JEAN CALVIN (5)

Amis auditeurs, nous poursuivons ensemble aujourd’hui le récit de la vie du Réformateur Jean Calvin, une des figures les plus marquantes de l’histoire de l’Eglise ayant vécu au seizième siècle.

Quittant définitivement la France et accompagné de son frère Antoine et de sa soeur Marie, Calvin comptait se rendre à Strasbourg pour y poursuivre tranquillement ses études.  Le crochet effectué par la ville de Genève, en raison de mouvements de troupes qui bloquaient l’accès le plus direct à Strasbourg, n’était destiné qu’à durer une nuit.  Mais voilà que Guillaume Farel, le réformateur français qui prêchait depuis trois ans à Genève et cherchait à y implanter solidement la Réforme, a vent du passage de Calvin par l’ami de celui-ci, Louis du Tillet, qui se trouvait dans cette ville.  Il est impressionné par l’auteur de l’Institution de la Religion Chrétienne parue en mars de la même année à Bâle, autre ville suisse où Calvin avait résidé pendant un an.  Farel vient donc trouver le jeune homme dans l’auberge ou il est descendu, et tâche de le convaincre de la nécessité de rester sur place pour accomplir une oeuvre de réformation de l’Eglise. Le récit de cette rencontre a été fait par Calvin lui-même dans la préface de son commentaire au livre des Psaumes.  Lui qui ne parlait pas volontiers de lui-même a raconté comment Farel, après n’avoir pas réussi à le convaincre de rester sur place, s’est finalement emporté et l’a menacé de la malédiction divine s’il préférait ses chères études à l’appel qui lui était lancé.  Abasourdi, comme renversé par cette violente mise en demeure, Calvin le timide se soumet à cette injonction. Selon ses propres paroles: Maître Guillaume Farel me retint à Genève, non pas tant par conseil et exhortation, que par une adjuration épouvantable, comme si Dieu eût d’en haut étendu sa main sur moi pour m’arrêter.   Calvin restera donc à Genève pour y travailler à la Réforme avec Farel, de vingt ans son aîné.  Jusqu’à la fin, les deux hommes maintiendront une amitié indéfectible, malgré quelques nuages, et en dépit du fait que leurs destinées les sépareront géographiquement dès 1538.  Le voilà donc bientôt engagé par les autorités de la ville de Genève comme “lecteur”, charge qui comportait sans doute une grande partie d’enseignement.  Vers le 1er septembre, il commence à exposer les épîtres de Paul devant quelques auditeurs rassemblés à la cathédrale Saint Pierre.  Quelques mois plus tard, au début de 1537, Calvin apparaît sur les registres de la ville comme pasteur ou prédicateur.  On ne commencera d’ailleurs à la payer pour ses services qu’à partir du mois de février. 

Genève était alors une cité qui se gouvernait elle-même, quoique étant sous la tutelle de la ville de Berne pour certaines affaires.  Berne avait en effet soutenu Genève dans son combat pour l’indépendance, et s’attendait à recevoir des dividendes politiques en retour.  Depuis le quatorzième siècle, Genève avait joui de certaines libertés, qu’elle avait su développer au détriment du duché de Savoie dont la suzeraineté avait finalement été rejetée. De son côté, l’évêque de Genève avait été définitivement chassé de la cité en 1534; d’ailleurs, Farel et son compagnon Pierre Viret, lequel allait devenir réformateur de la ville voisine de Lausanne, avaient tous deux joué un rôle important durant la défense des remparts de la ville contre l’assaut des troupes de l’évêque, qui avait sans succès tenté de reprendre la ville.  Ces deux hommes jouissaient donc d’une grande popularité auprès des Genevois.  A l’arrivée de Calvin,  Genève était gouvernée par deux conseils: le Petit Conseil détenait le pouvoir exécutif.  Il comprenait, outre le trésorier de la ville et une vingtaine d’autres membres, quatre syndics, qui représentaient la plus haute autorité de la ville.  Le Grand Conseil, lui, comprenait deux cents membres.  Quant au Conseil Général , il était composé de tous les citoyens de Genève, et n’était convoqué que quand de graves décisions devaient être prises.  C’est lui qui élisait les quatre syndics et le trésorier de la ville.  Sur l’avis de Guillaume Farel, il avait été convoqué pour ratifier le passage à la Réforme, qui brisait donc tous les liens avec la papauté.  Cela s’était fait le dimanche 21 mai 1536, dans la cathédrale Saint Pierre, donc à peine quelques mois avant l’arrivée de Calvin.  De plus, cette assemblée avait décidé de maintenir une école publique où tous les parents auraient l’obligation d’envoyer leurs enfants, ceux des pauvres recevant leur instruction gratuitement.

