Chers amis qui avez suivi jusqu’ici cette série
d’émissions consacrée à la vie et l’oeuvre de Jean Calvin, je termine
aujourd’hui ce panorama sur cette personnalité exceptionnelle de l’histoire
de l’Eglise en tâchant de résumer les apports de Calvin à la vie de
l’Eglise et de la société en général.
Nous avons vu que Calvin n’est pas apparu le tout premier sur la scène
de la Chrétienté occidentale pour en initier une réforme profonde et durable.
Avant lui, voire parallèlement à lui, d’autres, comme Luther, Farel,
Bucer, Melanchthon, Bullinger, Viret - pour n’en citer que quelques uns - ont
oeuvré dans le même sens, chacun avec sa personnalité propre et ses dons
particuliers, mis à l’oeuvre dans des circonstances particulières.
Comment alors résumer l’apport de Calvin?
Il a sans doute été celui qui a opéré avec le plus de clarté la
synthèse la plus complète d’une doctrine chrétienne conçue non pas comme
une théorie ou une abstraction, mais comme une manière de vivre entièrement
dirigée vers le Dieu qui s’est révélé dans sa Parole, et avant tout dans
Sa parole devenue chair, Jésus-Christ. Calvin
a opéré cette synthèse dans un enseignement fécond et divers, dans ses
commentaires sur les livres de la Bible, mis à la portée de tous, dans ses
traités et ses sermons, dans sa correspondance personnelle avec les uns ou les
autres, petits ou grands de ce monde. Mais
au delà de l’enseignement apporté par ses écrits, il a manifesté cette
synthèse dans la manière dont il a conduit les affaires de l’Eglise de Genève,
et celles de nombreuses autres églises européennes, par le biais des conseils
prodigués aux uns et aux autres. En
s’adressant aux rois et aux reines, aux princes et aux princesses, aux
gouvernements et aux autorités, il a permis l’extension de la Réforme bien
au-delà des limites géographiques de la ville de Genève.
Celle-ci, de bourg assez peu important qu’elle était lors de son arrivée
sur place en 1536, est devenue un centre européen de toute première importance
au fil des années de son ministère qui a duré vingt-cinq ans environ; elle a
attiré vers elle un nombre croissant d’étrangers qui recherchaient la liberté
de vivre la foi évangélique selon leur conscience et soutenaient le programme
de réforme de Calvin. Genève est devenue un modèle de cité stable et bien
organisée, après
toutes les tempêtes internes dont
elle avait été le siège. Son
rayonnement intellectuel et spirituel était devenu évident aux yeux de toute
l’Europe. La division des tâches
et la distinction entre Etat et Eglise, dans la reconnaissance que ces deux sphères
ne sont ni opposées l’une à l’autre ni destinées à vivre parallèlement
en s’ignorant réciproquement, a favorisé l’éclosion d’une liberté
politique, fait majeur dans l’histoire européenne que tous les historiens sérieux
ont souligné.
Sur le plan social, Calvin a organisé le diaconat,
c’est-à-dire l’aide aux pauvres, sur le modèle donné dans le Nouveau
Testament. Il l’a fait de manière
efficace, créant également une bourse pour les étudiants nécessiteux et leur
permettant de se former comme pasteurs, la plupart du temps pour retourner en
France et servir les églises réformées nouvellement constituées.
L’hôpital de Genève lui aussi a été réorganisé.
Aussi bien sous l’influence de la prédication de
Calvin et de ses collègues que par des mesures appropriées prises par le
Conseil de Genève à leur demande, la mendicité a été progressivement éradiquée.
L’importance du travail et de la vocation individuelle mise au service de Dieu
et de la communauté, ont été mises en valeur.
Ainsi s’est développée la fameuse éthique calviniste du travail qui
a complètement transformé le paysage sosio-économique des pays qui ont adopté
la Réforme calvinienne. Calvin a
rompu avec l’idée médiévale, héritée du philosophe grec Aristote, que
l’argent est en quelque sorte une matière morte qui ne peut en tant que telle
engendrer de la richesse, et ne sert qu’à permettre des transactions entre
différentes parties. En permettant le prêt à un taux d’intérêt modique
(5% maximum) et en déculpabilisant ceux qui le pratiqueraient, Calvin a en
quelque sorte libéré le potentiel de l’argent à engendrer de l’argent.
