L’ORGUEIL DU POUVOIR (2) –2 CHRONIQUES 26

Nous continuons aujourd’hui notre réflexion sur le chapitre 26 du second livre des Chroniques, dans l’Ancien Testament, réflexion que nous avons entreprise la fois précédente. Nous avons lu ensemble le récit de la vie et du règne du roi de Juda Ozias, qui régna entre 790 et 739 avant Jésus-Christ. Le chroniqueur nous rapporte les succès du roi Ozias, tant qu’il rechercha l’Éternel et qu’il écouta le prophète Zacharie, qui parlait au nom de Dieu. Aussi bien sur le plan économique que militaire, Ozias affermit son royaume, au point d’atteindre un niveau de développement comparable à celui qui avait prévalu sous le règne du roi Salomon. Nous avons vu comment le récit du Chroniqueur connaît une phase ascendante, décrivant la montée en puissance d’un roi qui avait accédé à la régence à l’âge de seize ans, puis, arrivé au sommet, amorce une phase descendante. Relisons ensemble, si vous le voulez bien, les versets 15 à 23 de ce chapitre, afin de nous remémorer la seconde partie, la phase descendante de la vie d’Ozias: “Sa renommée s’étendit au loin, car il fut merveilleusement aidé jusqu’à ce qu’il ait affermi son pouvoir.

