JEAN CALVIN (4)

Amis auditeurs, je poursuis aujourd’hui le récit de la vie du Réformateur français Jean Calvin, une des figures qui ont le plus marqué l’histoire de l’Eglise en travaillant incessamment à l’ancrer dans la Parole de Dieu et en Jésus-Christ. 

1536 est une année charnière dans la vie de Calvin. Il a vingt-sept ans et vient de publier au mois de mars un livre de 516 pages qui porte le titre suivant: Institution de la Religion chrétienne.  C’est un petit livre en latin composé de six chapitres seulement, qui traite des matières principales de la foi chrétienne: le mot institution désigne d’ailleurs une instruction, un catéchisme si l’on veut.  Les premiers chapitres examinent le Décalogue, ou les dix commandements, le Credo, c’est-à-dire les articles principaux de la foi chrétienne, et le Notre Père, comme Martin Luther l’avait fait dans son Petit Catéchisme quelque sept ans auparavant.  Calvin s’adresse à un public de gens éduqués qui lisent le latin, langue dans laquelle on écrivait lorsque l’on traitait de sujets comme la science, le droit ou la théologie.  Mais il veut rester simple et présenter un enseignement accessible aux uns comme aux autres.  En tête de son ouvrage il a composé une  épitre dédiée au roi François premier, et qui est datée de Bâle, le 1er Août 1535.  Dans cette épitre, il explique son projet et prend la défense de l’enseignement qui a été tant décrié et diffamé.  Par la-même, il prend la défense de tous les persécutés dans le royaume de France et il devient en quelque sorte leur porte-parole après la brutale répression qui a suivi l’Affaire des Placards.  Les calomnies qui ont été déversées sur leur compte ne sont que de honteux mensonges, écrit Calvin au roi.  Il ne peut y avoir de procès juste si on n’accorde un droit de parole à la défense.  Et c’est justement en avocat de la défense qu’il se présente.  Donc loin de se soumettre aux injonctions de l’édit de Coucy qui promettait la clémence royale à tous ceux qui renonceraient aux idées évangéliques, Calvin entreprend au contraire de convaincre le roi du bien fondé de la doctrine qu’on lui a présentée comme totalement mensongère et de plus comme la source de violents troubles politiques et sociaux.  Ce jeune homme de vingt-sept ans n’hésite pas à rappeler le roi à son premier devoir, qui est de servir à la gloire de Dieu en favorisant la prédication de sa pure parole.  Il écrit ce qui suit, et que je cite tel quel, dans la langue du seizième siècle: O matière digne de vos oreilles, digne de votre juridiction, digne de votre trône royal!  Car cette pensée fait un vrai roi, s’il se reconnaît être vrai ministre de Dieu au gouvernement de son royaume.  Et au contraire celui qui ne règne point à cette fin de servir à la gloire de Dieu, n’exerce pas règne, mais brigandage.  Or on s’abuse si on attend longue prospérité en un règne qui n’est point gouverné du sceptre de Dieu, c’est à dire de sa sainte parole.

Un argument majeur présenté par Calvin pour la défense de la doctrine, ou enseignement, réformée, c’est sa véritable continuité avec la tradition chrétienne la plus autentique, contrairement à ce que l’on prétend.  En effet, les adversaires de la Réforme accusaient celle-ci de nouveauté, de briser avec la tradition et les Pères de l’Eglise.  Dans sa lettre au roi, Calvin démontre au contraire avec force que cette doctrine est en ligne directe avec l’enseignement des pères de l’Eglise des premiers siècles, qu’il cite d’ailleurs abondamment.  Plus encore, la doctrine réformée ne peut pas être qualifiée de nouvelle, puisqu’elle s’accorde avec l’enseignement de l’Evangile.  Avec beaucoup d’ironie, il déclare qu’on fait une grande injure à Dieu en qualifiant sa Parole de “nouvelle”.  En fait, elle n’est nouvelle que pour ceux qui ne l’ont jamais comprise ni reçue!  Calvin s’appuie par exemple sur le chapitre quatre de la lettre de Paul aux Romains pour rendre compte de cet enseignement: dans ce passage, Paul déclare que c’est par la foi qu’Abraham s’est approprié les promesses de Dieu: Mais face à la promesse de Dieu, il ne douta point, par incrédulité, mais fortifié par la foi, il donna gloire à Dieu, pleinement convaincu de ceci: ce que Dieu a promis, il a aussi la puissance de l’accomplir.  C’est pourquoi, cela lui fut compté comme justice.  Mais ce n’est pas à cause de lui seul qu’il est écrit: “Cela lui fut compté”, c’est aussi à cause de nous, à qui cela sera compté, nous qui croyons en celui qui a ressuscité d’entre les morts Jésus notre Seigneur, livré pour nos offenses, et ressuscité pour notre justification.” 

