ESPERER
CONTRE TOUTE ESPERANCE
Foi
et Vie Réformées a récemment consacré deux messages au thème de l’espérance,
thème que je voudrais reprendre avec vous au cours de l’émission
d’aujourd’hui, amis auditeurs. Pour qu’il y ait une espérance qui soit
autre chose qu’une chimère, avions-nous dit, il faut un objet, un but à
cette espérance. Il faut quelque chose ou quelqu’un qu’on puisse
s’approprier, vers quoi l’on tende; quelque chose ou quelqu’un à la fois
extérieur à nous-même et capable de nous habiter et de nous transformer en
profondeur. Car si nous faisons de
nous-mêmes, de nos ambitions et de nos plaisirs l’objet de notre espérance,
alors nous retomberons toujours dans
notre propre misère,
Espérer contre toute espérance:
cette formule de l’apôtre Paul, que l’on trouve dans sa lettre aux chrétiens
de
Rendre compte de l’espérance chrétienne, c’est
donc avant tout rendre compte de la Croix et du radical renversement qu’elle
opère dans l’histoire des hommes. Ce
n’est pas s’appuyer sur des triomphalismes religieux tapageurs et passagers
(comme c’est hélas souvent le cas dans bien des communautés chrétiennes,
par déformation et non par réformation); ce n’est pas non plus s’appuyer
sur un simple héritage culturel dont le noyau vivificateur, Jésus-Christ, est
absent. C’est s’appuyer
totalement sur la Croix, cet instrument de transformation irrésistible où Dieu
se donne en personne, plongeant dans les ténèbres de la condition humaine
afin de confondre une fois pour toutes la mort et son propagateur, celui
qui a séduit et continue de séduire une humanité en perpétuelle quête de délivrances
avortées. Que cette humanité
appelle la succession de ces mirages sauveteurs l’Histoire, le Progrès, la
Raison, la Science, la Démocratie et les Droits de l’Homme, qu’elle la définisse
par n’importe quels autres vocables voire qu’elle cherche en permanence à
pulvériser les frontières sémantiques de ces vocables, elle n’aura jusqu’à
la fin des temps d’autre horizon que sa propre déchéance à moins qu’elle
n’entre dans le domaine racheté de l’enfer par le Christ victorieux: le
domaine du Royaume de Dieu. Or,
celui-ci est déjà manifesté dans la vie de ceux qui lui appartiennent,
par les fruits que l’Esprit fait naître en eux.
L’homme cherche par tous les moyens à transcender sa condition, et à
repousser les frontières de son expérience sur tous les fronts.
Lorsqu’il s’agit de repousser les frontières de sa propre folie, il
n’est d’ailleurs jamais en reste (comme en témoignent, à titre
d’exemples, la pornographie ou le développement de son arsenal nucléaire).
Cette recherche tous azimuts peut à juste titre être envisagée comme
une série d’ersatz et de dévoiements de sa quête vers l’homme parfait,
accompli, réconcilié avec lui-même, avec l’autre, avec le monde et avec
Dieu.
La vie du chrétien, elle, témoigne d’une
expansion, d’une croissance vers le Christ, l’homme parfait.
Elle n’est pas repliée sur elle-même, au contraire elle tend vers un
but, elle possède une direction. Avec
reconnaissance elle peut contempler le chemin accompli et y voir la marque de la
présence divine qui l’a soutenue tout au long de ce chemin souvent cahoteux
et semé d’embûches. Elle tend
aussi vers l’autre, dans la reconnaissance que ce prochain porteur de la même
image de Dieu est lui aussi appelé à un renouvellement total, à cette
croissance visible vers le Christ dans l’union avec lui.
La vie du chrétien cherche donc à s’intégrer dans une communauté
unie sans préjudice de la diversité qui constitue cette unité.
Certes, en tant qu’elle se situe entre le déjà et le pas
encore du renouvellement total promis à la résurrection, elle n’est
encore qu’un prélude aux choses à venir.
Cependant ce prélude comporte distinctement tous les thèmes qui seront
développés dans l’éternité. Voilà
pourquoi cette vie chrétienne marquée par l’espérance n’est pas une échappatoire
facile, une dérobade vis-à-vis de la réalité créée qui appartient au Créateur.
Elle ne s’exprime pas, ou du moins ne devrait jamais s’exprimer, sous
formes de mantras répétées mécaniquement jusqu’à la nausée soit pour
aboutir à une expérience du vide intérieur calquée sur certaines spiritualités
orientales, soit pour obtenir magiquement ou par voie d’auto-suggestion ce que
l’on souhaite ardemment. Au
contraire elle est appelée à manifester dans tous les domaines de
l’existence le caractère éthique, relationnel, qui est celui du Christ vis-à-vis
de la réalité rachetée, son domaine propre, son Royaume.
Au milieu de la désagrégation, de la désintégration, du déclin
inexorable qui marque toute forme de vie dans l’état actuel des choses, elle
constitue une semence destinée à germer de manière impérissable.
Voilà donc quelle est l’espérance et la joie du
croyant, dont il ou elle a à rendre compte: elles consistent à se savoir
racheté, greffé en Jésus-Christ, revêtu d’une vie nouvelle, restauré
pleinement dans cette image divine précédemment abîmée par la chute; à
vivre chaque jour de la vie du Christ sous la conduite de l’Esprit de Dieu,
reflétant clairement cette œuvre de restauration de l’image divine placée
par le Créateur qui est aussi le Recréateur de toutes choses; et au moyen de
cette image restaurée reluisant dans sa conduite, à amener d’autres créatures
vouées à la mort à connaître la puissance du salut manifesté en Jésus-Christ.