JEAN
CALVIN (9)
Amis auditeurs, lors de notre
dernière émission nous avons jeté un coup d’oeil sur l’activité intense
de Calvin après son retour à Genève, en 1541, et jusqu’à sa mort en 1564.
Cette activité fut menée sur tous les fronts: correspondance,
publication de commentaires sur la Bible, prédication suivie de la parution des
sermons prêchés, rédaction d’ouvrages polémiques ou autres;
suivi des affaires ecclésiastiques non seulement à Genève même, en
Suisse protestante ou en France, mais dans toute l’Europe; travail pastoral
avec les autres pasteurs de Genève, enseignement de la théologie aux futurs
pasteurs formés sur place et envoyés en mission en France ou ailleurs, etc.
La ville de Genève, qui
avant l’arrivée de Calvin ne comptait que très peu sur la scène européenne,
était petit à petit devenue un centre religieux et intellectuel de première
importance. Les réfugiés y
affluaient de toutes parts, cherchant à se former auprès de Calvin, demeurant
parfois sur place (il en aida un grand nombre à obtenir la citoyenneté
genevoise), ou y restant pendant un temps avant de reprendre la route, souvent
dans des conditions extrêmement dangereuses.
Vers 1545, on imprimait et publiait à Genève autant de livres qu’à
Paris, la capitale française et l’un des tous premiers centres littéraires
et culturels de l’Europe. A titre
d’exemple, le fameux psautier de Genève de 1562 fut imprimé en cinquante
mille exemplaires par l’éditeur principal, qui confia le travail
d’impression à quelque vingt-cinq imprimeries, genevoises ou françaises.
Cette première édition fut épuisée en un an, et donna immédiatement
lieu à toutes sortes d’éditions
pirates, ce qui montre le succès extraordinaire de ce psautier, en Suisse et
plus encore en France: il contenait l’intégralité des psaumes de la Bible
mis en vers français et en musique pour être chantés dans les églises, mais
aussi à la maison ou ailleurs. Ce
chiffre de cinquante mille exemplaires est considérable, si l’on pense que
l’imprimerie n’existait alors en Europe que depuis un siècle à peine.
Il s’agit d’un des plus grands succès de l’édition jamais
enregistrés. Le savant poète et théologien
français Théodore de Bèze, qui était devenu le plus proche collaborateur de
Calvin à partir de 1548, était l’auteur d’une centaine de ces traductions
des psaumes en vers français, à partir de l’hébreu.
Petit à petit il avait complété le travail amorcé par Clément Marot,
le grand poète de la cour du roi François Premier, à qui Calvin avait
d’abord confié ce travail. Mais Marot était mort trop tôt, en 1544.
De Bèze avait même réussi, un an avant la publication du psautier, à
obtenir un privilège spécial du roi de France pour en protéger la diffusion,
au moment où il semblait qu’un compromis entre Catholiques et Protestants en
France pouvait aboutir. Il est
frappant de constater que c’est l’année même où débutent les guerres de
religion en France, que le psautier sera diffusé dans ce pays.
Il rencontrera un succès immédiat non seulement auprès des
Protestants, mais aussi des Catholiques, et petit à petit il donnera lieu à
toutes sortes de compositions musicales pour voix ou instruments de musique.
Bien des martyrs chanteront les psaumes sur le chemin qui les conduira à
leur exécution, témoignant ainsi de leur foi inébranlable au moment
d’affronter l’épreuve du supplice et de la mort.
Calvin
dédie les commentaires qu’il publie sur les livres de la Bible aux princes et
rois ou reines européens avec lesquels il correspond.
Il leur adresse une lettre de dédicace, en les encourageant à amorcer
ou poursuivre la réforme de l’Eglise dans leurs états.
Pour pouvoir adresser une telle lettre, il fallait auparavant avoir
obtenu l’autorisation du roi ou du prince en question.
On se rend donc compte en lisant ces dédicaces que de nombreux
souverains étaient favorables aux idées de la Réforme.
Parfois, son commentaire est dédié à un ami, ou aux représentants et
dirigeants d’une ville indépendante. C’est
dans la préface de son Commentaire aux Psaumes qu’il donne à ses lecteurs
quelques détails sur sa vie personnelle et comment il est parvenu à la foi évangélique.
Car autrement, Calvin était très avare de confidences sur lui-même.
Ce sont ses amis proches, tels Théodore de Bèze, qui, après sa mort,
publieront le récit de sa vie à partir de ce qu’il leur avait dit sur lui-même.
Mais Calvin n’avait pas que des amis, bien au contraire: ses idées et
la fermeté qu’il mettait à les défendre provoqua de nombreuses hostilités.
