L’ORGUEIL DU POUVOIR (3) –2 CHRONIQUES 26

Nous arrivons aujourd’hui à la dernière de trois méditations sur le chapitre 26 du second Livre des Chroniques, dans l’Ancien Testament. Nous avons vu précédemment comment le roi Ozias, protégé par l’Éternel tout le temps qu’il écouta sa Parole, par l’intermédiaire du prophète Zacharie, était devenu imbu de son propre pouvoir et de ses propres succès, au point de commettre un sacrilège, en prétendant remplir l’office de sacrificateur dans le Temple de Jérusalem. En cherchant à occuper une fonction qui n’était pas la sienne, Ozias tentait d’instituer une nouvelle religion, religion où le pouvoir temporel occupait une place centrale en opérant la médiation entre Dieu et le peuple. En fin de compte, Ozias faisait un pas en direction d’un culte de l’État, usurpant le culte dû à Dieu seul. La tentation du pouvoir politique de se glorifier lui-même et de forcer tout un chacun à lui apporter son tribut, à le reconnaître comme tout-puissant, a retenu notre attention lors de notre précédente méditation. Mais nous devons aussi réfléchir ensemble au rôle de l’Église, et à sa mission vis-à-vis de l’État. Notre texte nous y invite en nous présentant deux figures: d’abord celle du prophète Zacharie, personnage mentionné uniquement dans ce passage de l’Ancien Testament (et qui ne doit pas être confondu avec le prophète du même nom, auteur d’un livre prophétique dans l’Ancien Testament). Puis celle du prêtre Azariahou, qui, avec quatre-vingt autres prêtres, s’opposa courageusement au roi venu illégalement faire l’offrande des parfums dans le Temple.

L’office de Zacharie était d’expliquer au roi Ozias la Parole de l’Éternel, en particulier lorsqu’elle se présentait sous forme d’oracles. Mais en exposant aussi le contenu de la Loi au roi, Zacharie lui permettait d’adopter une conduite conforme aux prescriptions de l’Éternel, prescriptions concernant la conduite du peuple et des affaires du royaume. Cet exemple nous montre que la voix des chrétiens, et en particulier des églises, devrait être aujourd’hui entendue par les autorités publiques, dans la mesure où cette voix expose fidèlement le contenu de la Parole de Dieu et proclame ce qui est juste, droit et bon aux yeux de Dieu. Si l’Église tente de devenir un contre-pouvoir, de s’ingérer dans la tâche du gouvernement, alors elle commet en quelque sorte le péché inverse de celui du roi Ozias, péché non moins dangereux. La relation entre l’Église et l’État ne devrait pas être une relation de rivalité (l’Église tâchant d’exercer un pouvoir temporel, et l’État prétendant jouer un rôle de sauveur ou de pourvoyeur divin des biens terrestres), mais une relation de collaboration dans la reconnaissance commune que Dieu règne et gouverne chaque sphère de l’existence. Le rôle prophétique de l’Église vis-à-vis de l’État s’exerce tout simplement lorsque la Parole de Dieu est exposée clairement et fidèlement, et aussi lorsqu’elle est appliquée avec discernement spirituel aux situations concrètes vécues par les personnes et les nations. Si l’Église ne proclame pas cette Parole dans le contexte de la vie nationale, elle faillit à sa mission prophétique. Si elle ne s’intéresse qu’à sa vie et à ses activités internes, elle perd sa saveur et ressemble alors à ce sel inutile dont nous parle Jésus-Christ dans le Sermon sur la montagne. La perspective du Royaume de Dieu, qui doit demeurer au centre de la prédication de l’Église, va bien au-delà de la sphère des activités ecclésiales, ou de l’évangélisation. Le Royaume de Dieu a trait à l’obéissance due au Seigneur dans toutes les parties de l’existence. En ce sens, le prophète Zacharie apportait une contribution vitale au royaume de Juda, car il ne limitait pas sa prédication, ou ses conseils, aux activités qui se déroulaient dans le Temple de Jérusalem. Il conseillait le roi dans les affaires du Royaume, mais exclusivement comme porteur, transmetteur de la Parole divine, et non pas pour favoriser des intérêts personnels, familiaux ou d’un groupe quelconque. Nous lisons au verset 5 du chapitre 26 qu’Ozias s’appliqua à rechercher Dieu du vivant de Zacharie, qui avait l’intelligence des visions de Dieu; et tant qu’il rechercha l’Éternel, Dieu lui accorda du succès. Ceci nous confirme le rôle vital joué par Zacharie, en tant que porte-parole fidèle de Dieu, à l’égard de la prospérité du royaume de Juda. C’est après sa mort, semble-t-il, qu’Ozias commença, peu à peu, à oublier la Parole de Dieu. Mais ce verset nous indique aussi que durant une partie de son règne, certes sous l’influence de Zacharie, Ozias lui-même rechercha l’Éternel. Et il fut couronné de succès dans ses entreprises. Les états modernes feraient bien de méditer sur un tel exemple, car une prospérité bâtie sur l’injustice ou l’oppression ne dure guère, comme tant d’exemples contemporains nous le montrent.

