La fameuse affaire des Placards qui se déroula
vers la fin de l’année 1534 en France fut la cause d’une violente persécution
contre les premiers Protestants français, comme nous l’avons vu lors de notre
dernière émission consacrée à la vie de Jean Calvin, amis auditeurs.
La nuit du 17 au 18 octobre, des affiches condamnant violemment la messe
catholique romaine sont apposées un peu partout dans le Royaume, jusque sur la
porte de la chambre du roi au château de Blois, ainsi qu’au château d’Amboise sur la Loire, où il résidait
alors. Le titre de l’affiche en reflète bien le style et le contenu: Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de
la messe papale inventée directement contre la Sainte Cène de notre Seigneur
seul médiateur et sauveur Jésus-Christ. On
ne saurait être plus provocateur. Cette
fois, la séparation radicale entre les sympathisants du nouveau courant (on les
appelait encore “Luthériens”) et l’Eglise catholique romaine dirigée par
le pape, est consommée. Pourtant,
beaucoup d’adeptes des idées luthériennes, Calvin y compris,
n’approuvaient pas la méthode et le ton du placard en question.
Pour le pasteur de la ville de Neuchâtel qui était l’auteur de cette
affiche, Antoine de Marcourt, la messe comme répétition du sacrifice du Christ
s’oppose directement à l’enseignement de la Bible, en particulier celui de
l’épitre aux Hébreux qui insiste sur le sacrifice unique et parfait du
Christ accompli une fois pour toutes sur la Croix. A travers cette violente
attaque, Marcourt renversait tout le système ecclésiastique de l’Eglise de
l’époque: le clergé était considéré comme un groupe d’imposteurs et de
braillards. Parmi les slogans de
l’affiche, on pouvait lire: Il ne peut
se faire qu’un homme de vingt ou trente ans [c’est-à-dire Jésus-Christ]
soit caché dans un morceau de pâte [c’est-à-dire dans
l’hostie consacrée de la messe]. Marcourt attaquait ceux qu’il qualifie de
“misérables sacrificateurs” qui se mettent à la place de Jésus-Christ,
comme s’ils étaient nos rédempteurs, ou encore se font les compagnons du
Christ.
Quoi qu’il en soit, la
réaction royale fut immédiate et violente: on encouragea la délation en
promettant de fortes récompenses et dès le 15 novembre, six personnes suspectées
d’hérésie étaient brûlées vives. Le
21 janvier 1535, une très imposante procession avec le roi à sa tête, défilait
dans les rues de Paris, accompagnée de beaucoup de reliques, comme un morceau
supposé de la Croix du Christ et une supposée goutte du lait de la vierge.
On verra par la suite ce que Calvin pensait de toutes ces reliques dont
l’Europe était alors remplie à foison. Plus important encore durant cette
procession, l’hostie de la messe était solennellement exposée pour être vénérée.
Au même moment, pour faire l’expiation de la souillure qu’avait représentée
les Placards dans le royaume de France, on faisait brûler vif une autre
demi-douzaine d’hérétiques durant des haltes organisées lors de la
procession. A chaque fois, en face
du bûcher avait été dressée une estrade où le roi prenait place.
Lors d’une de ces haltes, devant la cathédrale Notre-Dame de
Paris, il déclara: Je veux que ces
erreurs soient chassées de mon royaume et ne veux excuser personne.
Si mes enfants en étaient entachés, je voudrais moi-même les immoler.
Et plus tard la même journée, il affirma publiquement: Si mon bras était infecté de telle pourriture, je voudrais le séparer
de mon corps. Parmi
les victimes de ces persécutions se trouvaient un riche marchand du nom
d’Etienne de la Forge, justement un ami de Calvin...
Ce même mois, le roi, pourtant ami des écrivains, décidait la
fermeture des librairies de son royaume et l’arrêt de l’imprimerie.
Ces événements allaient
cependant avoir des conséquences politiques importantes car François premier
s’était allié aux princes allemands protestants opposés à l’empereur
Charles-Quint. Il cherchait alors à contrer l’influence de l’empereur en
Europe, n’ayant pas hésité à faire alliance avec le sultan turc dans ses
desseins. Les ambassadeurs des
princes allemands s’étant inquiétés de la persécution consécutive à
l’affaire des Placards, le cardinal Jean du Bellay, ambassadeur du roi, tenta
de les rassurer en leur faisant croire que ces hérétiques français n’étaient
que des séditieux, de dangereux révolutionnaires menaçant l’ordre établi,
à l’image des Anabaptistes d’Allemagne qui rejetaient toute autorité et
voulaient reconstituer un nouvel ordre social et religieux.
Dix ans auparavant, en 1525, Martin Luther lui-même avait appelé les
princes allemands à réprimer ce mouvement, ce que les princes n’avaient pas
tardé à faire dans leurs états, avec une grande violence d’ailleurs. A la
mi-juillet François va signer l’édit de Coucy, promettant d’arrêter les
persécutions si ses sujets renoncent à leur nouvelle foi et rentrent dans le
giron de l’Eglise.
Et Calvin dans tout cela?
