés à rendre à César tout ce qui appartenait à César, étaient cependant déterminés à ne rendre à l’empereur aucun des honneurs et des droits qui appartiennent à Dieu seul.  Une telle divinisation explicite du pouvoir par Dioclétien devait immanquablement conduire, tôt ou tard, à la persécution de l’Eglise.  C’est ce qui se produisit avec ce qu’on appelle la grande persécution, qui dura de 303 à 313.  Ce fut la dernière et la plus sauvage des attaques que l’empire païen dirigea contre le Christianisme.

Mais les événements qui nous intéressent eurent lieu au tout début du règne de Dioclétien et de Maximien, quelque vingt ans avant cette grande persécution..  Maître de l’Etat, Dioclétien chercha immédiatement à rétablir la paix dans un Empire ravagé par les incursions des barbares et par des séditions intérieures.  Après avoir lui-même repoussé l’invasion germanique sur le Rhin en 284, il expédia, à la fin de 285, son consort Maximien en Gaule pour mettre fin à la révolte des Bagaudes, bandes pillardes de paysans arrachés à leurs terres par les invasions germaniques et qui ravageaient villes et campagnes.  C’est ainsi que l’armée de Maximien franchit le col du Grand Saint-Bernard et établit son campement dans la ville d’Octodure.  C’est dans ces circonstances historiques qu’eut lieu le martyre de la légion thébaine qui nous intéresse particulièrement.

Les 33 à 35 légions romaines du temps de Dioclétien étaient chacune composée de quelque 6800 soldats.  Les légions étaient ordinairement fixées sur les frontières afin d’assurer la garde de l’empire.  Pour des expéditions particulières, telle la répression de la révolte des Bagaudes en Gaule, le commandement militaire impérial constituait  une armée spéciale en rassemblant des détachements tirés des diverses légions dont on diminuait temporairement les effectifs.  C’est ainsi que l’armée de Maximien comportait une vexillation, nom que l’on donnait à un détachement.  Dans le cas qui nous intéresse cette vexillation était de la grandeur approximative d’une cohorte, comportant 550 fantassins et 132 cavaliers.  Ce détachement était tiré de la 2e légion trajane ordinairement fixée en Haute Egypte, plus exactement dans la ville de Thèbes, d’où son nom de légion thébaine.  Cette cohorte de Thébains avait déjà combattu en Gaule, ayant assisté au siège de la ville d’Autun en 269.  Elle était entièrement composée de soldats chrétiens.

En descendant le Grand Saint Bernard, cette cohorte de soldats et d’officiers chrétiens se rendit compte que la prestation de serment de loyauté à l’empereur Maximien, qui devait précéder le rassemblement général des troupes à Octodure et l’offensive contre les Bagaudes, n’allait pas être la simple formalité militaire habituelle.  Elle comporterait un sacrifice offert aux dieux, cérémonie religieuse idolâtre à laquelle les chrétiens ne pouvaient en aucune circonstance participer.  D’un commun accord, la décision fut prise de brûler l’étape d’Octodure et d’attendre le gros de l’armée dans le défilé d’Agaune.  Ces légionnaires chrétiens espéraient ainsi éviter la confrontation religieuse avec l’empereur que provoquerait inévitablement tout refus de sacrifier aux dieux païens.  Car si l’Eglise admettait sans autre difficulté la légitimité de la fonction militaire et du serment de loyauté qu’impliquait cette fonction (et qui, depuis toujours, était prêté par la troupe lors de toute nouvelle campagne), en revanche, tout sacrifice aux dieux, acte foncièrement religieux, était refusé avec la dernière énergie, quelles que puissent en être, par ailleurs, les conséquences.

 Amis auditeurs, je reprendrai ce récit lors de notre prochaine émission, en vous invitant donc à rester à l’écoute de Foi et Vie Réformées.