L’EVANGILE SELON JEAN (13)
La rencontre de Jésus-Christ avec une femme
samaritaine près d’un puits situé en dehors de la ville de Sychar, a fait
l’objet de notre méditation lors de notre émission de la fois passée, amis
auditeurs. Aujourd’hui nous
continuons cette méditation, en reprenant d’abord les paroles prononcées par
Jésus au début de cette conversation. Fatigué
après un long voyage à pied, ayant très soif, Jésus avait demandé à cette
femme venue puiser de l’eau à ce puits, de lui en donner à boire.
Etonnée de ce qu’un homme juif lui demande à boire, à elle, femme
samaritaine qui, comme son peuple, n’entretenait aucune relation avec des
Juifs, elle lui avait répondu d’un ton plutôt railleur.
Mais Jésus ne s’était pas laissé démonter: Si tu connaissais le
don de Dieu, et qui est celui qui te dis: Donne-moi à boire! C’est toi qui
lui aurais demandé à boire, et il t’aurait donné de l’eau vive.
Jésus lui prêchait immédiatement l’Evangile, et se présentait
comme celui qui a le pouvoir d’accorder une eau spirituelle qui désaltère
totalement ceux qui en boivent: Quiconque boit de cette eau aura encore soif;
mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif, et
l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira
jusque dans la vie éternelle. Ce
à quoi la femme samaritaine réplique: Seigneur, donne-moi cette eau, afin
que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici.
Ces paroles sont ambigües: n’a-t-elle pas encore compris que Jésus
parle d’une source spirituelle? Car elle revient à l’eau du puits qu’elle
vient puiser tous les jours pour ses besoins physiques.
Ou bien a-t-elle plus ou moins compris,
mais elle se moque de cet homme qui semble lui promettre monts et merveilles.
Alors elle le ramène à sa nécessité pressante et le met au défi de
pourvoir à ses besoins matériels: puisque cet inconnu qui a lui-même si soif
et lui a demandé à boire, se croit plus grand que le patriarche Jacob qui a
creusé ce puits et a donné à boire aux siens et à ses troupeaux, qu’il le
prouve maintenant…
Alors Jésus va la confronter avec la triste réalité
de sa vie personnelle. Cette fois,
elle n’aura plus l’occasion de railler ou même de douter: Va, lui dit Jésus,
appelle ton mari et reviens ici. La
femme lui répondit: Je n’ai pas de mari.
Jésus lui dit: tu as bien fait de dire: Je n’ai pas de mari.
Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton
mari. En cela tu as dit vrai.
Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es prophète.
Amis auditeurs, quelle vie que
celle
de cette femme
samaritaine: cinq maris qui tous, l’un après l’autre, l’avaient divorcée.
En effet, selon la loi de Moïse, que les Samaritains suivaient eux aussi, c’était
les maris qui divorçaient leurs femmes. Bien
sûr, comme Jésus lui-même le disait un jour à des docteurs de la Loi venus
l’interroger sur la question du divorce: C’est
à cause de la dureté de vos coeurs que Moïse vous a permis de divorcer vos
femmes, mais au commencement
de la Création
,
il
n’en était pas
ainsi. A
cause de cette dureté de coeur, mieux valait pour une femme que son mari la
divorce plutôt qu’elle n’elle ne soit exposée à toutes sortes de
brimades. Mais tout de même: quelle
série d’échecs pour cette femme, incapable de maintenir dans la durée une
relation conjugale stable. Quelle série
d’humiliations, et quelle amertume ne devait-elle pas entretenir dans son
coeur? Désabusée, sans perspective
de pouvoir établir une famille solide, après cinq divorces elle s’était
remise en ménage avec un sixième homme, mais sans l’épouser cette fois.
A quoi bon d’ailleurs? Cela
aurait sans doute fini de la même manière.
Peut-être ne pouvait-elle pas subsister matériellement sans le soutien
d’un homme à ses côtés. Et quel
genre d’homme était-ce, pour avoir repris les malheureux restes de cinq
mariages ratés? Et ne parlons pas
de la réputation de cette femme dans une petite ville comme Sychar.
Voilà donc l’être humain à qui Jésus se révélait comme celui qui
seul peut donner à boire l’eau qui désaltère au plus profond de soi-même,
l’eau spirituelle qui peut apaiser la soif de ceux dont l’existence semble
n’être vouée qu’à l’échec. Le
Fils éternel de Dieu, venu habiter comme un humain auprès des humains,
s’abaissait jusqu’à rencontrer la misère humaine la plus profonde,
celle
dont ceux qui en
souffrent ont même honte… Mais il
aura fallu que Jésus vienne percer cette femme au-dedans d’elle-même, la
renvoie à son péché, à ses échecs, à sa misère cuisante, elle qui
raillait le Fils de Dieu en lui demandant de prouver ses affirmations au sujet
de cette eau vive qu’il prétendait dispenser.
