RÉBELLION, DESTRUCTION ET RESTAURATION
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Pourquoi
la terre est-elle épuisée et a-t-elle besoin de repos lorque les hommes qui
l’habitent commettent horreur sur horreur, transgression sur transgression?
Voilà le sujet qui nous occupe depuis quelque temps, et qu’illustre un
certain nombre de textes bibliques, tirés de la Loi (en particulier le Lévitique),
du livre du prophète Jérémie et du second livre des Chroniques.
La signification du sabbat, qui témoigne du repos que Dieu accorde, est
ici à l’ordre du jour. Les péchés du petit pays de Juda, qui devait
maintenir l’Alliance avec Dieu, n’affectaient
pas seulement les individus, mais aussi la terre sur laquelle Dieu les avait
placés: la Création de Dieu souffre de l’abus que l’on commet à son égard,
elle ne trouve pas de repos. Cela
est du reste vrai pour la vie de tous les peuples au cours de l’histoire des
hommes. La symbiose entre la terre
et les habitants qui la peuplent est une donnée biblique incontournable.
La terre n’est pas une entité indifférente aux crimes, même
d’ordre social, que l’on commet sur elle, au contraire elle en est affectée
au plus haut point. Rappelez-vous
des paroles de l’Eternel après le tout premier meurtre, celui de Caïn sur
son frère Abel: Qu’as-tu fait?
La voix du sang de ton frère crie du sol jusqu’à moi.
Maintenant, tu seras maudit loin du sol qui a ouvert sa bouche pour
recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand
tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse.
Tu seras errant et tremblant sur la terre.
Comme vous le voyez, il existe un lien étroit entre le rendement de
la terre et les actions que l’on commet sur elle.
Vous
vous souvenez que dans le cas précis de l’Alliance avec Dieu, que le royaume
de Juda était censé maintenir, il
y avait une prescription aussi bien sur le repos des terres cultivables, mises
en jachère chaque septième année, que sur la libération des esclaves hébreux
au service de leurs compatriotes et la remise des dettes tous les sept ans.
La politique agricole aussi bien que sociale devait répondre au même
impératif, celui du repos libérateur initié par Dieu.
Au chapitre 25 du livre du Lévitique nous lisons: Dis aux Israélites: Quand vous serez entrés dans le pays que je vais
vous donner, la terre elle-même se reposera; pour l’Eternel, vous la
laisserez se reposer. Vous
aurez noté que ce repos n’est pas une simple prescription d’ordre pratique:
c’est en effet pour l’Eternel que la terre doit se reposer.
Car Il est la source ultime du repos, aussi bien comme Créateur qui
s’est lui-même reposé de ses oeuvres le septième jour, que comme Libérateur
qui a retiré son peuple de la maison de servitude, de l’esclavage auquel il
était soumis en Egypte. Le vrai
repos trouve donc à la fois sa source et son aboutissement en l’Eternel, par
la contemplation de ses oeuvres parfaites de Création et de salut.
Tout autre repos que celui-ci est en fin de compte artificiel et
n’apporte pas les fruits qu’on en attend.
Aujourd’hui,
nous voyons à maints égard dans la vie des nations que le lien entre
exploitation du sol et des hommes perdure toujours: surexploitation du sol et
surexploitation des hommes vont de pair. Cela
vient tout simplement de ce que les hommes ne reconnaissent pas que Dieu est à
la fois le Créateur des hommes et de la terre, et en définitive leur seul
propriétaire. Ils ne se considèrent pas comme les gérants appelés à rendre
des comptes à Dieu, mais comme les seuls propriétaires.
Au lieu d’être un instrument au service d’une bonne gérance, la
technique qu’ils ont développée est bien souvent devenue un instrument
d’asservissement, une sorte d’idole en soi au service d’une autre idole,
l’homme lui-même et ses rêves fous de domination. Rappelons pourtant les
termes du mandat confié par Dieu à l’homme au début de l’humanité, tel
que la Genèse nous le révèle: L’Eternel
Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le
garder. Quant à l’esclavage
moderne, il n’est sans doute pas meilleur que celui d’antan, il est peut-être
même pire: le trafic d’êtres humains, femmes et enfants sans défense livrés
à des monstres sans pitié, a pris de telles proportions de par le monde que
les estimations statistiques concernant le passé palissent en regard de ce qui
se déroule dans l’univers globalisé d’aujourd’hui. Que ce soit à des
fins de tourisme sexuel, pour alimenter les harems d’obsédés de la
jouissance, pour fournir des esclaves soumis aux proxénètes à la brutalité
sans pareille, ou encore pour accomplir des travaux pénibles requérant une
main d’oeuvre enfantine, comme sur certaines plantations, c’est à des
dizaines de millions d’êtres humains au bas mot que l’on estime
aujourd’hui le nombre de personnes asservies de la sorte.