Le prêtre Azaryahou, quant à lui, exerce une fonction sacrée au sein du Temple. En tant que Lévite, il a été consacré médiateur entre Dieu et les hommes, car c’est lui qui apporte les sacrifices de réconciliation et accomplit les rites de purification pour le peuple. Les Chrétiens savent que Jésus-Christ a aboli cet office dans la mesure où il a accompli de manière totale et définitive l’expiation et la purification des péchés. Nous ne chercherons donc pas à identifier le rôle du prêtre Azariahou à un quelconque office dans l’Église d’aujourd’hui, car cela serait nier le sacerdoce parfait du Christ. Mais la figure d’Azariahou nous intéresse dans la mesure où lui-même et les quatre-vingt prêtres qui le suivent font preuve d’un courage notable en opposant une résistance à un roi pourtant puissant, et ce pour maintenir l’intégrité du culte du Temple et l’honneur de l’Éternel: “Sors du sanctuaire, car tu es infidèle, et cela ne tournera pas à ta gloire devant l’Éternel Dieu” dit Azariahou au roi présomptueux. Ce courage devrait être exemplaire pour l’Église d’aujourd’hui, car il indique que le grand-prêtre n’est pas prêt à opérer un compromis devant l’audace du roi. L’autorité de Dieu demeure pour lui au-dessus de celle de son roi, même si celui-ci peut lui faire payer cher son opposition. Au cours des vingt derniers siècles, combien de martyrs n’ont-ils pas dû payer de leur vie même leur fidélité totale à leur Seigneur et Sauveur? Cela commença sous l’empire romain, lorsque les empereurs païens exigeaient de tous leurs sujets une adoration visible, comme on adore un dieu. Le pouvoir de Rome, l’unité de l’empire leur faisaient exiger une telle allégeance. Les Chrétiens ne pouvaient s’y soumettre, non pas parce qu’ils cherchaient à renverser le pouvoir politique d’alors, mais parce que tout en restant obéissants aux autorités qu’ils reconnaissaient être instituées par Dieu, ils n’étaient pas prêts à confondre le pouvoir temporel avec le pouvoir éternel de Dieu.

