JEAN CALVIN (1)

 

l’Église a connu de nombreuses et remarquables figures au cours de son histoire, amis auditeurs.  Vous vous souvenez sans doute de l’évêque Polycarpe de Smyrne au second siècle après Jésus-Christ, dont j’ai raconté le martyre durant un précédent programme.  Je pense à quelques autres personnalités de premier ordre, comme l’évêque de Lyon Irénée, qui avait été enseigné dans la foi chrétienne par Polycarpe, et qui a combattu avec vigueur l’hérésie gnostique niant entre autres l’incarnation de Jésus-Christ; à l’évêque d’Alexandrie Athanase, au quatrième siècle, qui a tellement oeuvré pour faire confesser la pleine divinité de Jésus-Christ durant le concile de Nicée en l’an 325, et a dû payer sa fidélité à cette confession du prix de cinq douloureux exils durant sa longue et remarquable carrière; je pense encore à Augustin d’Hippone, le grand théologien  converti à la foi chrétienne après des années de vie dissolue et de recherche spirituelle vaine auprès de tous les courants philosophiques de son temps. On pourrait citer maints autres personnages, comme Bernard de Clairvaux en France à la fin du onzième siècle.

Une figure tout à fait remarquable, aussi bien par sa vie que par l’oeuvre qu’elle a laissée derrrière elle, est celle du réformateur français Jean Calvin, né il y a cinq siècles, très exactement le 10 juillet 1509 à Noyon, une ville de Picardie, au nord de la France.  C’est sur sa vie et son oeuvre que Foi et Vie Réformées vous propose de débuter cette nouvelle série d’émissions.  L’héritage spirituel laissé par Calvin ne s’est pas limité à la France ou à la Suisse, où il a passé la plus grande partie de sa carrière, mais s’est étendu, et continue de s’étendre, en Asie, comme par exemple en Corée du Sud ou au Japon, en Afrique, en Australie et en Nouvelle Zélande, au Brésil, dans une moindre mesure en Russie et en Ukraine.  Sans parler naturellement de l’influence exercée par la pensée de Calvin sur les  Pays-Bas et l’Amérique du nord.  Cette oeuvre prodigieuse au service de la proclamation, l’exposition et la diffusion de la foi chrétienne s’est faite au milieu de temps très troublés, difficiles voire violents aussi bien sur le plan politique que sur le plan religieux. L’époque de la Réforme, en Europe au seizième siècle, est une époque de grands changements, non seulement politiques et religieux, mais aussi intellectuels et artistiques. 

Calvin a bénéficié, dans sa jeunesse d’une formation intellectuelle très poussée, sans doute la meilleure qu’on pouvait recevoir en France à son époque.  Il n’appartenait pas à une famille noble ou très riche, mais Gérard Cauvin, son père, étant au service de l’évêché de Noyon, jouissait d’une position sociale enviable et avait beaucoup de relations. Juriste, il avait acquis pour son fils Jean ce qu’on appelait alors des bénéfices ecclésiastiques, c’est-à-dire des revenus matériels tirés des propriétés foncières de l’évêché.  A cette époque, l’Église en Europe occidentale était une puissance temporelle de taille, c’est-à-dire qu’elle possédait de très nombreuses propriétés, terres, bâtiments et en tirait des revenus importants.  Ceux qui travaillaient sur ses terres lui devaient divers impôts et redevances.  Un jeune homme pourvu de bénéfices ecclésiastiques serait entré au service de l’Eglise d’une manière ou d’une autre, en devenant par exemple chanoine, et n’aurait eu aucun souci matériel à se faire pour le reste de son existence.  Il aurait vécu des rentes que ses bénéfices lui procuraient, et aurait administré tel ou tel aspect de la vie de l’Eglise, après avoir suivi de très bonnes études.