Cette fois-ci, la Samaritaine n’avait plus d’échappatoire: celui qui
lui parlait disposait bien de l’autorité qu’il s’était attribuée.
Elle le reconnaît, d’ailleurs: Seigneur, lui dit la femme, je vois
que tu es prophète. Comment faire autrement lorsqu’on est confronté de
manière si inattendue à sa vie privée par quelqu’un qui n’est pas censé
en savoir quoi que ce soit? A partir
de là, de ce début de repentance à laquelle elle a été induite, cette femme
va vraiment se mettre à l’écoute de Jésus.
Elle initie même la seconde partie de la conversation en la faisant
porter sur un sujet religieux de la plus haute importance à son avis, celui de
la vraie adoration de Dieu: Nos pères ont adoré sur cette montagne; et vous
dites, vous, que l’endroit où il faut adorer est à Jérusalem.
Ce sujet est d’autant plus sensible qu’il divise justement les Juifs
et les Samaritains: les Juifs déclaraient qu’il fallait adorer Dieu à Jérusalem,
où se trouvait son Temple, tandis que les Samaritains, eux, l’adoraient sur
le mont Garizim, tout proche. A une
époque, ils y avaient même bâti un temple, mais celui-ci avait été détruit
par un chef juif quelque cent cinquante-ans auparavant.
Encore un sujet d’hostilité entre les deux nations… A l’instar de
cette femme, les Samaritains s’appuyaient sur la tradition de leurs pères,
comme si cela suffisait à justifier leurs coutumes religieuses.
En fait, le temple bâti sur le mont Garizim l’avait été par un
grand-prêtre du nom de Manassé qui avait épousé une femme païenne.
Pressé de choisir entre la prêtrise et sa femme, et ne voulant renoncer
ni à l’une ni à l’autre, il avait fait construire ce temple pour ne plus dépendre
des sacrificateurs de Jérusalem. Quoiqu’il
en soit, la femme samaritaine accepte maintenant de se laisser instruire par cet
homme juif qu’elle a devant elle et qu’elle prend pour un prophète de Dieu.
Il va maintenant l’enseigner
sur ce qu’est la véritable adoration due à Dieu: Femme, lui dit Jésus,
crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem
que vous adorerez le Père. Vous
adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous
connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais
l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront
le Père en esprit et en vérité; car ce sont de tels adorateurs que le Père
recherche. Dieu est Esprit, et il
faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité.
Jésus ne fait pas preuve de chauvinisme vis-à-vis des Samaritains,
il ne place pas les Juifs sur un piédestal, quoiqu’il insiste sur le fait très
important que la Révélation divine a été historiquement accordée au peuple
dont il est issu: ceci demeure
important à noter et accepter aujourd’hui encore.
Il y a une ligne historique dans l’action de Dieu envers les hommes qui
se manifeste de manière particulière, et dont le peuple juif a été le dépositaire.
C’est bien par la volonté de Dieu que le Messie est venu de ce peuple et non
d’un autre et c’est donc dans ce sens qu’il faut comprendre la parole de Jésus:
Le salut vient des Juifs. Comprendre
la révélation de Dieu au cours de l’histoire des hommes c’est accepter ce
fait et honorer la manière dont Dieu a voulu se révéler à l’humanité.
Il ne s’agit pas d’inventer à la légère une tradition qui nous
convienne, ou imaginer une révélation qui plaise à notre fantaisie; bien au
contraire, il faut prendre connaissance des voies spéciales de Dieu au cours de
l’histoire humaine. Les ignorer ou
les rejeter, c’est rejeter l’action de Dieu, et donc rejeter Dieu lui-même.
Cependant ce privilège accordé au peuple juif durant un temps donné
est désormais accompli, terminé: le temps est venu où l’adoration véritable
ne recherchera pas un temple fait de pierres et situé soit à Jérusalem, sur
la colline de Sion, soit sur le mont Garizim. Le véritable Temple de Dieu,
celui qui ne saurait disparaître, c’est Jésus-Christ lui-même, issu du
peuple juif, dont le corps brisé sur la Croix ressuscitera trois jours plus
tard et sera élevé au plus haut des cieux.
Jésus annonce à la Samaritaine l’avènement d’un temps nouveau qui
est imminent, et au cours duquel Juifs et Samaritains pourront désormais être
unis dans une adoration spirituelle qui aura enfin trouvé son objet final,
accordé par celui qui est le Père commun à tous.
Adorer le Père en esprit et en vérité, c’est donc se détacher de la
tradition des pères humains si celle-ci s’oppose à Dieu ou lui fait de
l’ombre. Dieu recherche de vrais
adorateurs, non pas ceux qui forgent leur propre religion.