JEAN CALVIN (6)
Amis
auditeurs, comme nous l’avons vu lors de notre précédente émission, l’établissement
d’une discipline ecclésiastique faisait partie des objectifs de Jean Calvin
et Guillaume Farel pour la ville de Genève, à la réformation religieuse de
laquelle ils avaient été appelés à travailler.
Non seulement la célébration régulière de la Sainte Cène devait être
accompagnée de cette discipline, mais les réformateurs voulaient obtenir de
tous les habitants de la ville, à commencer par les magistrats, une confession
de foi sans équivoque, afin de sceller l’unité de l’Eglise.
Des règlements devaient modérer le port de vêtements somptueux, et
aussi combattre l’immoralité sous peine d’excommunication, c’est-à-dire
sous peine de se voir refuser l’accès à la Sainte Cène.
Calvin souhaitait aussi que l’on chante les psaumes à l’Eglise, et
proposa qu’on forme un choeur d’enfants dont les voix guideraient petit à
petit le chant des fidèles. Un catéchisme
pour les enfants est bientôt préparé; des règlements concernant les mariages
sont aussi établis. On décide que
seuls le dimanche est un jour de fête, on ne doit donc pas sanctifier
d’autres jours et arrêter de travailler.
Au début de 1537 les autorités de Genève acceptent en principe les
articles proposés, de même que la confession de foi rédigée par Farel, et
commencent à les appliquer. Si un
certain nombre de citoyens feront finalement cette confession de foi publique
requise, beaucoup en revanche refuseront de la faire.
Petit à petit, les choses vont s’envenimer, en particulier à partir
du moment où la ville de Berne cherchera à imposer ses rites et ses liturgies
à la ville de Genève et à
celle
de
Lausanne
. Au
début de 1538 le Conseil des Deux-Cents interdit aux pasteurs d’exclure qui
que ce soit de la communion. Le
vieux pasteur aveugle Couraut s’emportera depuis la chaire contre les autorités,
et persistera si bien dans ses attaques qu’il sera mis en prison.
Calvin et Farel le soutiennent et refusent que les autorités civiles
dictent aux autorités ecclésiastiques quelles cérémonies doivent être
introduites dans l’Eglise. En février,
quatre nouveaux syndics sont élus à la tête de la ville de Genève, qui sont
hostiles à Calvin et Farel. On reproche à ces français de vouloir imposer
leurs idées à la ville qui les a accueillis.
On leur interdit de prêcher, mais ils montent tout de même en chaire.
Finalement, le 23 avril, une majorité du Conseil Général décide de
bannir les trois pasteurs et leur donne trois jours pour quitter la ville.
D’après le secrétaire du Petit Conseil venu annoncer le décret à
Calvin, celui-ci répondit: A la bonne heure. Si nous
avions servi les hommes, nous aurions été mal récompensés.
Mais nous servons un grand maître qui nous récompensera.
Les journées précédentes avaient été agitées, et certains
habitants avaient chanté des chansons obscènes sous ses fenêtres; on avait même
tiré des coups de fusil pour l’intimider…
Voilà
donc Calvin de nouveau sur la route, lui qui n’avait pas cherché à
s’installer à Genève par lui-même, mais y avait été contraint par Farel.
Où se fixera-t-il? Une
visite à Zürich et à
Berne
pour tenter de résoudre les différends avec
les autorités de Genève n’obtiendra pas l’effet espéré.
Les autorités bernoises, conscientes qu’elles avaient été
indirectement à l’origine de la dispute entre les Réformateurs et Genève,
essaieront d’arranger les choses à l’aide d’une ambassade, mais en vain:
Genève interdira aux deux hommes l’accès à son territoire.
Farel ira s’installer à Neuchâtel, et Calvin reprendra le chemin de Bâle,
où il compte de nouveau s’adonner à ses chères études.
C’en est fait de sa vocation d’homme engagé trop directement dans
les affaires de l’Eglise. Cela,
c’est l’affaire des autres. Lui se considère comme trop timide et
pusillanime pour ce genre d’activités. Mais
voilà qu’un appel lui parvient de la ville de Strasbourg, passée depuis 1524
à la Réforme et autrement mieux organisée sur le plan ecclésiastique que la
turbulente Genève. Au mois de
juillet, il y fait un séjour et les deux grandes figures de la Réforme
strasbourgeoise, Martin Bucer et Wolfgang Capiton, lui proposent de devenir le
pasteur de la communauté des réfugiés français de cette ville de langue
allemande. Ils ont reconnu en Calvin
un homme d’exception et voudraient se l’attacher.
Mais lui cherche à éviter l’appel et retourne à Bâle.