Il faut cependant souligner qu’il était très fortement opposé à
l’usure, c’est-à-dire aux taux d’intérêt extrêmement élevés: dans
certains cas ils dépassaient les 25%, contribuant
notamment à l’enrichissement des grands banquiers européens au détriment
des Etats, qui s’endettaient de manière irréversible. Cette pratique de
l’usure n’était d’ailleurs tolérée par l’Eglise de l’époque que
sur la base d’une idée selon laquelle les questions économiques et financières
ressortissent du domaine de la nature et non de la Grâce:
pour l’Eglise du Moyen-Age, ce qui relève de la nature fonctionne
selon des règles qui ne sont pas soumises aux normes de la parole révélée de
Dieu. Seule la sphère plus élevée
de l’existence humaine, ce qui a trait à l’âme, aux questions du
salut, à l’Eglise et aux sacrements, relève directement de la sphère de la
Grâce. Plus encore que tous les
autres Réformateurs, Calvin a rompu avec ce dualisme, cette compartimentation
de la vie en deux sphères, l’une profane et inférieure, soumise aux lois de
la nature, et l’autre sacrée et supérieure, soumise à la Parole de Dieu:
pour lui, l’existence toute entière doit être sanctifiée et présentée à
Dieu comme un sacrifice qui lui est plaisant et qui le glorifie.
Soli Deo Gloria, à Dieu seul
la gloire, voilà sans doute le motif qui caractérise le mieux la pensée et
l’oeuvre de Jean Calvin. Or, pour
que Dieu soit glorifié, il faut d’abord que l’homme se connaisse comme
totalement déchu, misérable, incapable par lui-même de venir à son propre
secours, de se sauver, jusqu’à ce que cette connaissance l’amène vers Jésus-Christ
en lequel, par la foi, il trouve son salut et sa restauration.
A partir de là, rempli du Saint Esprit et progressant quotidiennement
sur la voie de la sanctification, il soumet sa vie entière, et toutes les sphères
de son activité, à la volonté divine, recouvrant la liberté d’agir qu’il
avait perdue. C’est dans ce sens
que l’on doit comprendre la devise que Calvin avait adoptée pour lui même: Seigneur,
je t’offre mon coeur, promptement et sincèrement.
Alors,
Calvin a-t-il été le père du capitalisme moderne, ou de la démocratie
moderne, comme beaucoup l’ont affirmé? Il
ne faut pas tomber dans ce genre de raccourcis historiques qui ne rendent
justice ni à l’homme ni à son oeuvre et qui lui attribuent des idées qui ne
se sont développées que bien plus tard, du reste sur une base idéologique
bien différente. C’est aussi sur
une base totalement différente que certains ont tâché de justifier l’idéologie
de l’apartheid, en Afrique du Sud, tout en soutenant qu’elle avait son
origine dans les écrits de Calvin, alors que celui-ci ne parle nulle part de
questions de ségrégation raciale:
ces questions lui étaient totalement inconnues car en Europe à cet époque
elles ne se manifestaient nulle part. De plus, l’idée du nationalisme par lequel les
peuples tâchent de maintenir leur identité culturelle et politique, le plus
souvent au détriment des autres peuples, nations
ou groupes ethniques, lui était totalement étrangère elle aussi: avec lui on
peut parler d’un sain patriotisme qui lui a fait travailler d’arrache-pied,
dans la mesure où il détenait une autorité morale et spirituelle, pour que la
ville de Genève conserve et développe son indépendance ainsi que ses
institutions politiques particulières. A
l’opposé d’un nationalisme étroit, on peut dire que Calvin, ce français
exilé à Genève qui n’est devenu citoyen de celle-ci que cinq ans à peine
avant sa mort, a été un grand européen, de par la nature de ses contacts à
travers tous le continent. Il a
aussi favorisé une tentative d’évangélisation des indiens du Brésil en y
envoyant quelques pasteurs, par le biais d’une expédition française qui a
finalement échoué en raison des dissensions internes qui l’ont peu à peu
minée.
Amis auditeurs, j’ai tâché au cours de ces onze
émissions de vous brosser le portrait d’un homme exceptionnel que Dieu a
puissamment utilisé pour édifier son Eglise.
Ce tableau est certes incomplet et mériterait bien d’autres développements.
L’important est de saisir que Dieu se sert d’instruments humains –
aussi faibles soient-ils – dans son oeuvre pour rassembler son Eglise aux
quatre coins du monde. L’Ecriture
nous enjoint de nous souvenir de nos conducteurs spirituels et de méditer sur
l’issue de leur vie. Moins que
tout autre, Calvin souhaitait qu’on s’attache à sa personne au lieu de
s’attacher à Jésus-Christ et de le suivre comme disciple.
Il a été très discret sur lui-même pendant sa vie et a été enterré
dans une fosse commune à sa demande, si bien qu’on ne connaît même pas
aujourd’hui l’emplacement de sa tombe. Mais,
à nouveau, l’important est qu’un tel exemple inspire aujourd’hui comme
par le passé, des générations de chrétiens à s’attacher à Jésus-Christ,
à le reconnaître comme Seigneur et Sauveur afin de laisser travailler le Saint
Esprit dans notre coeur à la gloire de Dieu le Père, le tout en étudiant sa
parole et en se soumettant à elle dans tous les domaines de la vie.