Bien des conflits l’opposèrent, à Genève même, à ceux qui ne
supportaient ni son influence grandissante, ni son exposé de certains points de
la doctrine chrétienne, ni la discipline ecclésiastique que les pasteurs tâchaient
de faire régner au sein de l’Eglise pour empêcher toutes sortes de désordres.
Le Conseil de la ville de Genève le soutenait parfois, ou bien
s’opposait carrément à lui. En
1551 un ancien moine parisien nommé Jérôme Bolsec, devenu médecin, avait
publiquement critiqué l’enseignement de la doctrine de l’élection divine
enseigné par Calvin et les autres pasteurs. Il
fut convaincu d’erreur et chassé de la ville par les autorités car il
n’avait pu défendre proprement ses propres idées. Il faut dire qu’il était
bien difficile d’avoir raison contre Calvin, dont le savoir et l’éloquence
simple emportaient facilement l’adhésion des auditeurs.
Des années après, étant
entretemps retourné dans le giron de l’Eglise romaine,
Bolsec se vengea de Calvin (qui était mort treize ans plus tôt) en
publiant un pamphlet sur sa personne et sa vie, rempli de mensonges grossiers et
incroyables. Il faut l’avoir lu
pour se rendre compte de la haine qui pouvait animer certains à l’égard de
la personne du Réformateur. Cet écrit
a d’ailleurs servi de base à toute une série de livres publiés durant les
siècles suivants pour tâcher de faire de Calvin un monstre inhumain, le
dictateur sans pitié de la ville de Genève.
Calvin
était-il cependant un homme sans défauts?
Certes non. Il reconnaissait
lui-même qu’il pouvait s’emporter facilement, qu’il ne maîtrisait pas
comme il l’aurait fallu ses émotions et son langage.
Lorsqu’il était pris dans un débat sur des questions qui lui tenaient
à coeur, il employait souvent des mots qui sonnent plutôt mal aux oreilles des
lecteurs, en tous cas aujourd’hui, malgré toute la beauté de son style littéraire.
Ce grand timide qui aurait souhaité passer sa vie dans un endroit calme
et paisible avait été jeté malgré lui dans la tourmente de la vie publique
en un siècle qui était extrêmement dur: on ne connaissait pas l’idée de la
tolérance et un royaume, une principauté ou une ville qui avait adopté un
point de vue confessionnel donné cherchait à s’y tenir sans faire de
concessions aux idées opposées. En
France, les rois restaient fidèles à Rome et multipliaient les bûchers de
Protestants. L’Angleterre hésitait
entre une Réforme de l’Eglise adaptée aux besoins politiques du pays, ce
qu’on allait appeler l’Anglicanisme, et la fidélité à Rome et au pape.
Suivant le monarque qui se trouvait sur le trône, on persécutait à
tour de rôle les tenants des idées opposées.
L’Allemagne était divisée: une partie était luthérienne, l’autre
catholique romaine. Chaque prince
gouvernant un état ou une province allemande décidait de la confession qui
devait être tenue dans ses états. Il
en allait de même en Suisse, ou un grand nombre de villes, comme Berne, Bâle,
Zürich, Lausanne ou Neuchâtel avaient adopté la Réforme.
A Genève comme ailleurs, il fallait se soumettre à la décision du
Conseil de la ville qui avait officiellement opté pour la Réforme le 21 mai
1536, quelques mois avant que le jeune Calvin ne passe par là et qu’on le
retienne de force pour le faire travailler à cette Réforme.
Ceux qui ne partageaient pas les convictions réformées devaient tout
simplement s’exiler, sinon ils mettaient leur propre vie en danger.
Dans ce paysage, la ville de Strasbourg, avec les réformateurs Martin
Bucer et Wolfgang Capiton, faisait plutôt figure d’exception.
On y accueillait volontiers les réfugiés de toutes convictions, comme
les Anabaptistes, même si officiellement la ville ne partageait pas leurs idées.
Certes Genève était devenue elle aussi une ville de réfugiés pour
cause de foi protestante, mais cela ne signifiait pas qu’on y tolérait
n’importe quelle conviction religieuse. Bien
sûr il était toujours possible de discuter d’un point de doctrine avec les
pasteurs et de nombreux débats avaient lieu sans que cela se termine par un
exil forcé ou une condamnation quelconque.
Cepenant, aussi bien pour les autorités de la ville que pour les
pasteurs, il était hors de question de laisser démolir le travail qui avait déjà
été accompli, souvent au prix de nombreux sacrifices.
C’est dans ce contexte là qu’intervint en 1553 la triste affaire du
procès de Michel Servet, dont je vous parlerai lors de notre prochaine émission,
amis auditeurs.