Alors Bucer, de dix-huit ans l’aîné de Calvin,
usera de la même méthode que Farel, et lancera au jeune homme une
injonction décisive, le plaçant devant la colère divine s’il cherche à
s’échapper: Dieu saura retrouver son
serviteur désobéissant, comme il a retrouvé Jonas, lui écrit-il.
Début septembre 1538, Calvin est donc à
Strasbourg
, où il prend sa charge pastorale.
Les
trois années passées par Calvin à
Strasbourg
sont sans nul doute les plus heureuses de sa
vie. Il y approfondira ses
connaissances sous la direction éclairée de Martin Bucer, qu’il apprécie et
respecte beaucoup. Il se lie aussi
d’amitié avec Jean Sturm, le recteur du gymnase de Strabsourg,
lequel deviendra une des plus fameuses écoles de la Renaissance.
L’objectif de Sturm était de former des gens pieux, éduqués et
capables de s’exprimer avec éloquence. Bientôt
il s’associe les services de Calvin, heureux de pouvoir enseigner et
contribuer à la formation de candidats au ministère pastoral.
Le gymnase de
Strasbourg
servira de modèle à l’académie de Genève
fondée vingt ans plus tard. Calvin
est aussi invité à donner des conférences ou prédications
publiques sur une base quotidienne. Dans
le même temps, la paroisse des réfugiés français grandit et bientôt la
Sainte Cène peut être célébrée pour la première fois dans une atmosphère
de paix et de concorde qui contraste grandement avec le climat agité que Calvin
avait laissé derrière lui à Genève. On
y chante aussi les psaumes en français, car dès 1539 Calvin fait publier un
premier recueil comprenant dix-sept psaumes en paroles et musique, sur le modèle
des églises strasbourgeoises de langue allemande.
Les visiteurs français, souvent réfugiés pour raison religieuse,
affluent à Strasbourg, ville réputée pour son hospitalité, et sont émerveillés
par ce chant de l’assemblée toute entière dans leur langue maternelle.
Calvin à lui même préparé la versification de certains de ces
psaumes, tandis que d’autres sont dûs à la plume du grand poète de cour Clément
Marot, que Calvin avait rencontré trois ans plus tôt en Italie, à la cour de
Renée de Ferrare. On chante aussi
le Credo, c’est-à-dire le symbole des apôtres en douze articles, le cantique
de Siméon tiré de l’Evangile selon Luc, et les dix commandements.
Dans les éditions suivantes du psautier, Calvin abandonnera ses propres
versifications, qu’il juge inférieures à celles de Marot.
Ces éditions, comprenant toujours plus de psaumes, culmineront en 1562
avec la parution du psautier genevois qui comprendra les 150 psaumes versifiés
et mis en musique. Mais c’est à
Strasbourg
qu’aura commencé à prendre corps le projet
de Calvin déjà exprimé à Genève en 1537, à savoir la constitution d’un
recueil de chants basés sur des textes bibliques et destiné à l’usage du
culte. Ces chants étaient aussi
destinés à l’usage privé, dans les maisons ou même au travail.
Outre
toutes ces activités, Calvin s’attelle à la révision en latin de son
Institution de la Religion Chrétienne, parue trois ans plus tôt à Bâle.
L’édition de 1539 a plus que doublé par rapport à
celle
de 1536. L’Institution
continuera d’augmenter au fil des éditions suivantes, qui d’ailleurs
reprendront toutes la lettre au roi François premier figurant en tête de l’édition
originale. L’ordre des matières
traitées change, et Calvin se détache de l’influence de Martin Luther pour développer
de manière originale sa propre présentation des sujets qu’il aborde.
Il affirme avec véhémence que seule l’Ecriture Sainte peut amener à
une connaissance fiable de Dieu et de soi-même, et qu’aucune autre source de
sagesse, aucune autre tradition ne peut jouer ce rôle: en effet le péché a
totalement obscurci l’esprit humain. Calvin,
excellent connaisseur de la culture antique, est très critique vis-à-vis de
toutes les sagesses humaines qui ne sont pas transformées ou illuminées par
l’Ecriture et son auteur premier, l’Esprit de Dieu.
Le
séjour strasbourgeois de Calvin a été marquant dans son oeuvre et sa pensée.
Là il a été grandement stimulé par des hommes comme Martin Bucer,
Jean Sturm ou encore le grand théologien luthérien Melanchthon, dont il
devient l’ami à l’occasion d’un colloque qui se déroule en 1541 à
Ratisbonne, en Allemagne, et où il est envoyé comme délégué, aux côtés de
Bucer et de Sturm. Mais, amis
auditeurs, nous verrons la prochaine
fois quels ont été les autres fruits de ce séjour dans la grande ville rhénane,
et comment s’est terminé ce séjour, à peine trois ans après son arrivée
à
Strasbourg
.