LA TRANSFIGURATION (1)

Le récit de la Transfiguration de Jésus Christ tel qu’il nous est rapporté dans l’Évangile selon Matthieu, selon Marc et selon Luc, représente, amis auditeurs, un moment capital dans le ministère terrestre de celui que les Chrétiens confessent comme leur Seigneur et Sauveur. Pourtant, peut-être n’accorde-t-on pas toujours l’attention qu’il mérite à cet événement exceptionnel dont trois hommes, disciples de Jésus, furent les témoins. Méditons ensemble, si vous le voulez bien, sur la signification de cet instant de glorification du Christ, avant son départ pour Jérusalem. Nous commencerons par lire le texte de l’Évangile selon Matthieu au chapitre 17, les versets 1 à 13, et nous complèterons notre méditation par les renseignements que nous trouvons au chapitre 9 de l’Évangile selon Marc ainsi qu’au chapitre 9 de l’Évangile selon Luc.

“Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère et il les conduisit à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux: son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Moïse et Élie leur apparurent, ils s’entretenaient avec lui. Pierre prit la parole et dit à Jésus: Seigneur, il est bon que nous soyons ici; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les enveloppa. Et voici qu’une voix sortit de la nuée, qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. Écoutez-le! Lorsqu’ils entendirent cela, les disciples tombèrent la face contre terre, saisis d’une crainte violente. Mais Jésus s’approcha, les toucha et dit: Levez-vous, soyez sans crainte! Ils levèrent les yeux et ne virent que Jésus seul. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre: Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homnme soit ressuscité des morts. Les disciples lui posèrent cette question: Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’Élie doit venir d’abord? Il répondit: Il est vrai qu’Élie vient rétablir toutes choses. Mais je vous dis qu’Élie est déjà venu, et qu’ils ne l’ont pas reconnu et qu’ils l’ont traité comme ils l’ont voulu. De même le Fils de l’homme va souffrir de leur part. Les disciples comprirent alors qu’il leur parlait de Jean-Baptiste.”

Amis auditeurs, il nous faut d’abord bien situer ce moment de la carrière de Jésus dans son contexte: peu auparavant, Jésus a posé aux disciples une question concernant son identité: “Au dire des gens, qui suis-je, moi, le Fils de l’homme?” Et Pierre a fait cette confession sans équivoque: “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant”. C’est après cette confession que Jésus commence à parler à ses disciples des souffrances qu’il va devoir endurer de la part des dirigeants religieux. Loin de vouloir échapper à ces souffrances qu’il prévoit et prophétise, Jésus au contraire en fait le but de sa mission, et oriente délibérément sa route en direction de Jérusalem, où ces événements se dérouleront. Or jusqu’à présent, ses disciples sont encore sous l’impression que Jésus, s’il est bien le Christ, c’est-à-dire le Messie attendu par le peuple, ne peut apparaître que triomphant: pour eux, tous les miracles accomplis, toutes les guérisons effectuées, les démons chassés, ne sont que le prélude à une restauration imminente du royaume d’Israël dans une gloire encore supérieure à celle qu’il avait connu du temps du roi Salomon. Or voilà que Jésus parle de souffrances, voilà qu’il invite ceux qui veulent être ses disciples à se charger de leur croix et à le suivre. Pierre lui-même s’est opposé à ce chemin de croix que son Messie se propose de prendre, et s’est vu sévèrement repris. Alors une certaine incompréhension règne entre le Maître et ses disciples, une incompréhension qui, il faut le dire, ne sera totalement dissipée qu’après la résurrection. Mais cette incompréhension provient aussi du fait que Jésus annonce son retour dans la gloire et un jugement final qu’il exercera lui-même, ce qui, pour les disciples, plaide plutôt en faveur de leur interprétation de son rôle messianique . Écoutez-plutôt les paroles de Jésus qui précèdent immédiatement le récit de la Transfiguration: “Car le Fils de l’homme va venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa manière d’agir. En vérité je vous le dis, quelques uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront point la mort qu’ils n’aient vu le Fils de l’homme venir dans son règne.” Or c’est à un tel spectacle que trois des disciples les plus proches de Jésus, c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean, sont conviés quelque six jours plus tard.