Dès le mois de décembre 1534, il a quitté Paris pour aller se réfugier
à Bâle, en Suisse, avec son ami Du
Tillet. Ils y arrivent en janvier 1535. Il
ne peut y avoir de doute qu’il a commencé à rédiger son Institution de la
Religion Chrétienne en France, avant même l’Affaire des Placards.
Il la dédiera d’ailleurs au roi François premier dans une épitre rédigée
à Bâle, et qui est datée du premier août 1535, donc peu après l’édit de
Coucy. Nous y reviendrons. Mais
entre temps il a participé à une autre publication très importante: la première
traduction française de la Bible à partir des langues originales - hébreu et
grec - faite par son propre cousin Robert Olivétan et publiée en Suisse, à
Neuchâtel. Pour elle, Calvin rédige
une très belle préface, intitulée: A
tous Chrétiens, amateurs de Jésus-Christ.
Il écrit aussi une préface pour le Nouveau Testament. Elle est
suivie d’un texte adressé aux Juifs, probablement dû à la plume de Calvin
lui aussi, afin de leur montrer que le Nouveau Testament est bien
l’accomplissement de l’Ancien.
La version française de
la Bible qui était alors en vogue, celle produite cinq ans auparavant par le
grand savant réformiste Lefèvre d’Etaples, était basée sur la traduction
latine officielle de l’Eglise, la Vulgate, et non sur des manuscrits dans les
langues originales, l’hébreu et le grec. Ce qui fait bien de la Bible d’Olivétan
préfacée par Calvin une première en France et en Suisse. Il
faut se souvenir aussi que le tout premier livre à avoir été imprimé en
Europe occidentale quelque quatre-vingts ans plus tôt, vers 1450, avait été
la Bible de l’allemand Gutemberg, avec un tirage d’environ cent cinquante
exemplaires. Très vite, on avait
commencé à imprimer la Bible dans les grandes langues européennes: italien, néerlandais,
espagnol, catalan, tchèque. On
publiait aussi des bibles en hébreu, et même des bibles polyglottes, c’est-à-dire
en plusieurs langues, comme celle du cardinal espagnol Ximenes, qui comprenait
cinq volumes avec le texte de la Bible en hébreu, en grec et en latin, suivi
d’une grammaire et d’un dictionnaire. Aux
Pays-Bas, le savant Erasme était chargé en 1516 de publier un Nouveau
Testament grec à partir des manuscrits grecs qu’il avait à sa disposition.
Sept ans plus tard, Luther traduisait toute la Bible en allemand: sa
version devenait un monument de cette langue, une référence pour les générations
à venir. Après la mort prématurée
d’Olivétan en 1538, Calvin allait réviser sa traduction pour la rendre plus
accessible au public francophone; elle deviendrait ainsi la fameuse Bible de Genève
contenant des explications diverses sur les passages bibliques, l’ancêtre des
modernes bibles d’étude en quelque sorte, mais pénétrée d’un profond
respect pour l’inspiration divine du texte sacré.
Après plus d’une année
passée à Bâle, Calvin prend de nouveau la route, en mars 1536, et se rend au
nord de l’Italie, dans la ville de Ferrare, en compagnie de son ami Louis du
Tillet. Ferrare est un duché
gouverné par un prince ami des arts et des lettres, dont l’épouse, Renée,
est française: elle est la fille du précédent roi de France, Louis douze, et
reçoit volontiers à sa cour les adeptes de la foi évangélique.
Pendant des années, Calvin et Renée de Ferrare échangeront une belle
correspondance sur des sujets personnels et spirituels.
Après un séjour d’à peine deux mois, Calvin repartira pour Paris.
Nous sommes au mois de mai et un événement capital pour la suite de
l’histoire vient de se produire: les habitants de la ville suisse de Genève
ont décidé, durant leur assemblée générale, d’adopter la Réforme et de
rompre complètement avec la papauté. Leur
prince-évêque a été chassé, et un français du nom de Guillaume Farel,
originaire de la ville de Gap, dans la province du Dauphiné, prêche
vigoureusement l’Evangile au milieu des Genevois.
Mais Calvin, lui, se rend pour la dernière fois dans sa ville natale de
Noyon pour régler ses dernières affaires, et il en repart, accompagné de son
frère Antoine et de sa demi-soeur Marie, tous deux adeptes de la Réforme.
Il sait qu’il doit désormais prendre le chemin de l’exil, c’est-à-dire
quitter sa patrie, aussi pénible cela soit-il.
Dans une longue épitre adressée à l’un de ses anciens condisciples
il décrit la France, sous le règne du roi catholique François, comme terre
d’esclavage, comme l’Egypte pour les Hébreux du temps de Moïse.
On ne peut y rester sous peine d’être entraîné vers l’idolâtrie
des pratiques de la papauté. Ceux
qui espèrent encore un accommodement avec l’Eglise établie ne restent que
par souci de leur propre confort, de leurs avantages acquis.
Il explique aussi ce que doit être le rôle du pasteur idéal selon
l’Ecriture: il doit enseigner la Parole, défendre l’Eglise contre Satan,
mener une vie exemplaire. C’est le
programme qu’il s’est fixé pour sa propre vie et qu’il va désormais
poursuivre durant les trente ans qui lui restent à vivre.