Mais lorsqu’il eut affermi son pouvoir, son coeur s’enhardit jusqu’à entraîner sa perte. Il fut infidèle à l’Éternel son Dieu: il entra dans le temple de l’Éternel pour brûler des parfums sur l’autel des parfums. Le sacrificateur Azaryahou entra derrière lui, avec quatre-vingt sacrificateurs de l’Éternel, vaillants hommes, qui s’opposèrent au roi Ozias et lui dirent: Ce n’est pas à toi Ozias de brûler des parfums à l’Éternel, mais aux sacrificateurs, fils d’Aaron, qui ont été consacrés pour les brûler. Sors du sanctuaire, car tu es infidèle, et cela ne tournera pas à ta gloire devant l’Éternel Dieu. La colère s’empara d’Ozias, qui tenait un encensoir à la main. Comme il se mettait en colère contre les sacrificateurs, la lèpre éclata sur son front, en présence des sacrificateurs, dans la maison de l’Éternel, près de l’autel des parfums. Le souverain-sacrificateur Azaryahou et tous les sacrificateurs se tournèrent vers lui, et voici qu’il avait la lèpre au front. Ils le mirent précipitamment dehors, et lui-même se hâta de sortir, parce que l’Éternel l’avait frappé. Le roi Ozias demeura lépreux jusqu’au jour de sa mort et il habita dans une maison isolée comme lépreux, car il était exclus de la maison de l’Éternel. Son fils Yotam était régent de la maison du roi et gouvernait le peuple du pays. Le reste des actes d’Ozias, les premiers et les derniers ont été écrits par le prophète Ésaïe, fils d’Amots. Ozias se coucha avec ses pères, et on l’ensevelit avec ses pères dans le champ de la sépulture des rois, car on disait: Il est lépreux. Son fils Yotam régna à sa place.” Quel fut donc, amis auditeurs, le péché du roi Ozias, lui qui avait si bien commencé son règne et dont le nom, comme nous l’avons signalé la dernière fois, signifie “ma force est Yahweh”? Le chroniqueur parle d’orgueil; le coeur d’Ozias s’enhardit jusqu’à entraîner sa perte. Ozias fut infidèle à l’Éternel, qui lui avait pourtant accordé beaucoup de succès. Vers l’an 750 avant Jésus-Christ, Ozias prit l’initiative d’aller brûler lui-même des parfums sur l’autel dans le Temple de l’Éternel; ce faisant il usurpait une prérogative qui avait été expressément confiée par l’Éternel aux Lévites, comme le sacrificateur Azariahou le lui dit sans ambage. Un lecteur superficiel dirait: “Mais qu’y avait-t-il de mal à vouloir brûler personnellement des parfums dans le Temple? Ozias ne faisait-il pas au contraire preuve d’une reconnaissance personnelle sincère envers l’Éternel?” Ce n’est pas ce que la Bible nous rapporte, amis qui êtes à l’écoute. La désobéissance d’Ozias à l’ordre de l’Éternel a bien l’orgueil du pouvoir comme cause. Ozias entre dans le Temple paré de tous ses succès terrestres, entiché de lui-même, épris de son propre pouvoir, alors que le service du Temple est un service d’humilité et de sacrifice d’expiation. Les parfums que les sacrificateurs y offrent ont une composition spéciale qui a été dictée par l’Éternel à Moïse, et qui est exclusivement destinée au service du Temple. Au chapitre 30 du livre de l’Exode, verset 36 à 38, nous lisons la prescription donnée à Moïse concernant ce parfum: “Ce sera pour vous une chose éminemment sainte. Vous ne ferez pas de parfum de même composition pour votre usage personnel. Vous le considérerez comme une chose sainte, réservée à l’Éternel. Celui qui en fera pour jouir de son odeur sera retranché de son peuple.” Durant la fête annuelle de l’expiation, l’offrande de ce parfum saint prenait une place centrale dans le culte d’Israël, comme nous le lisons au chapitre 16 du livre du Lévitique. Les seuls sacrificateurs tolérés et mandatés par l’Éternel pour ce service de l’expiation étaient Aaron et sa descendance, c’est-à-dire les Lévites. En sacrifiant un taureau devant le Tabernacle, le Lévite commis à cet office faisait l’expiation pour lui et pour sa famille. Le texte du Lévitique ajoute: “Après cela, il prendra un plein encensoir de charbons ardents de l’autel, de devant l’Éternel, et deux pleines poignées de parfum à brûler réduit en poudre, de sorte que le nuage de fumée couvre le propitiatoire qui se trouve au-dessus de l’acte de l’alliance. Ainsi, il ne mourra pas.” La sainteté de cet acte était donc entre autres scellée par l’exclusivité du sacerdoce lévitique, c’est-à-dire par le fait que seuls les Lévites étaient consacrés pour cet office d’expiation et de réconciliation. Ce n’était donc pas une mince chose que de transgresser l’ordre établi et ordonné au peuple de l’Alliance par l’Éternel Lui-même. Or voilà qu’un roi, dont la tâche et la vocation devant Dieu étaient tout autres, usurpe une fonction qui n’est pas la sienne. Ozias entre dans le Temple avec le même esprit que Caïn, au quatrième chapitre du livre de la Genèse, apportant une offrande non pour faire l’expiation de ses péchés, mais pour montrer à Dieu ce dont il est capable. Il vient se présenter devant Dieu non pour confesser ses fautes en recourant à la médiation des sacrificateurs institués par l’Éternel pour cela, mais au contraire pour étaler son pouvoir temporel et sa puissance terrestre devant Celui qui les lui a accordés dans sa Grâce. Et ce faisant, Ozias tente en fait d’instituer un nouveau type de sacerdoce: celui de l’État, qui s’auto-proclame médiateur entre Dieu et les hommes, et cherche à remplacer le service de la repentance et de l’expiation, les seuls accrédités devant Dieu. Oui, l’État, le pouvoir civil, en la personne du roi Ozias, veut assumer la tâche de réconcilier ses ressortissants avec Dieu, et ce sur la base de son pouvoir terrestre. Voilà, amis auditeurs, quel fut le péché d’Ozias. Voilà quelle fut la profanation du saint Temple de Dieu dans la ville de Jérusalem. Ce qui était destiné à la purification allait être employé au contraire pour un acte impur par excellence: un acte de détournement du culte au profit de la gloire terrestre d’un souverain qui oubliait d’où lui étaient venus tous ses succès, et cherchait à empiéter sur la gloire de son Dieu.