Le jeune Calvin n’a pas tardé à être envoyé à Paris, à l’âge de onze ans et environ un an plus tard, il entrait au collège Montaigu, qui faisait partie de l’Université de Paris.  Dans ce collège au régime et à la discipline très durs, où les élèves n’étaient autorisés à parler entre eux qu’en latin même entre les cours, où la nourriture était des plus médiocres, il obtiendra une maîtrise ès Arts vers 1525.  Outre le latin, il aura appris la dialectique, les différentes branches de la philosophie comme on l’enseignait au Moyen Age en Europe, et un peu de littérature antique.  A l’âge de seize ans il pouvait passer dans une faculté supérieure, que ce soit la Théologie, le Droit ou la Médecine.  En raison de ses bénéfices ecclésiastiques il aurait été naturel qu’il se dirige vers la théologie, mais entretemps son père s’était fâché avec les chanoines de la cathédrale de Noyon, et il décida donc que son fils ferait du droit et pas de la théologie.  Voici donc le jeune Calvin en route pour Orléans vers 1525 ou 1526, âgé d’environ 16 ans, toujours muni de ses bénéfices ecclésiastiques qui lui permettaient de payer ses études.  La ville d’Orléans possédait une faculté de droit très renommée, de même que la ville de Bourges, où Calvin fera aussi un séjour d’études de quelques mois pour suivre les cours d’un grand juriste italien de l’époque, Alciat.  Il s’initie parallèlement à l’étude de la philologie, c’est-à-dire à l’analyse des langues classiques (le latin et le grec) telle que la pratiquaient les lettrés de cette époque, les humanistes de la Renaissance, tels que le savant hollandais Erasme et son équivalent français Guillaume Budé.  Les études de droit de Calvin favorisent une telle approche car on développait alors ces méthodes d’analyse pour expliquer les grands textes juridiques du passé, qu’on commentait aux étudiants.  En 1531, Calvin obtient sa licence en droit, aujourd’hui on parlerait sans doute d’un doctorat, au vu du nombre d’années d’études.  C’est aussi cette année-là que son père meurt, au mois de mai, et le jeune Calvin se sent désormais délié de poursuivre une carrière de juriste, malgré son diplome.  Il préfère de loin continuer ses études de philologie, donc des langues classiques,  et commencer à se faire connaître comme auteur.  Le voilà donc de retour à Paris, enseignant au collège Fortet et suivant lui-même les cours du Collège de France que le roi François premier, un grand ami des hommes de lettres, vient de mettre en place pour favoriser les nouvelles approches de l’enseignement des humanités.  Calvin y suit les cours d’hébreu et de grec dispensés par les meilleurs spécialistes de l’époque.  Et il s’attelle à la publication de son premier livre, un commentaire sur une oeuvre de l’écrivain latin Sénèque, le précepteur de l’empereur Néron au premier siècle de notre ère: l’ouvrage de Sénèque, intitulé “De la Clémence” visait à apprendre au jeune élève du philosophe stoïque les vertus de la clémence.  Tous ceux qui connaissent un tant soit peu l’histoire romaine savent que l’empereur Néron fut tout sauf un homme de clémence et de raison: il devint un tyran sanguinaire, en fait le premier empereur romain à persécuter violemment les chrétiens.  Quoi qu’il en soit, l’oeuvre de Sénèque fascine le jeune Calvin, qui s’attache à la commenter en montrant tout son savoir linguistique et philosophique, et en tâchant de rivaliser avec d’autres commentateurs plus âgés, au risque de passer pour légèrement arrogant.  Son commentaire, dont il a payé la publication par ses propres moyens, sortira en 1532, mais ne rencontrera pas le succès espéré.

Jusqu’ici, Calvin ne semble pas s’être préoccupé de questions religieuses et théologiques.  C’est un juriste formé aux méthodes d’analyse des textes et désireux de poursuivre une carrière littéraire.  Pourtant, il n’a pas pu rester indifférent aux idées qui parcourent la Chrétienté occidentale depuis que Martin Luther en Allemagne, Ulrych Zwingli en Suisse ainsi que leurs disciples, ont radicalement remis en question la conception et l’enseignement de l’Eglise officielle dirigée depuis Rome.  Ces idées, qui se répandent très rapidement en France notamment, ont déjà fait beaucoup d’adeptes et appellent à une réforme de l’Eglise: certains prônent cette réforme plutôt sur les formes extérieures que sur le fond, appelant à une meilleure formation du clergé, à la disparition de certains abus notoires et à une spiritualité plus proche de l’Evangile. D’autres appellent à une réforme beaucoup plus profonde, sans toutefois savoir comment l’articuler ni l’organiser.  Des cercles réformistes se sont formés et la soeur même du roi de France, Marguerite d’Angoulême, leur est favorable.  Le roi, lui, oscille entre ses tendances de prince ouvert aux idées nouvelles, en partie sous l’influence de sa soeur, et la recherche d’appuis politiques dans les cercles traditionnels de l’Université de Paris, la Sorbonne, qui est avant tout un lieu extrêmement traditionnaliste, et qui s’oppose au Collège de France nouvellement établi.  Au cours de sa vie, Calvin a été très avare de confidences personnelles, raison pour laquelle on ne dispose pas de détails autobiographiques sur les influences qu’il a reçues à cette époque de sa vie.  Mais on sait que son cousin Robert Olivétan était déjà acquis aux idées nouvelles. Un de ses professeurs de grec, Melchior Wolmar, était un luthérien déclaré.  C’est quelque part entre 1532 et 1533 que se produira chez Calvin une conversion radicale dont nous parlerons lors de notre prochaine émission.  Les conséquences de cette conversion ne seront pas seulement d’ordre personnel pour cet homme au caractère et à l’intelligence exceptionnelles, mais donneront un cours nouveau à l’histoire de l’Eglise en Europe, puis, moins d’un siècle après sa mort, en Amérique du nord, avec l’arrivée des Pères pélerins.