JEAN CALVIN (8)

Amis auditeurs, comme nous l’avons vu la dernière fois, le séjour strasbourgeois du réformateur français Jean Calvin entre 1538 et 1541 avait été marqué par de très importantes rencontres et des influences bénéfiques.  Chassé de Genève avec ses collègues par les autorités de la ville en avril 1538 pour n’avoir pas voulu se soumettre aux interférences de celles-ci dans les affaires de l’Eglise, et notamment sa liturgie, il avait trouvé à Strasbourg un hâvre de paix.  Il s’était marié et ne comptait certainement pas retourner à Genève, même s’il y avait gardé des contacts et des appuis. Certes le Conseil de la ville de Genève restait ferme sur sa décision de poursuivre la Réforme de l’Eglise, mais les choses n’allaient pas fort, car il manquait un leadership spirituel ferme malgré la présence de nouveaux pasteurs.  Beaucoup commençaient à se rendre compte que chasser Calvin et Farel de la ville avait été une grosse erreur, et l’Eglise en était fortement troublée.  Le parti politique genevois favorable à Guillaume Farel (pour cette raison on l’appelait le parti Guillermin) allait d’ailleurs revenir au pouvoir peu après, en février 1539. Et surtout, un événement  important allait servir de moteur au retour de Calvin à Genève.  En mars 1539, l’évêque de la ville de Carpentras, Jacques Sadolet, écrivait une longue lettre aux habitants de Genève, lettre adressée au Conseil de la ville, pour les amadouer et les faire revenir dans le giron de l’Eglise de Rome.  C’était un lettré et un homme affable qui préférait les méthodes douces aux persécutions.  Mais dans sa lettre il accusait  - sans les nommer - les réformateurs d’avoir eu des motifs personnels égoïstes et d’avoir détourné le troupeau du Bon Berger. S’ils se repentaient, les Genevois échapperaient à la perdition éternelle.  Les Genevois ne savaient comment répondre à cet homme d’Eglise si éloquent et écrivirent donc à Calvin pour lui demander de rédiger une réponse à leur place.  Cet écrit, paru en septembre de la même année, et connu sous le nom de “Lettre à Sadolet” manifestait une fois de plus le talent d’écrivain de Calvin et surtout son style prophétique.  Il fait appel à la vocation qu’il a reçu du Seigneur , il tire sa légitimité directement de Jésus-Christ.  Au jour du Jugement dernier, auquel Sadolet le confronte, il pourra tenir debout.  Plus encore, Calvin dénonce les faux critères donnés par Sadolet pour juger de ce qu’est la vraie Eglise: l’annonce de la parole de Dieu est le principal critère qu’il convient de prendre en compte.  Même si les Eglises réformées sont loin d’être parfaites, elles s’approchent davantage du modèle de l’Eglise primitive.  Il est inutile d’effrayer les consciences en les menaçant de l’enfer alors qu’elles ont trouvé en Jésus-Christ et en lui seul leur ferme appui.

 A Genève, dès octobre 1540,  on souhaitait le retour de Calvin comme pasteur.  Le Conseil envoya même un représentant à Strasbourg portant au Réformateur une lettre dans ce sens.  Mais celui-ci, se sentant désormais lié à sa paroisse française de Strasbourg , décline l’offre.  Une nouvelle tentative a lieu en janvier 1541. Calvin la repousse à nouveau, ou plutôt repousse à plus tard cette échéance.  Puis, après bien des tourments intérieurs concernant sa vocation et cet appel de Genève , il prend le chemin du retour, suivi peu après de sa famille (son épouse, Idelette, avait deux enfants de son premier mariage).  Il arrive à Genève le 13 septembre 1541, fêté par les Genevois, et il y reprend son ministère: lors de sa première prédication en chaire, Calvin prend le texte biblique à exposer exactement au même endroit où il l’avait laissé ce fameux dimanche d’avril 1538, juste avant d’avoir été chassé de Genève; et il le fait sans mentionner une seule fois les pénibles événements intervenus trois ans et demi plus tôt dans cette même ville.  Comme il l’écrira plus tard à un ami: Je voulais montrer par là que, plutôt que d’avoir déposé la charge d’enseigner, je l’avais interrompue pour un temps.