La première phrase de l’Institution offre en quelque sorte tout le programme du livre: Quasiment toute la somme de la sainte doctrine est comprise en ces deux parties: connaissance de Dieu et de nous-mêmes.  Vingt-six ans plus tard, la toute dernière version de l’Institution, qui comprendra alors quatre-vingt un chapitres, débutera par la même idée, mais amplifiée: Toute la somme presque de notre sagesse, laquelle, à tout conter, mérite d’estre réputée vraye et entière sagesse, est située en deux parties: c’est qu’en connaissant Dieu, chacun de nous aussi se connaisse.  Connaissance de Dieu et de soi-même vont donc de pair, nous dit Calvin.  Mais laquelle doit précéder l’autre?  Les deux sont tellement liées qu’on a du mal à savoir où commencer.  Si nous regardons en nous-mêmes et autour de nous nous découvrons un monde tellement complexe et si finement agencé que nous sommes immanquablement conduits jusqu’à la source divine de notre existence, sans parler de toutes les bénédictions que nous recevons quotidiennement.  Même les innombrables misères qui sont le lot de l’humanité depuis la chute du genre humain, font aussi que les hommes tournent le regard vers Dieu, ne serait-ce que pour en obtenir du secours.  D’un autre côté, pour parvenir à une véritable connaissance de nous-mêmes  l’on doit commencer par contempler la face de Dieu: car, par pur orgueil, l’homme ne fait que se tromper lui-même sur ses vertus et ses qualités, jusqu’à ce qu’il considère les perfections divines.  Dieu est en effet la seule règle par laquelle nous pouvons nous évaluer nous-mêmes, aussi pénible cet examen soit-il.  Voilà donc pourquoi dans cette phrase initiale du premier chapitre de l’Institution, Calvin a pu dire, parlant de la vraie sagesse: c’est qu’en connaissant Dieu, chacun de nous aussi se connaisse.  L’ordre à suivre, c’est de chercher d’abord la connaissance de Dieu, laquelle mènera ensuite à une connaissance fiable de nous-mêmes.  Une telle connaissance ne se fait cependant pas indépendamment de la Révélation divine.  Même si Calvin n’aborde que par la suite la question de l’Ecriture Sainte, il est clair que dès le départ il entend se laisser guider par cette Révélation dans son raisonnement.  Il n’offre pas à ses lecteurs une réflexion philosophique qui aboutira plus tard à la découverte que l’Ecriture Sainte est bien la Révélation divine; au contraire il la prend en compte dès le départ dans sa quête d’une vraie sagesse, d’une philosophie chrétienne authentique.  Calvin se démarque aussi très fortement des sectes anabaptistes qui suscitaient les critiques et l’opposition contre les idées de la Réforme: tout ce qui sent l’illuminisme, un mysticisme débridé, le rejet d’une forme ordonnée de gouvernement civil et ecclésiastique, est fermement rejeté par l’auteur de l’Institution.  Dès la lettre au roi, il déclare que jusqu’ici, en France du moins, on n’a pas exposé la doctrine chrétienne  avec toute l’attention et l’ordre qu’on aurait dû y mettre.  C’est aussi cela qui l’a motivé à entreprendre cette présentation dûment organisée et argumentée.  Il est clair que dans son style et son approche, Calvin fait déjà preuve d’originalité par rapport à Luther.  Il n’est pas un simple épigone du Réformateur allemand, même s’il lui emprunte beaucoup, comme le choix des matières qu’il traite.

Le succès de la première version latine de l’Institution de la Religion Chrétienne fut immédiat: le livre, apporté et distribué en France depuis la Suisse par  des colporteurs ambulants, fut rapidement épuisé.  Calvin était devenu le porte parole de la Réforme française.  Ceux qui l’avaient précédé, comme Gérard Roussel, s’étaient accommodés du système ecclésiastique en acceptant des positions honorifiques.  En choisissant l’exil, avec son lot de difficultés et de pérégrinations,  Calvin, lui, choisissait une liberté de conscience qui lui permettait de s’exprimer sans peur et sans concessions.  Pourtant, son idéal est alors de poursuivre ses études dans un lieu calme où il sera le moins possible dérangé.  Comme on va le voir, la Providence en décidera autrement.

Vers la fin du mois de mai 1536, le voilà donc quittant Noyon une dernière fois, accompagné de sa demi-soeur Marie et de son frère Antoine. Destination: la ville de Strasbourg , qui fait alors partie du Saint Empire Romain Germanique, et jouit d’un statut autonome.  La Réforme y est déjà implantée, sous la conduite d’hommes remarquables tels que Martin Bucer et Wolfgang Capiton. Le chemin le plus direct pour parvenir à Strasbourg n’est pas celui que Calvin a choisi, car en raison de fortes tensions militaires entre le roi François Premier et l’empereur Charles Quint, des mouvements de troupes bloquent alors l’accès le plus facile à Strasbourg.  Calvin, Antoine et Marie font donc un large crochet par le sud, et décident de s’arrêter pour une nuit dans la ville de Genève avant de poursuivre leur route.  Le bouillant réformateur Guillaume Farel, né en 1489 est installé à Genève depuis plusieurs mois; il fait office de prédicateur après que les Genevois soient passés à la Réforme, ayant chassé leur prince-évêque l’année précédente.  Pour montrer l’importance de ce changement, ils ont adopté la devise latine suivante: Post Tenebras, Lux: après les ténèbres, la lumière.

Nous verrons ensemble la prochaine fois, amis auditeurs, dans quelles conditions Calvin est finalement resté à Genève.