Un autre aspect devrait retenir notre attention dans le texte qui nous occupe: c’est celui de la prospérité matérielle de Juda, qui favorisa sans doute l’infidélité du roi. D’abord, un passage parallèle dans le deuxième livre des Rois, au chapitre 15, nous indique que si Ozias fut, du moins au début de son règne, fidèle à l’Éternel, il ne fit pas disparaître les hauts-lieux où le peuple offrait encore des sacrifices et des parfums. Ceci indique que le peuple n’était pas prêt à obéir aux prescriptions de l’Éternel pour son culte. La prospérité matérielle croissante de Juda sous le règne d’Ozias, et l’allégeance politique au roi qui semble en avoir été le corollaire, influencèrent peut-être Ozias dans sa tentative d’établir une sorte de religion civile où lui-même jouerait un rôle de médiateur proéminent. Lorsque nous lisons l’Ancien Testament, nous découvrons un autre prophète qui prophétisa aussi sous le règne d’Ozias, le prophète Amos, qui commença son ministère deux ans avant le tremblement de terre qui eut lieu sous ce règne. Amos prophétisera surtout en Israël, mais il est originaire de Tekoa, un village de Juda situé non loin de cette Chephéla où le roi possède un cheptel très important. Amos, lui même éleveur, a vu la mentalité du peuple, et il dénonce déjà un culte nationaliste arrogant, qui ne date pas de son temps, mais qui se poursuivra pendant quelque deux siècles, et sera dénoncé par d’autres prophètes, comme Jérémie ou Ésaïe. Nous lisons au deuxième chapitre du livre d’Amos les paroles suivantes, qui concernent Juda: “Ainsi parle l’Éternel: A cause de trois crimes de Juda, même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt: parce qu’ils ont rejeté la loi de l’Éternel, et qu’ils n’ont pas gardé ses préceptes, parce qu’ils se sont laissé égarer par les mêmes mensonges auxquels leurs pères s’étaient ralliés, j’enverrai le feu contre Juda, et il dévorera les donjons de Jérusalem.” Ainsi, alors qu’Ozias fortifiait Jérusalem au moyen de défenses militaires remarquables et inconnues des autres nations de son temps, le prophète Amos n’hésitait pas à prophétiser la destruction des murailles de la ville, à cause de la désobéissance du peuple. Aucune aide technologique ou militaire ne saurait empêcher un désastre national, fruit du jugement de l’Éternel sur la désobéissance de son peuple. Un tel désastre allait se produire quelque deux cents ans plus tard, en 587 avant Jésus-Christ, comme nous l’avons vu dans une précédente série de méditations. La leçon pour nous aujourd’hui rejoint ce que nous avons dit précédemment: à savoir que la prospérité économique peut conduire à l’élaboration d’un culte nationaliste, orgueilleux et infidèle à Dieu: il s’agit alors d’une religion civile qui a pour centre non plus Dieu, mais le bien être matériel du peuple et l’unité politique d’un état. Le nom de Dieu est bien invoqué, mais il est devenu entre temps une idole fabriquée par les hommes au service de leur propre intérêt. C’est justement contre de telles dérives que l’Église fidèle devrait faire entendre sa voix sans compromission, avec le courage du prêtre Azaryahou ou du prophète Amos.

Pour nous qui lisons aujourd’hui le récit du livre des Chroniques concernant le règne du roi Ozias, nous savons que l’office de roi, de prêtre et de prophète est détenu par le Fils Unique de Dieu, Jésus-Christ, dont nous sommes les membres. Il nous invite à une obéissance renouvelée, car si le Temple de Jérusalem a bien disparu, chacun de ceux qui croient en Lui, et qui sont de ce fait greffés en Lui par le Saint Esprit au moyen de la foi, est devenu le temple vivant de Dieu. Vous et moi sommes le temple de Dieu, et nous avons le devoir de ne pas le laisser profaner par les idéologies que les uns et les autres essaient d’imprimer dans nos coeurs et nos pensées. Nos vies, nos actions et nos pensées doivent rester saintes, même et surtout quand les Ozias modernes tentent de s’infiltrer dans nos coeurs pour que des sacrifices d’adoration leurs soient adressés, sous un prétexte ou sous un autre.

Concluons donc cette série de trois émissions consacrée au chapitre 26 du deuxième livre des Chroniques en lisant ensemble les paroles d’un autre prophète de l’Ancien Testament qui commença son ministère prophétique à la toute fin du règne d’Ozias, c’est-à-dire vers l’an 739 avant Jésus-Christ: il s’agit du prophète Ésaïe, qui rapporte comment, au cours d’une vision, il vit le Seigneur dans son Temple, ce même Temple où Ozias avait été frappé par la lèpre, devenant impur pour le reste de ses jours: “L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui; ils avaient chacun six ailes: deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. Ils criaient l’un à l’autre et disaient: Saint, Saint Saint est l’Éternel des armées! Toute la terre est pleine de sa gloire! Les soubassements des seuils frémissaient à la voix de celui qui criait, et la Maison se remplit de fumée. Alors je dis: Malheur à moi! Je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l’Éternel des armées. Mais l’un des séraphins vola vers moi, tenant à la main une braise qu’il avait prise sur l’autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit: Ceci a touché tes lèvres; ta faute est enlevée, et ton péché est expié.”