Notons dès maintenant que la citoyenneté ne fut offerte à Jean Calvin par les autorités genevoises que cinq ans avant sa mort.  Pendant la plus grande durée de son séjour dans la cité du lac Léman, et quels qu’aient pu être son autorité, son prestige ou son influence, Calvin ne disposa d’aucun pouvoir ou droit politique en tant que tel.  Il ne pouvait même pas voter aux élections, alors que les réfugiés français venant de plus en plus nombreux s’installer à Genève, se voyaient eux accorder cette citoyenneté assez facilement, surtout les plus riches.  Quoi qu’il en soit, trois mois après son arrivée, Calvin allait apparaître pour la première fois lors d’un débat public, une disputation comme on appelait ce genre de rencontre, tenue dans la ville de Lausanne.   Il s’agissait de définir le statut futur de cette ville, et de décider si elle aussi allait passer à la Réforme ou demeurer dans le giron de la papauté.  Des représentants des deux partis allaient s’affronter.  C’est sur la question de la présence corporelle ou spirituelle du Christ dans le sacrement de l’eucharistie que la participation de Calvin fut décisive, grâce à sa vaste connaissance des écrits des Pères de l’Eglise.  Le réformateur Pierre Viret joua un rôle capital lors de cette disputation qui se solda par l’adoption de la Réforme sur le modèle de la ville de Berne, non seulement à Lausanne, où Viret allait désormais oeuvrer, mais dans tout le territoire.  Cependant, des failles surgirent au sein du parti réformé lui-même lorsque, lors d’une réunion interne à ce parti, un certain Pierre Caroli accusa Calvin, Farel et le vieux pasteur aveugle Couraud, tous trois délégués de Genève, de ne pas souscrire pleinement à la doctrine de la Trinité.  Calvin devra se défendre publiquement de cette accusation injustifiée devant les autorités de la ville de Berne l’année suivante, et il le fera avec une grande véhémence.  Même s’il convainc sans peine de sa foi en la Trinité, il a été fortement blessé, et marqué par cette attaque.  Caroli, lui, devra se défendre de ne pas abandonner la croyance au Purgatoire , cet état intermédiaire où transitent les âmes en attente de la rédemption, d’après l’Eglise médiévale.  Après être passé plusieurs fois du Catholicisme à la Réforme et vice-versa, il finira sa vie dans la communion catholique.

Entre-temps, à Genève, Calvin et Farel s’attellent à l’organisation de l’Eglise.  En janvier 1537 ils font adopter par le Petit Conseil un document intitulé: “Articles Concernant l’organisation de l’Eglise et du Culte à Genève.”  La célébration de la Sainte Cène y tient une place importante: elle doit être célébrée tous les mois dans les différentes églises de Genève (Calvin aurait même souhaité une célébration hebdomadaire, mais s’en tint finalement à une célébration mensuelle).  Cependant, pour être admis à la table du Seigneur, et pour que celle-ci ne soit pas profanée par des membres à la conduite, aux moeurs ou aux croyances contraires à la Parole de Dieu, il faut qu’une discipline interne à l’Eglise soit exercée par des Anciens, c’est-à-dire par des hommes choisis pour leur solidité sur le plan de la doctrine et pour leur maturité spirituelle.  L’excommunication, c’est-à-dire la possibilité pour l’Eglise de refuser l’accès à la Table du Seigneur aux pécheurs notoires qui ne se repentent pas, faisait aussi partie des mesures proposées.  Cette discipline ecclésiastique interne à l’Eglise devait assurer sa stabilité indépendamment des mesures prises par les autorités civiles. Elle avait aussi pour but d’éviter que ces autorités n’aient à intervenir, que ce soit de manière justifiée ou non, dans les affaires ecclésiastiques, ce qui, à terme,  minerait l’existence même de l’Eglise.  La discipline ecclésiastique était la pierre de touche de la Réforme calvinienne. De plus, Calvin et Farel voulaient aussi imposer aux habitants de la ville de Genève de prononcer individuellement une confession préparée par les réformateurs.  Puisque la population de Genève avait voté en Conseil Général l’adoption de la Réforme en mai 1536, il fallait que cette Réforme prenne corps dans la vie de chacun et de la ville toute entière.  Or les Genevois, bien connus à l’époque pour fréquenter les cabarets et les tavernes, n’avaient pas nécessairement décidé de rompre avec la papauté pour adopter pleinement un nouveau style de vie et une organisation ecclésiastique réformée par rapport aux structures de l’Eglise romaine; pour un certain nombre d’entre eux, il s’agissait avant tout de gagner une indépendance politique et de rejeter le joug politique et ecclésiastique qu’ils avaient connu jusque là.  Un grave conflit entre les Réformateurs et les autorités de la ville de Genève n’allait pas tarder à éclater. 

Nous verrons la prochaine fois, amis auditeurs, comment ce conflit aboutit finalement à l’expulsion de Calvin, Farel et Couraud de la ville de Genève.