JEAN CALVIN (11)

Chers amis qui avez suivi jusqu’ici cette série d’émissions consacrée à la vie et l’oeuvre de Jean Calvin, je termine aujourd’hui ce panorama sur cette personnalité exceptionnelle de l’histoire de l’Eglise en tâchant de résumer les apports de Calvin à la vie de l’Eglise et de la société en général.  Nous avons vu que Calvin n’est pas apparu le tout premier sur la scène de la Chrétienté occidentale pour en initier une réforme profonde et durable.  Avant lui, voire parallèlement à lui, d’autres, comme Luther, Farel, Bucer, Melanchthon, Bullinger, Viret - pour n’en citer que quelques uns - ont oeuvré dans le même sens, chacun avec sa personnalité propre et ses dons particuliers, mis à l’oeuvre dans des circonstances particulières.  Comment alors résumer l’apport de Calvin?  Il a sans doute été celui qui a opéré avec le plus de clarté la synthèse la plus complète d’une doctrine chrétienne conçue non pas comme une théorie ou une abstraction, mais comme une manière de vivre entièrement dirigée vers le Dieu qui s’est révélé dans sa Parole, et avant tout dans Sa parole devenue chair, Jésus-Christ.  Calvin a opéré cette synthèse dans un enseignement fécond et divers, dans ses commentaires sur les livres de la Bible, mis à la portée de tous, dans ses traités et ses sermons, dans sa correspondance personnelle avec les uns ou les autres, petits ou grands de ce monde.  Mais au delà de l’enseignement apporté par ses écrits, il a manifesté cette synthèse dans la manière dont il a conduit les affaires de l’Eglise de Genève, et celles de nombreuses autres églises européennes, par le biais des conseils prodigués aux uns et aux autres.  En s’adressant aux rois et aux reines, aux princes et aux princesses, aux gouvernements et aux autorités, il a permis l’extension de la Réforme bien au-delà des limites géographiques de la ville de Genève.  Celle-ci, de bourg assez peu important qu’elle était lors de son arrivée sur place en 1536, est devenue un centre européen de toute première importance au fil des années de son ministère qui a duré vingt-cinq ans environ; elle a attiré vers elle un nombre croissant d’étrangers qui recherchaient la liberté de vivre la foi évangélique selon leur conscience et soutenaient le programme de réforme de Calvin. Genève est devenue un modèle de cité stable et bien organisée, après toutes les tempêtes  internes dont elle avait été le siège.  Son rayonnement intellectuel et spirituel était devenu évident aux yeux de toute l’Europe.  La division des tâches et la distinction entre Etat et Eglise, dans la reconnaissance que ces deux sphères ne sont ni opposées l’une à l’autre ni destinées à vivre parallèlement en s’ignorant réciproquement, a favorisé l’éclosion d’une liberté politique, fait majeur dans l’histoire européenne que tous les historiens sérieux ont souligné.

Sur le plan social, Calvin a organisé le diaconat, c’est-à-dire l’aide aux pauvres, sur le modèle donné dans le Nouveau Testament.  Il l’a fait de manière efficace, créant également une bourse pour les étudiants nécessiteux et leur permettant de se former comme pasteurs, la plupart du temps pour retourner en France et servir les églises réformées nouvellement constituées.  L’hôpital de Genève lui aussi a été réorganisé.