L’impureté de son acte lui sera immédiatement imputée par le Juge suprême. Malgré les injonctions du sacrificateur Azariahou, accompagné de quatre-vingt prêtres courageux qui n’entendaient pas obéir au roi plutôt qu’à Dieu, Ozias s’entêta dans son acte sacrilège, et se mit en colère, ayant un encensoir entre les mains. Or voici qu’une sorte de lèpre, maladie symbolisant par excellence l’impureté, éclate sur son visage, rendant manifeste l’impureté de son coeur. Cette fois-ci, il est emmené dehors par la force, mais n’oppose pas de résistance, car il est tout à fait conscient de ce qui lui arrive, et se hâte lui-même de sortir. Sa faute le poursuivra jusqu’à sa mort, car il ne guérira jamais de cette maladie de la peau qui lui aura été infligée par l’Éternel. Et celui qui, armé de ses succès terrestres, s’était introduit illégalement dans le Temple pour y instituer une nouvelle religion, une religion d’adoration du pouvoir temporel et non de Dieu, se verra exclus pour cause d’impureté de ce temple qu’il avait profané, et ce durant le reste de ses jours. Car la lèpre, ou toute maladie de la peau lui ressemblant, était pour celui qui en était atteint une marque d’impureté et une cause d’exclusion formelle de l’accès au Temple, selon Lévitique chapitre 13 ou encore Nombres chapitre 5. Exclus non seulement du Temple mais forcé de vivre en marge de la communauté, selon ces mêmes prescriptions, le roi Ozias devra confier l’exercice de ce pouvoir qui l’avait rendu si orgueilleux à son fils Yotam, lequel, en tant que régent, dirigera le palais royal et gouvernera le peuple pendant les douze dernières années de la vie de son père. Yotam, lui, ne répètera pas la faute d’Ozias, et se gardera d’entrer dans le temple de l’Éternel, comme le rapporte le verset 2 du chapitre 27. La réputation d’Ozias à l’extérieur des frontières ne s’éteindra pas, et la prospérité du royaume de Juda ne se trouvera pas affectée par cet événement, pourtant, sur le plan personnel et spirituel, quel désastre pour celui dont l’autre nom, Azariah, signifie “Yahweh a aidé”…

Quelle est pour nous, amis auditeurs, la leçon de ce récit provenant de l’antiquité juive? Elle est multiple. Tout d’abord, ce récit dévoile de façon exemplaire la tentation du pouvoir politique de se glorifier lui-même, et d’organiser un culte à son endroit. A cette tentation n’échappent pas toujours les gouvernements ou états qui prétendent reconnaître la souveraineté de Dieu. Cette tentation ne peut être combattue que si l’État accepte d’écouter la voix de ceux qui parlent au nom de Dieu, non pour s’ingérer dans les affaires de l’État, ou pour usurper ses prérogatives, mais pour lui rappeler les principes du bien selon Dieu. Autrement, l’État, que ce soit dans la personne d’un dictateur, d’un groupe de dirigeants ou sous la forme d’une administration bureaucratique, tendra à s’offrir des sacrifices, à réclamer une allégeance absolue. Une religion de l’État, un culte de la personnalité, une idéologie officielle remplaceront la vraie religion, celle qui adore et obéit Dieu en toutes choses. La vraie religion comprend que le pouvoir temporel est d’abord un service, et qu’il n’a pas seulement des comptes à rendre aux citoyens d’un pays, mais qu’il est avant tout un mandat divin. L’exercice du gouvernement n’est pas seulement une affaire terrestre, il s’inspire dans chaque situation des ordonnances de Dieu, comprises et appliquées selon qu’une situation particulière le requiert. La distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal ne peut, en fin de compte, être proclamée par l’État de manière autonome, car celui-ci est constamment exposé à la tentation de déclarer bon ce qui lui profite, ce qui lui est avantageux, ce qui renforce son pouvoir. Et pour faire admettre à ses ressortissants que ses vues sont bonnes et correctes, l’État prétend souvent jouer le rôle de médiateur entre Dieu et les hommes, puis, tout bonnement, de Dieu Lui-même. En prétendant être le pourvoyeur des biens matériels, par les mesures qu’il prend, en tâchant de devenir la source première de la prospérité, l’État se prend très vite pour Dieu, et réclame une allégeance et une reconnaissance qui ne sont dues qu’à Dieu. Il devient alors une idole, probablement la plus dangereuse de toutes les idoles.

Nous verrons la prochaine fois, toujours en nous inspirant du chapitre 26 du second livre des Chroniques, quel doit être le rôle de l’Église dans sa relation avec l’État, pour que celui-ci se garde de tomber dans une telle tentation, sans que celle-ci n’essaie à son tour d’usurper une fonction dans la société qui n’est pas la sienne.