JEAN CALVIN (2)

La conversion de Jean Calvin à la Réforme, avons-nous dit en concluant notre précédente émission, la première consacrée au réformateur français du seizième siècle, date de 1532 ou 1533.  Elle intervient probablement après la publication de son Commentaire sur l’ouvrage de Sénèque “De la Clémence” (en latin De Clementia). Comment cette conversion a-t-elle été préparée? Beaucoup de biographes de Calvin se sont penchés sur cette question.  Il y a dû se produire un certain cheminement spirituel et une ouverture vis-à-vis de l’Evangile, par la lecture de certains écrits luthériens.  Mais il y avait aussi en lui une forte résistance à l’égard de certaines idées, notamment celles du réformateur Zwingli qui ne voyait dans la Sainte Cène, le repas institué par Jésus-Christ la nuit de son arrestation, qu’une commémoration symbolique, sans réelle présence de Jésus-Christ lorsque cette Cène est célébrée dans l’Eglise. Vingt-cinq ans plus tard, dans un passage fameux de la préface de son commentaire sur les Psaumes paru en 1557, Calvin parle d’une conversion subite.  Il écrit qu’il était si obstinément adonné aux superstitions de la papauté -c’est-à-dire de l’Eglise officielle sous le giron du pape- qu’il aurait été bien difficile de le retirer de ce bourbier.  C’est Dieu lui-même, dit-il, qui dompta et rangea à docilité son coeur, lequel, en raison de l’âge, était trop endurci dans de telles choses.  Il déclare qu’il a été très surpris de voir qu’au moment même où il commençait à y voir un peu clair et cherchait ardemment à acquérir davantage de connaissance spirituelles, tous ceux qui cherchaient aussi la lumière du Christianisme se sont tournés vers lui pour apprendre, alors qu’il ne faisait lui-même que commencer.  Etant de nature assez timide et préférant la paix et la tranquilité, il recherchait un endroit où se cacher et se tenir coi, mais de partout les gens accouraient vers lui pour l’écouter. 

Quoiqu’il en soit, un événement va précipiter les choses et forcer Calvin à prendre parti publiquement.  Le très jeune recteur de l’université de Paris, Nicolas Cop, est un ami de Calvin, et le fils du médecin personnel du roi.  Il doit prononcer le discours de la rentrée universitaire le 1er novembre 1533 devant les autorités des quatre facultés, Théologie, Droit, Médecine et Arts.  Le climat à Paris est très tendu: la faculté de théologie - la Sorbonne comme on l’appelait - se débat pour empêcher l’expression de tout ce qui pourrait rappeler les idées du moine allemand ayant rompu avec la papauté de Rome, Martin Luther.  Elle a même condamné un livre écrit par la soeur du roi, Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et qui s’intitule: Le miroir de l’âme pécheresse.  Or le roi a demandé au prédicateur de Marguerite, Gérard Roussel, d’assurer les sermons du temps de Carême au château du Louvre à Paris , qui est la résidence royale.  Roussel est aussi un ami de Calvin et il est un des chefs de file du parti réformiste en France . Dans une lettre à un ami d’Orléans, Calvin décrit cette atmosphère tendue.  La Sorbonne proteste contre la présence de Roussel, des étudiants parisiens font jouer une pièce de théâtre qui met en scène, de manière à peine voilée, Marguerite et Gérard Roussel.  Et le roi est excédé.  Il vient de marier son second fils, qui lui succèdera sur le trône de France quatorze ans plus tard, à la nièce du pape, et cherche maintenant un rapprochement avec ce dernier, qu’il vient de rencontrer.  Celui-ci l’a fermement invité à extirper de son royaume tout ce qui sent les écrits de l’Allemand Luther, ainsi que toutes les sectes qui, dit-il, pullulent en France . Or voilà que le discours du recteur Nicolas Cop, basé sur les Béatitudes prononcées par Jésus dans le sermon sur la Montagne,  présente tous les traits de la pensée luthérienne: ce n’est que par Grâce, par le moyen de la foi, que l’homme est justifié et sauvé devant Dieu. Ce n’est pas par ses oeuvres.  Même si une invocation à la vierge Marie est présente, le ton du discours est tout sauf celui qui peut plaire à la Sorbonne. C’est un scandale.  On soupçonne que Calvin a été mêlé à la rédaction de ce discours, qu’il en est peut-être même l’auteur.  On engage des poursuites contre Cop qui doit s’enfuir en Suisse, à Bâle, dont il est originaire.  Calvin lui aussi disparaît.  La chambre qu’il occupait au collège Fortet où il enseignait, est fouillée de fond en comble et sa correspondance est confisquée. Il va se réfugier à Angoulême, chez un ami du nom de Du Tillet qui possède une bibliothèque très riche pour l’époque.  Grâce à l’hospitalité de cet ami et de sa famille, il peut rester à l’abri de toute poursuite.  Il en profite pour  approfondir sa connaissance de la Bible et des Pères de l’Eglise.  C’est sans doute durant ce séjour à Angoulême qu’il commence à concevoir ce qui deviendra l’Institution de la Religion Chrétienne, l’ouvrage central auquel il travaillera presque jusqu’à la fin de sa vie.  Calvin rédige aussi, durant ces mois-là un texte en latin, le Psychopannychia, qui ne sera publié que plus tard, en 1542, et qui défend la notion qu’après la mort les âmes ne s’endorment pas mais vivent dans la présence du Seigneur.  Certains groupes dissidents, ceux qu’on appelait les Anabaptistes, affirmaient en effet le contraire: pour eux, l’âme dort jusqu’au jugement.  C’est à ce moment qu’elle se réveillera, mais sans intelligence ou sans mémoire quelconque.  D’autres pensaient qu’après la mort l’âme périt avec le corps, jusqu’à ce que l’homme tout entier resssucite au jour du jugement.  Pour la première fois dans sa carrière, Calvin offre à ses lecteurs futurs une discussion sur un sujet particulier, basée sur une étude approfondie des textes de la Bible: toutes les connaissances linguistiques qu’il a acquises jusqu’ici au travers de ses études, il les met au service d’un exposé sur l’Ecriture.  Il ne le fait d’ailleurs pas de manière froide et détachée, mais avec passion, en s’engageant dans une polémique souvent pleine de remarques sarcastiques contre ceux dont il combat l’opinion.  Il commence à développer ce style qui marquera ses écrits par la suite, même s’il n’est ici qu’en gestation. Surtout, il pose avec acuité la question de l’existence éternelle du Christ et de sa présence comme Agneau immolé dès la fondation du monde, selon les paroles du livre de l’Apocalypse.