 A partir de là, Calvin restera fixé à Genève jusqu’à sa mort en 1564, malgré quelques voyages entrepris en Suisse ou en Allemagne pour les affaires de l’Eglise.  Il ne reverra plus jamais sa patrie, mais consacrera une grande partie de ses efforts à l’organisation des églises réformées de France sur le modèle du Nouveau Testament.  Ces vingt-trois années  seront marquées par une activité intense, par des luttes très pénibles - à Genève même ou avec des personnes voire des groupes situés en dehors de cette ville -  par une abondante correspondance avec des rois, des reines, des princes et princesses dans toute l’Europe, mais également des chrétiens sans notoriété qui cherchent ses conseils ou son appui. Ces années verront la publication d’une série de commentaires sur les livres bibliques, d’abord tous les livres du Nouveau Testament à l’exception de l’Apocalypse, puis à partir de 1550, un grand nombre de livres de l’Ancien Testament, à commencer par le prophète Esaïe.  Ses sermons prononcés à la cathédrale Saint Pierre de Genève seront retranscrits par des auditeurs attentifs et publiés ensuite: Calvin prêchait en effet deux fois par dimanche; en outre, une semaine sur deux il prêchait quotidiennement.  Cette activité ne s’est ralentie que l’année de sa mort, en raison de ses problèmes de santé croissants.  De plus, une série de traités sur des sujets divers, parfois très polémiques, paraîtront tout au long de ces années.  Calvin reprendra plusieurs fois la traduction en français de la Bible de son cousin Olivétan, qui deviendra la fameuse Bible de Genève, dont le texte est accompagné, en marge, de commentaires explicatifs et qui est en quelque sorte l’ancêtre des modernes bibles d’étude.  Il supervisera les différentes publications du psautier de Genève, lequel comprendra, dans l’édition de 1562, la versification en musique des cent cinquante psaumes ainsi que de quelques autres cantiques tirés de la Bible, tous destinés à être chantés par l’assemblée des fidèles durant le culte dominical.  Il reprendra son Institution de la Religion Chrétienne plusieurs fois, jusqu’à l’édition latine finale de 1559, traduite en français l’année suivante, et qui comprend quatre-vingt chapitres: au cours des années elle sera devenue un monument de pensée chrétienne et d’exposition de la foi biblique. Elle sera traduite dans de nombreuses langues du vivant même de Calvin, et plus encore après sa mort. Il travaillera également à l’établissement d’une académie destinée à éduquer des  jeunes gens remarquablement bien formés dans les lettres classiques, propres à devenir des pasteurs compétents et dévoués.  Cette Académie, fondée en 1559, aura à sa tête le plus proche collaborateur de Calvin, le français Théodore de Bèze, lui-même étant le poète principal responsable de la traduction et versification des psaumes pour le psautier de Genève. Le vieux Mathurin Cordier, qui avait lui-même enseigné le Latin à Calvin au Collège parisien de la Marche dans les années vingt, deviendra un des enseignants de l’Académie, s’éteignant à l’âge de quatre-vingt six ans, quelques mois à peine après la mort de Calvin en 1564.  La formation théologique de pasteurs à Genève et leur envoi en  nombre en France (mais aussi dans bien d’autres pays européens) occupe aussi Calvin et ses collègues.  Ces pasteurs envoyés en France , dans un pays qui officiellement ne tolère pas les  églises réformées, risquent souvent leur vie pour le ministère qu’ils accomplissent.  Un grand nombre périra sur les bûchers allumés sur l’ordre du roi.   Les dernières années de la vie du Réformateur sont particulièrement marquées par l’attention accordée à la situation politique et religieuse extrêmement dégradée en France: après l’échec d’une tentative de conciliation entre Catholiques Romains et Protestants lors du Colloque de Poissy tenu à Paris en 1561, et durant laquelle  les Réformés sont représentés par le brillant Théodore de Bèze, le conflit militaire va s’enclencher. Tant que les persécutions contre les Protestants - déjà nombreuses et cruelles sous le règne de François 1er et plus encore sous celui d’Henri II - étaient le fait de l’autorité royale, Calvin recommandait la patience et la soumission, quelle qu’en fût le prix.  Mais à partir du moment où des princes français de second rang prennent l’initiative de faire tuer des Protestants en 1562, lors du massacre de Wassy ,  il n’est plus possible de laisser faire: les princes protestants du Royaume doivent organiser la défense des sujets de même conviction religieuse.  L’autorité morale de Calvin est devenue telle, au cours des années, qu’on se tourne vers lui de partout pour lui demander conseil, ou la direction à prendre.  Dans ses lettres, il sera d’ailleurs très sévère envers ceux, tel le baron des Adrets, qui abusent de leur pouvoir militaire pour intimider les uns ou les autres.  A Genève même, après des conflits terribles avec le parti des Libertins, souvent majoritaire au Conseil de la ville, l’autorité morale et spirituelle de Calvin n’est plus remise en question après 1555.  Les neuf dernières années de sa vie sont, de ce côté, enfin paisibles.  La ville reçoit un très grand nombre de réfugiés pour cause de religion, venant non seulement de France, mais de toute l’Europe.  Ils soutiennent l’action du Réformateur et, une fois devenus citoyens de Genève, font pencher la balance politique en faveur de ses idées.  Ceci alors que Calvin n’exerce en tant que tel aucun pouvoir politique à Genève, dont il n’est même pas citoyen.  Ce n’est que cinq ans avant sa mort, le jour de Noël 1559, que les autorités de Genève accordent à ce français qu’ils ont retenu par deux fois dans leur ville, le droit de bourgeoisie, c’est à dire la citoyenneté, en raison des grands services rendus à leur ville.  Contrairement à ce qu’on a souvent dit, Calvin n’était pas le dictateur de Genève; il a bien plutôt contribuer à entériner la séparation entre les autorités civiles et les autorités ecclésiastiques, tout en favorisant leur collaboration intime.  C’est la supériorité de son jugement et de ses facultés intellectuelles, ainsi que sa volonté de fer même dans l’adversité, qui ont fait qu’il a exercé non seulement à Genève mais dans toute l’Europe,  une influence aussi prépondérante.

 Amis auditeurs, nous parcourrons ensemble la prochaine fois quelques épisodes de la carrière de Calvin qui nous feront apprécier à la fois l’importance durable de son oeuvre au service de l’Eglise et de la société, sans toutefois cacher ses faiblesses de caractère lorsqu’elles se sont manifestées.