Mais que dire d’un autre esclavage, apparemment bien plus civilisé et
acceptable, celui des dettes accumulées par les ménages et les états?
Dettes à long terme pour les particuliers, s’étalant parfois jusqu’à
trente ans pour l’achat d’une maison: trente ans de servitude financière à
l’égard d’une banque qui demeure de fait la propriétaire des biens
immobiliers jusqu’à paiement complet
du capital et des intérêts, avoisinant dans
certaines circonstances les 15 voire 20 pour cent. On
est loin de la norme biblique d’un endettement ne dépassant jamais le terme
de six ans. Comment dans ces
conditions célébrer d’un coeur libre et joyeux le sabbat du repos divin en
l’honneur de l’Eternel lorqu’on doit traîner un tel boulet?... Quant
à la dette des états, aux énormes déficits publics accumulés au cours des
années par des gouvernements irresponsables et des politiciens avant tout
soucieux de leur réélection, que dire? Des
promesses démagogiques honteuses de subventions sociales et autres sont faites
régulièrement, qui hypothèquent dangereusement le futur des pays lorsqu’on
fait semblant de les tenir en falsifiant les chiffres et les budgets publics.
La terre se repose-t-elle, au sens biblique tel que nous l’avons vu,
lorsqu’on construit à tout venant et que le secteur immobilier se développe
à pas de géants, mais le tout basé sur un système d’emprunts et de spéculation
des plus risqués? En fin de compte,
la désolation et la ruine atteignent toujours ceux qui veulent vivre au-dessus
de leurs moyens. L’effet boomerang des dettes commodes accumumulées de manière
irresponsable se fait sentir à plus ou moins long terme.
Or, la tentation de tomber dans cet esclavage est d’autant plus grande
qu’aujourd’hui les banques font souvent miroiter des facilités financières
mirifiques, comme s’il suffisait de trois fois rien pour repayer ces facilitées
empruntées. Une banque n’aime jamais trop les clients qui empruntent peu,
elle aime au contraire ceux qui s’endettent de plus en plus et lui paient des
intérêts, une fois qu’elle a pensé qu’ils sont tout de même solvables à
terme. Les cartes de crédit, si
pratiques à utiliser comme facilité de paiement dans la vie courante,
hypnotisent souvent ceux qui s’en servent et qui signent sans trop y penser
les petites fiches qu’on leur présente au moment de la transaction. On verra
plus tard comment rembourser, l’important c’est de jouir immédiatement du
bien de consommation acquis au simple prix d’une signature, se dit-on parfois.
Dans l’Ancien Testament, les emprunts ne concernaient que les situations extrêmement
précaires, là où manquait le strict nécessaire. Il ne s’agissait donc pas
de remettre la septième année des dettes accumulées pour des biens de
jouissance superflus. Il
s’agissait au mieux de dettes encourues pour acquérir un outil de production
qui aurait alors permis à l’emprunteur de travailler et de gagner sa vie par
lui-même sans devoir s’endetter à nouveau.
De nos jours, on s’endette volontiers pour satisfaire des goûts de
luxe. L’apôtre Paul, au chapitre
13 de sa lettre aux chrétiens de Rome, leur enjoint ceci: Ne
devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres; car
celui qui aime les autres a accompli la loi. L’idée qui sous-tend la
première partie de cette injonction est qu’on ne doit pas être l’esclave
ou le serviteur d’une dette, laquelle serait sans doute un obstacle à
l’observation du second plus grand commandement, celui de s’aimer les uns
les autres. Si nous voulons
appliquer cet enseignement, disons que si l’on s’est endetté (car cela
peut-être pour une raison économique compréhensible, par exemple acheter une
maison au lieu de payer un loyer toute sa vie et de ne jamais devenir propriétaire)
alors il faut faire un sérieux effort pour rembourser sa dette au plus vite,
quitte à faire des sacrifices sur autre chose.
On ne peut aussi éviter de penser aux paroles de Jésus dans l’évangile
selon Luc, au chapitre 16: Aucun serviteur
ne peut servir deux maîtres. Car ou il haïra l’un et méprisera
l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre.
Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon, c’est-à-dire l’idole de
l’argent. Servir Mammon, c’est
se mettre en état d’esclavage. Auujourd’hui des nations tout entières –
et souvent celles-là même que l’on considère comme développées – sont
enchaînées à cette idole par le biais des dettes qu’elles ont contractées
pour se donner une illusion d’affluence matérielle.
Le
chrétiens devraient donc réfléchir avec sérieux sur toutes ces questions,
aussi bien au niveau personnel qu’à l’échelon public, afin de remettre en
avant le principe du repos de sabbat, appliqué autant aux hommes qu’à la
terre qui les porte, le tout à la gloire de Dieu.