Aussi bien sous l’influence de la prédication de Calvin et de ses collègues que par des mesures appropriées prises par le Conseil de Genève à leur demande, la mendicité a été progressivement éradiquée. L’importance du travail et de la vocation individuelle mise au service de Dieu et de la communauté, ont été mises en valeur.  Ainsi s’est développée la fameuse éthique calviniste du travail qui a complètement transformé le paysage sosio-économique des pays qui ont adopté la Réforme calvinienne.  Calvin a rompu avec l’idée médiévale, héritée du philosophe grec Aristote, que l’argent est en quelque sorte une matière morte qui ne peut en tant que telle engendrer de la richesse, et ne sert qu’à permettre des transactions entre différentes parties. En permettant le prêt à un taux d’intérêt modique (5% maximum) et en déculpabilisant ceux qui le pratiqueraient, Calvin a en quelque sorte libéré le potentiel de l’argent à engendrer de l’argent.  Il faut cependant souligner qu’il était très fortement opposé à l’usure, c’est-à-dire aux taux d’intérêt extrêmement élevés: dans certains cas ils dépassaient les 25%,  contribuant notamment à l’enrichissement des grands banquiers européens au détriment des Etats, qui s’endettaient de manière irréversible. Cette pratique de l’usure n’était d’ailleurs tolérée par l’Eglise de l’époque que sur la base d’une idée selon laquelle les questions économiques et financières ressortissent du domaine de la nature et non de la Grâce:  pour l’Eglise du Moyen-Age, ce qui relève de la nature fonctionne selon des règles qui ne sont pas soumises aux normes de la parole révélée de Dieu.  Seule la sphère plus élevée  de l’existence humaine, ce qui a trait à l’âme, aux questions du salut, à l’Eglise et aux sacrements, relève directement de la sphère de la Grâce.  Plus encore que tous les autres Réformateurs, Calvin a rompu avec ce dualisme, cette compartimentation de la vie en deux sphères, l’une profane et inférieure, soumise aux lois de la nature, et l’autre sacrée et supérieure, soumise à la Parole de Dieu: pour lui, l’existence toute entière doit être sanctifiée et présentée à Dieu comme un sacrifice qui lui est plaisant et qui le glorifie.  Soli Deo Gloria, à Dieu seul la gloire, voilà sans doute le motif qui caractérise le mieux la pensée et l’oeuvre de Jean Calvin.  Or, pour que Dieu soit glorifié, il faut d’abord que l’homme se connaisse comme totalement déchu, misérable, incapable par lui-même de venir à son propre secours, de se sauver, jusqu’à ce que cette connaissance l’amène vers Jésus-Christ en lequel, par la foi, il trouve son salut et sa restauration.  A partir de là, rempli du Saint Esprit et progressant quotidiennement sur la voie de la sanctification, il soumet sa vie entière, et toutes les sphères de son activité, à la volonté divine, recouvrant la liberté d’agir qu’il avait perdue.  C’est dans ce sens que l’on doit comprendre la devise que Calvin avait adoptée pour lui même: Seigneur, je t’offre mon coeur, promptement et sincèrement.

Alors,  Calvin a-t-il été le père du capitalisme moderne, ou de la démocratie moderne, comme beaucoup l’ont affirmé?  Il ne faut pas tomber dans ce genre de raccourcis historiques qui ne rendent justice ni à l’homme ni à son oeuvre et qui lui attribuent des idées qui ne se sont développées que bien plus tard, du reste sur une base idéologique bien différente.  C’est aussi sur une base totalement différente que certains ont tâché de justifier l’idéologie de l’apartheid, en Afrique du Sud, tout en soutenant qu’elle avait son origine dans les écrits de Calvin, alors que celui-ci ne parle nulle part de questions  de ségrégation raciale: ces questions lui étaient totalement inconnues car en Europe à cet époque elles ne se manifestaient nulle part.  De plus, l’idée du nationalisme par lequel les peuples tâchent de maintenir leur identité culturelle et politique, le plus souvent au détriment des autres peuples,  nations ou groupes ethniques, lui était totalement étrangère elle aussi: avec lui on peut parler d’un sain patriotisme qui lui a fait travailler d’arrache-pied, dans la mesure où il détenait une autorité morale et spirituelle, pour que la ville de Genève conserve et développe son indépendance ainsi que ses institutions politiques particulières.  A l’opposé d’un nationalisme étroit, on peut dire que Calvin, ce français exilé à Genève qui n’est devenu citoyen de celle-ci que cinq ans à peine avant sa mort, a été un grand européen, de par la nature de ses contacts à travers tous le continent.  Il a aussi favorisé une tentative d’évangélisation des indiens du Brésil en y envoyant quelques pasteurs, par le biais d’une expédition française qui a finalement échoué en raison des dissensions internes qui l’ont peu à peu minée.

Amis auditeurs, j’ai tâché au cours de ces onze émissions de vous brosser le portrait d’un homme exceptionnel que Dieu a puissamment utilisé pour édifier son Eglise.  Ce tableau est certes incomplet et mériterait bien d’autres développements.  L’important est de saisir que Dieu se sert d’instruments humains – aussi faibles soient-ils – dans son oeuvre pour rassembler son Eglise aux quatre coins du monde.  L’Ecriture nous enjoint de nous souvenir de nos conducteurs spirituels et de méditer sur l’issue de leur vie.  Moins que tout autre, Calvin souhaitait qu’on s’attache à sa personne au lieu de s’attacher à Jésus-Christ et de le suivre comme disciple.  Il a été très discret sur lui-même pendant sa vie et a été enterré dans une fosse commune à sa demande, si bien qu’on ne connaît même pas aujourd’hui l’emplacement de sa tombe.  Mais, à nouveau, l’important est qu’un tel exemple inspire aujourd’hui comme par le passé, des générations de chrétiens à s’attacher à Jésus-Christ, à le reconnaître comme Seigneur et Sauveur afin de laisser travailler le Saint Esprit dans notre coeur à la gloire de Dieu le Père, le tout en étudiant sa parole et en se soumettant à elle dans tous les domaines de la vie.