Nous voici au milieu de l’année 1534. Calvin à vingt-cinq ans.  Le juriste et humaniste lettré est devenu, presque malgré lui, théologien, il a définitivement adopté les idées de la Réforme.  Sa rupture avec l’Eglise romaine, dirigée par le pape et les cardinaux, est désormais consommée.  Ceci à un moment très critique puisque le roi François premier a opéré un très sérieux revirement et s’est engagé à traquer ceux qu’on appelle les Luthériens.  La Sorbonne semble l’emporter contre Marguerite de Navarre et le cercle de ceux qui gravitent autour d’elle à la cour de Nérac où elle réside, assez au sud d’Angoulême.  Calvin, lui remonte au mois de mai vers Paris et Noyon, où il renonce officiellement à ses bénéfices ecclésiastiques, quelles que soient les conséquences financières pour sa vie personnelle.  Il n’est pas un opportuniste et ne tirera pas des  avantages d’un système ecclésiastique qu’il vient de rejeter.  On trouve ensuite sa trace à Paris , à Poitiers et à Orléans.

Vers la fin de l’année, au mois d’octobre, éclate un autre scandale qui marque la rupture définitive et l’antagonisme entre le parti réformiste et l’Eglise officielle; c’est l’Affaire des Placards: des affiches condamnant violemment la messe catholique romaine sont apposées un peu partout dans le Royaume de France, jusque sur la porte de la chambre du roi lui-même au château d’Amboise, sur la Loire.  Fureur du roi qui prend des dispositions très sévères pour traquer les auteurs de ce sacrilège.  Ces placards s’attaquant à la messe sur la base de la lettre aux Hébreux dans le Nouveau Testament: le sacrifice de Jésus-Christ sur la Croix a été accompli une fois pour toutes, personne n’a le droit de s’arroger le titre et le rang de prêtre au-dessus des autres pour prétendre opérer de nouveau le sacrifice de Jésus sur la Croix.  Tous les croyants, et non seulement le clergé, partagent une prêtrise universelle conférée par le Christ lui-même à ceux qui lui appartiennent, dans la mesure où ils vivent de sa vie.

Quelle sera la réaction de Calvin à cette affaire et à la violente persécution qui va s’ensuivre?  Nous le verrons ensemble lors de notre prochaine émission, amis auditeurs.  Je vous invite donc à suivre notre prochain programme consacré à la vie et à l’oeuvre du Réformateur français Jean Calvin.