Il les prend donc à part, et les emmène avec lui sur une haute montagne. On ne sait pas s’il s’agit du mont Tabor, en Galilée, ou du mont Hermon, plus au nord, et qui se trouve, lui, à proximité de la ville de Césarée de Philippe, où Pierre a confessé quelques jours auparavant que Jésus est le Christ. Quoiqu’il en soit, sur cette montagne se produit quelque chose que les disciples n’ont encore jamais vu: l’apparence physique de Jésus est transformée, non qu’il soit changé en une autre créature, mais il irradie soudain une lumière insoutenable. L’évangéliste Marc l’exprime de la façon suivante: “Ses vêtements devinrent resplendissants et d’une telle blancheur qu’il n’est pas de blanchisseur sur terre qui puisse blanchir ainsi.” Quant à Luc, il rapporte ceci: “Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea, et son vêtement devint d’une éclatante blancheur”. Matthieu, lui, parle de lumière et de soleil pour décrire cette irradiation. Voilà donc les trois disciples face au Christ de Dieu toujours visible dans sa nature humaine, mais visible avec l’éclat de sa nature divine conjointe dans la même personne. Deux natures, humaine et divine, sans toutefois qu’on puisse les confondre ni les séparer, comme le concile de Chalcédoine le formulera quelque quatre cents ans plus tard, lors d’un synode ecclésiastique marquant. Mais Jésus n’apparaît pas seul, deux personnages se tiennent à côté de lui, que les disciples identifient immédiatement avec Moïse et Élie. Eux aussi apparaissent dans la gloire, selon l’évangéliste Luc, même s’ils n’irradient pas avec la même intensité. Pourquoi Moïse et Élie? Parce que, dans la tradition juive, Moïse représente la Loi, tandis qu’Élie est le symbole même des prophètes, la figure prophétique qui marqua le plus profondément la conscience d’Israël, même si Élie ne laissa aucun écrit derrière lui. Or nous devons bien nous rappeler que Jésus a dit lors du Sermon sur la Montagne qu’il était venu non pour abolir la loi ou les prophètes, mais pour l’accomplir. Et c’est précisément de cela qu’il s’entretient avec Moïse et Élie, les symboles de la Loi et des prophètes, puisque, d’après Luc, ceux-ci parlent de son départ à Jérusalem. Pour ceux qui sont les témoins de cette conversation au sommet, l’équivoque ne peut être que renforcée: comment Jésus, apparaissant dans sa gloire, et dont il émane soudain une lumière purement divine, peut-il encore envisager un tel départ et de telles souffrances à venir?

Et voici que Pierre prend la parole. Notez qu’il le fait au moment où Moïse et Élie se séparent de Jésus. Il cherche à les retenir. Malgré la crainte éprouvée par les disciples devant un tel spectacle, le moment est d’une telle intensité qu’on ne peut le laisser s’évanouir ou disparaître comme cela. Pierre veut conserver le privilège d’assister à cette rencontre unique, et le faire durer aussi longtemps que possible. Il propose donc de dresser trois tentes sur place, où les trois personnages pourraient demeurer et s’entretenir sans empêchement. Marc l’évangéliste ajoute: “il ne savait pas ce qu’il disait, car l’effroi les avait saisis.” Pourtant, en dépit de cet effroi, les paroles de Pierre traduisent un désir humain compréhensible, mais qui n’est pas conforme à la volonté de Dieu. Pour Pierre, ce moment de glorification passagère doit devenir permanent, alors que pour Dieu, il n’est qu’un témoignage avant-coureur de l’élévation que Christ connaîtra lors de son Ascension au ciel, après sa résurrection. Jésus a une mission à accomplir, et ne saurait s’attarder pour le moment. Son départ pour Jérusalem doit recevoir toute son attention.

Au même moment, une nuée vient envelopper les six personnages présents, nouvelle source de crainte pour les disciples. La nuée, dans l’Ancien Testament, était le lieu de l’apparition de la gloire de Yahweh, l’Éternel. Nous lisons par exemple au livre de l’Exode, chapitre 16 verset 10: “Tandis qu’Aaron parlait à toute la communauté des Israélites, ils se tournèrent du côté du désert, et voici que la gloire de l’Éternel apparut dans la nuée.” C’est dans la nuée que Dieu parle à son serviteur Moïse. C’est aussi dans la nuée que Dieu parle au moment de la Transfiguration, pendant que Sa gloire se révèle dans la personne de Jésus-Christ. Et la voix qui se fait entendre dit: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le”. Paroles qui confirment celles entendues au moment du baptême de Jésus, par exemple en Marc chapitre 1, verset 11: “Tu es mon Fils bien-aimé, objet de mon affection”. Mais en enjoignant aux disciples d’écouter le Fils bien-aimé, la voix divine proclame sans équivoque que la parole de Jésus-Christ doit être écoutée au-dessus de toute autre parole. C’est elle qui détient l’autorité, et qui est source d’autorité. Ce que le Fils dit vient du Père Lui-Même, et est scellé du sceau du Saint Esprit.

Or soudain, voici que la nuée, Moïse et Élie, le rayonnement de Jésus ont disparu. Seul demeure Jésus avec ses trois disciples. En descendant de la montagne, il leur recommande de ne rien dire jusqu’à ce qu’il soit ressuscité. De nouveau, l’incompréhension des disciples se manifeste, puisque, comme le rapporte Marc, ils discutent entre eux de savoir ce que signifie ressusciter d’entre les morts.

Amis auditeurs, nous tâcherons de voir ensemble la prochaine fois quelle est la portée et la signification de cet événement de la Transfiguration, d’abord pour les disciples, puis pour l’Église universelle.